Comédien, scénographe, metteur en scène et cofondateur, avec Taous Claire Khazem, de la compagnie “Daraja Théâtre", l'artiste raconte, dans cet entretien, son aventure américaine dans le théâtre, qui démarre sur les chapeaux de roues. Liberté : Comment est né le spectacle Clown en exil ? Mohamed Yabdri : L'idée du spectacle est venue lors de mon voyage en voiture, d'Oran vers Alger, où je devais ensuite prendre l'avion pour les Etats-Unis d'Amérique. Je pleurais de chagrin de quitter les miens, et notamment ma sœur qui était à mes côtés. A un moment, j'ai pris un repose-tête et je l'ai utilisé comme un accessoire pour jouer avec, et improviser des numéros de clowns. Cela a fait rire ma sœur qui pleurait au départ. Cet accessoire m'a apaisé durant mon voyage et m'a surtout inspiré ce spectacle. Je me suis dit pourquoi ne pas monter un spectacle qui raconterait mon histoire d'émigrant malgré lui. Je suis arrivé aux USA avec cette idée dans la tête. Lors de mon deuxième mois dans ce pays, je suis allé voir un spectacle extraordinaire. C'est là que j'ai vu sur scène le talentueux comédien Noah Bremer ; un grand clown et un metteur en scène reconnu. En quittant la salle, j'ai dit à mon épouse Taous (également comédienne) que j'avais envie de travailler avec lui. J'ai donc proposé à Noah Bremer l'idée de monter un spectacle dans le style du clown. On a fait plusieurs séances de travail ensuite, et il était très engagé dans le processus de création, et s'est montré très curieux par rapport à mon parcours en Algérie. Il faut aussi signaler que ce projet est une expérience humaine, car nous essayons, tous les deux, d'effacer les stéréotypes des deux côtés ; moi en tant qu'Algérien, arabe, amazigh et africain, et lui, en tant qu'Américain. On a même développé un vocabulaire commun. Comment s'est déroulé le travail de préparation ? “Clown en exil" est l'expérience d'un être humain, celle d'un artiste également, qui quitte les siens. C'est l'histoire d'un conflit, et d'un déchirement, celui d'un personnage entre deux pays. Le texte n'a pas été écrit à la manière classique. On a essayé d'explorer des matériaux, des sons, des idées et des sujets ensemble. On a écrit de manière parallèle. C'est une création originale de deux artistes avec deux expériences différentes, deux nationalités différentes, mais qui partagent le même amour pour le théâtre. Il y a une forte dimension humaine. Noah Bremer a travaillé pour de grands théâtres aux USA en tant que comédien et metteur en scène, et il a également fait un passage au plus grand cirque du monde (le Cirque du Soleil dans le spectacle “Varekai"). C'est également quelqu'un d'humble et un grand professionnel. Je signale également que la musique a été créée par Rachid Hamidache, un compositeur algérien qui vit en France, et qui connaît bien mes capacités en tant que comédien, puisque nous avons travaillé ensemble, en Algérie, sur le spectacle “Ness Mechria" de Lakhdar Mansouri. Il sait également ce que c'est que de vivre à l'étranger. Y a-t-il une part d'autobiographie dans ce spectacle ? Il y a une partie de moi dans ce spectacle, mais il n'est pas autobiographique à 100%, parce que je ne suis pas exilé. Je n'ai pas eu de difficultés ici, et je n'ai pas non plus été chassé de mon pays, je parle de l'Algérie, dans le spectacle, à la manière d'un amoureux fou de son pays. Ce n'est pas non plus un spectacle réaliste, il y a un côté fantastique, extraordinaire, et ce, dans le but de transmettre un univers au public, et d'ouvrir des perspectives. C'est important de rêver dans un théâtre. Comment s'est imposé à vous le choix du style, le clown donc ? Je pense que notre théâtre a besoin de simplicité. Elle est nécessaire. Le clown me permet de faire quelque chose de très différent, mais hélas, chez nous, lorsqu'on veut signifier que tel comédien est un cabotin ou qu'une œuvre est de mauvaise qualité, on utilise le mot clown. Le clown peut transmettre de la naïveté, qui est d'ailleurs une valeur humaine qui se perd en ce moment, dans notre monde. Il vaut mieux être naïf, qu'être un donneur de leçons qui fait des bêtises et qui ne s'en rend même pas compte. Je profiterais également de cette possibilité que vous m'offrez pour dire que je vis dans la deuxième grande ville de théâtre des Etats-Unis après New York. Il y a une communauté artistique très importante, et j'ai envie de faire découvrir à ce public ce qu'un Algérien est capable de faire. Je crois aux capacités de mon pays, mais je découvre ici d'autres formes. A chaque fois que je lis un texte, que je regarde un spectacle, je pense à mes collègues en Algérie, et surtout à notre public. J'ai envie de traduire des textes et de les partager en Algérie. Vous allez prendre part à un important festival (The fringe Festival of Minnesota)... Sans exagération, The fringue Festival of Minnesota est l'un des plus grands événements de l'année. C'est l'Avignon américain, avec 250 pièces représentées en dix jours. Vous imaginez, une ville de près de deux millions d'habitants, où sont représentés en un laps de temps 250 pièces ! Le public est vraiment gâté. La formule de ce festival est simple et correcte à la fois. C'est un tirage au sort qui est organisé. Sur 500 compagnies qui déposent leurs candidatures, ils en prennent la moitié, à l'issue d'un tirage au sort où tous les concernés sont conviés. Notre nom a donc été tiré au hasard. C'est à la fois un coup de chance, mais aussi un grand challenge, car c'est un grand évènement, dans de grands théâtres, avec un public connaisseur, qui paie sa place pour accéder aux représentations. La culture d'accès au théâtre est bien ancrée. C'est une grande machine de diffusion. Nous serons également exposés aux critiques qui peuvent décerner des prix, et qui aident l'évolution de la pratique théâtrale. Vous allez entamer une tournée à partir du mois de mai. Quelles sont les dates et les lieux où l'on peut vous retrouver ? Je jouerai d'abord un seul-en-scène intitulé “I missed Algeria", le 16 mars prochain à Minneapolis. Je serai également, le 30 mars prochain, à l'ambassade d'Algérie à Washington DC, avec quelques autres artistes algériens, comme Abdelkader Chaou et Taous Claire Khazem. On jouera le spectacle “Clown en exil" les 17 et 18 mai à l'Alliance française de Minneapolis, et on sera les 24 et 25 mai au Centre culturel algérien de Paris. On sera présents également dans le cadre du Festival national du théâtre professionnel d'Alger (programme Off) du 26 mai au 7 juin. D'autres dates sont en cours de confirmation, mais je peux déjà vous dire que je jouerai mon spectacle, tout le mois de juin, dans les annexes de l'Institut français d'Algérie. S. K.