Ce spécialiste des TIC évoque les énormes difficultés de l'internet en Algérie et souligne que les raisons des ajournements de la 3G avancés par les pouvoirs publics ne sont guères convaincantes. Liberté : Après des années d'introduction de l'internet, comment explique-t-on le faible débit de l'Internet en Algérie, notamment par rapport aux pays voisins? Ali Kahlane : La “faiblesse" de ce débit est aussi due au succès de l'Internet, succès qui induit une demande toujours croissante de bande passante. En effet, l'utilisation des sites de lectures vidéo tels que Daily Motion et autres Youtube, qui ont beaucoup de succès en Algérie, sont de gros consommateurs de bande passante. Ceci d'une part, il est vrai aussi que la mauvaise qualité des lignes téléphoniques d'Algérie Télécom, qu'elle tente d'améliorer, y est aussi pour quelque chose. Les problèmes techniques tel que les fréquentes pannes de serveurs DNS et le manque de redondance et de système de reprise instantanée d'activité font le reste. Si la maîtrise de la technologie est au rendez-vous, le développement de services à valeur ajoutée et de contenu algérien, devrait améliorer d'une manière substantielle les débits actuels de l'Internet. La bande passante internationale, grosse consommatrice de devises, serait alors moins sollicitée. Tout le trafic irait sur la bande passante nationale théoriquement illimitée et, surtout beaucoup moins chère. Cela nous permettra de développer du contenu national tout en réduisant le prix de l'Internet. Comment ? Permettre à nos jeunes diplômés d'entreprendre dans ce domaine sans réglementation tatillonne, sans bureaucratie inutile et surtout dans une ambiance commerciale qui doit encourager le meilleur produit au meilleur prix, au bénéfice du citoyen. Toujours en comparaison des pays voisins, pourquoi l'Internet coûte-t-il toujours aussi cher ? La bonne nouvelle est que le prix de la connexion Internet est globalement moins cher chez nous que dans d'autres pays comparables au nôtre. La mauvaise nouvelle est que notre prix concerne uniquement la connexion à Internet de base et en bas débit, alors que le prix des autres pays comprend des services à valeur ajoutée tels que la télévision, le téléphone, la vidéo sur demande etc. Ce qui fait, effectivement, de notre connexion Internet de base l'une des plus chères de la région. Autrement dit, la disponibilité de nombreux services à valeur ajoutée permet la baisse des prix de la connexion Internet pure car le prix de celle-ci devient dérisoire et tendrait même vers zéro car subventionnée par les nombreux services payants. S'il arrivait à Algérie Télécom de pouvoir fournir de tels services à valeur ajoutée ou mieux encore, si AT avait permis à des fournisseurs de services Internet d'en développer avec elle pour le bien du citoyen, nous ne serions pas que de simples consommateurs de connectivité Internet. Nous aurions eu un Internet avec un contenu hautement algérien dont les coûts seraient à la portée de toutes les bourses. Figurez-vous qu'il y a quelques années, de tels services existaient. En effet, un fournisseur d'accès et de services Internet (voir plus bas), les offrait sur un simple abonnement ADSL. Depuis sa coupure pour des raisons commerciales, en septembre 2009, ces services, un minimum partout ailleurs, n'ont plus jamais été offerts ni par Algérie Télécom ni par un autre fournisseur de Services Internet en Algérie. Quel est le bilan du développement d'Internet en Algérie, le taux de connectivité, le nombre d'abonnés? Le développement de l'Internet dans un pays peut être mesuré de plusieurs manières. En termes de chiffres, nous aurions un peu plus de 1,1 million d'abonnés à l'ADSL pour 6,7 millions d'internautes (Plusieurs membres d'une même utiliseront la même connexion). Avec la meilleure volonté du monde, ce qui ne suffit malheureusement pas de nos jours, l'opérateur historique ne peut développer seul l'Internet dans notre pays. Avoir voulu le faire seul nous a donné le résultat que