L'abominable crime dont ont été victimes deux enfants à Constantine a provoqué une grande émotion, perceptible à travers l'ensemble du territoire national. Si la répulsion suscitée par la monstruosité commise envers d'innocents enfants semble être un signe de bonne santé morale de la société, ce crime a donné lieu à l'expression d'une surenchère morbide sur la nature du châtiment qu'il appelle. Bien au-delà des milieux proches du drame, des esprits révoltés rivalisent d'imagination pour concevoir une punition à la hauteur du forfait. Outre l'appel insistant à l'application de la peine capitale, des voix exigent qu'elle soit exécutée sur la place publique. D'autres imaginent des procédés les plus cruels de donner la mort aux coupables. D'autres encore trouvent que leur exécution, de quelque manière qu'elle serait accomplie, ne pourrait suffire à leur faire payer leur crime, et qu'il faudrait inventer un supplice durable pour prolonger la punition. Le calvaire d'enfants enlevés que l'on supplicie justifie la plus grande colère. Mais il ne peut expliquer cette surenchère en matière de brutalité des châtiments souhaités que l'on observe, ces derniers temps, toutes les fois que la société est frappée par pareille tragédie. Presque nulle part, l'on n'entend la question la plus urgente que pose un tel drame : “Comment en est-on arrivé à voir si souvent des gamins enlevés, martyrisés et assassinés ?" Cette question s'impose, d'autant plus qu'il n'a pas été prouvé par l'expérience juridique que la sévérité de la peine préserverait les sociétés de leur violence. L'exemple le plus frappant est celui des Etats-Unis : des records de peines capitales prononcées — et exécutées —, mais aussi, et avec, des records de crimes gratuits. Il y aurait, donc, peut-être, d'autres voies à explorer dans la recherche d'une réponse à ce regain de criminalité infanticide. La réponse relève des spécialistes, mais la société devrait aussi s'interroger sur sa responsabilité. Parce qu'en fait, en matière d'émotion suscitée par le crime, il n'en a pas toujours été ainsi. En tout cas, l'assassinat d'enfants, même le plus bestial, n'a pas toujours donné lieu à l'expression d'une si bruyante colère. Rappelons que le moratoire sur l'application de la peine de mort date du lendemain du verdict des poseurs de bombe de l'aéroport d'Alger, en 1993. Une partie d'entre eux avait échappé à l'exécution. Et, depuis, la suspension des exécutions aura essentiellement profité aux terroristes, malgré les multiples assassinats d'enfants dans des attentats à la bombe, les massacres collectifs, les nombreux rapts et viols de jeunes filles. Quand on a détourné son regard pendant vingt ans de la violence meurtrière, on ne rachète pas sa bonne conscience par l'indignation tardive, même plus sonore que de raison. Aujourd'hui, la violence de droit commun fait figure de violence ordinaire, contre laquelle l'on peut s'élever, mais qui n'est pas pour autant étrangère, dans sa genèse, à la violence dite politique mais tout aussi criminelle. Quand le discours politique, repris à son compte par la société, se permet de légitimer une violence en particulier, il banalise la violence en général. Cette banalisation a, à ce point, pénétré la société que même les demandes de protection ou de réparation s'expriment, non en termes de justice, mais en termes de violence ! M. H. [email protected]