nous connaissons tous actuellement : un retard de plus de 10 ans par rapport au plus mal loti des pays comparables aux nôtres. Les providers sont confrontés à beaucoup de difficultés en Algérie. Pourquoi ? Au milieu des années 2000, on comptait près de plus de 70 fournisseurs de services Internet en plus d'Algérie Télécom, leur seul grossiste de bande passante. Des pratiques commerciales anti-concurrentielles, une tarification de la bande passante sans aucune prise avec la réalité et tout cela exacerbé par une bureaucratie envahissante dans sa gestion, a laissé l'opérateur historique seul sur le marché de l'Internet. Tous les autres ISP ont été éliminés de facto. Cette inertie n'a permis à aucun service à valeur ajoutée de se développer. Nous nous retrouvons 10 ans après la création d'AT, avec le même désert de contenu algérien. Algérie Télécom n'a toujours pas réussi ou terminé sa mutation, d'une administration centrale et centralisée du temps du ministère des PTT vers une entreprise commerciale spécialisée en haute technologie. Elle demeure cette entité capable de miracles pour le développement de l'infrastructure des télécommunications et le déploiement de lignes téléphone dans notre très grand pays mais elle éprouve d'énormes difficultés pour aller au delà de la fourniture d'une simple connexion à Internet. Seule l'émulation qui serait créée par un véritable partenariat avec d'autres opérateurs des télécommunications et de fournisseurs de services de l'Internet lui permettraient de sortir de ce cercle infernal et l'aider à s'extirper de sa léthargie actuelle, pour le bien-être du citoyen. On se dirige vers un monopole de fait d'Algérie Télécom après des années d'ouverture, pourquoi? En effet des années d'économie dirigée ont la peau dure. Après les “velléités" d'ouverture du début des années 2000 et l'euphorie qui a suivi la déréglementation partielle des télécommunications, nous sommes en train de vivre, doucement mais sûrement, un retour au monopole de l'Etat sur le secteur des TIC. Dans le domaine de la téléphonie fixe, l'épisode Lacom a vécu. Dans le domaine de l'Internet la “centaine" de fournisseurs de services Internet (ISP) a également vécu. Le tout dernier épisode fut la tentative d'éliminer les trois derniers opérateurs Internet (VoIP), sur lesquels l'épée de Damoclès reste toujours suspendue d'ailleurs. Algérie Télécom se retrouve toute seule à fournir l'unique service de connexion à Internet sans aucun service à valeur ajoutée. L'EEPAD, qui a aussi vécu, fournissait en plus de la connexion de base, quatre (4) autres services, ce qu'il appelait “le quintuple Play" : la télévision HD, la téléphonie, la vidéo sur demande (VoD) et l'enseignement à distance. Oui, nous sommes devant une situation de monopole dans le secteur des TIC, fait si nous en excluons la téléphonie mobile. Tout cela est dû à trois choses : la première est que le concurrent (au plan des télécommunications ou au plan des services Internet) est vu comme l'adversaire à abattre par tous les moyens y compris réglementaires et juridiques et non pas compétiteur avec qui on devrait se battre sur le plan strictement commercial. Pour le reste, la Loi est là et est applicable pour tout le monde. La deuxième, le refus conscient ou inconscient à se remettre en cause et enfin la dernière c'est la gestion administrative et à la limite bureaucratique, d'une entreprise réputée hautement commerciale qui ne semble pas ou plus pouvoir se défaire de sa tutelle administrative, le MPTIC. Autrement dit, les injonctions du politique priment sur les résolutions d'un CA et inhibent par là, toute vision managériale dont une entreprise telle qu'Algérie Télécom aurait besoin pour se développer sainement et offrir les meilleurs services possibles. Les cybercafés pourraient-ils pallier les manques de densité et de connectivité? Les cybercafés pourraient effectivement aider à la densification de la connectivité de l'Internet. Comme dans tous les pays du monde du reste. Pour cela, il faudrait les aider en leur fournissant un cahier des charges dans lequel leurs devoirs tout autant que leurs droits seraient clairement explicités (l'actuel CDC ne développe pratiquement pas les derniers), en leur faisant signer un contrat commercial avec Algérie Télécom équitable et sans aucune équivoque ce qui leur permettrait de rendre un service public tout en gagnant leur vie. Cela permettrait aussi de créer encore plus d'emplois et enfin, il leur faudrait surtout une volonté politique présente à l'échelle régionale pour leur en faciliter l'installation. Cela permettra de promouvoir l'usage de l'Internet et son appropriation par toutes les couches de la population. L'Algérie a pris du retard pour le lancement de la 3G qui est présente dans des pays beaucoup moins avancés comme le Mali, le Kenya, la Somalie, la Mauritanie pour ne citer que ceux-là. Pour quelles raisons? Aucun des ministres qui se sont succédé depuis 2004 n'a réussi à mener à son terme le lancement de la 3G. Voyons les différentes raisons qui nous ont été données depuis 2007. Le ministre de l'époque, Boudjema Haïchour avait déclaré que l'Algérie était fin prête pour lancer le haut débit mobile au courant de l'année en cours, s'appuyant sur les conclusions du bureau d'étude iDate. En 2008, son remplaçant, Hamid Bessalah, après avoir déclaré que “l'Internet haut débit mobile n'est pas une priorité pour le moment", déclare 6 mois plus tard que la 3G sera lancée à la fin de 2009. Le successeur de ces deux ministres fait mieux il totalise 3 déclarations de lancements de la 3G avec même deux lancements de la 4G et autant de reports aussi bien pour l'une que pour l'autre. Le dernier des reports promet la 3G et... la 4G pour le premier trimestre 2013. Si cela devait arriver, il nous permettrait au moins de bien terminer l'année 2013 et ne pas faire mentir tant que cela e-algérie 2013. Plus personne ne remet en cause les avantages du haut débit mobile, dont la démocratisation profite de l'apparition des tablettes tactiles, des clés 3G et surtout de la chute des prix des téléphones intelligents ou smartphones, passés largement sous la barre des 15 000 DA. Une évolution dont tout le secteur bénéficiera à coup sûr. Selon une étude de MediaPex, quand le taux de pénétration de l'internet haut débit augmente de 10 % dans un pays en développement, son PIB par habitant progresse de 1,39%. En effet et de nombreux pays sont en train de jouir des possibilités de la 4G/LTE ou de s'y préparer sérieusement comme nos proches voisins. Je pense personnellement que toutes les raisons qui ont été données officiellement pour expliquer ces multiples reports et tous les atermoiements du MPTIC, très souvent contradictoires d'ailleurs, ne tiennent devant aucune des analyses et n'expliquent pas à elles seules ce qui s'est passé. Aucune des raisons évoquées par les différents ministres tout le long de cette interminable saga d'annonces de lancements suivis de reports, ne peut sérieusement justifier ces multiples ajournements : ce n'est pas le manque d'opportunités tel qu'annoncé en 2008, ce n'est pas le manque de moyens de certains opérateurs, ce n'est pas le souci que le citoyen ne peut pas se payer la 3G, ce n'est pas la non-préparation technique de certains opérateurs et ce n'est certainement pas le problème de Djezzy, dernière trouvaille de la tutelle pour essayer de gagner encore plus de temps. J'estime que la raison vient de l'emprise totale du pouvoir politique sur le secteur des TIC. Car à vouloir trop privilégier l'opérateur historique Algérie Télécom et son unique solution d'ADSL, le gouvernement a non seulement retardé l'adoption de la 3G et l'accès au très haut débit mobile mais il a également plombé d'une manière néfaste le développement du secteur des TIC en Algérie. (*) A.K, Docteur en informatique (Phd-UK), membre ès qualités du comité sectoriel permanent de la recherche sur le développement des TIC, membre de la commission nationale du haut et du très haut débit.