Contactés par nos soins, l'écrivain Yasmina Khadra, l'universitaire et écrivain Benamar Mediene et l'éditeur algérien basé à Constantine Saïd Yassine Hannachi évoquent Yamina Mechakra et son apport à la littérature algérienne. Yasmina Khadra, écrivain : “Dans notre pays, le génie ne brille pas, il brûle" “Pour moi, Yamina Mechakra incarne l'Algérie tombée en disgrâce. C'est avec une immense affliction que j'apprends sa disparition. Elle m'a écrit il y a trois ans pour m'annoncer son admission à l'hôpital. Je l'avais tout de suite appelée. Sa voix au bout du fil me parvenait du bout de la nuit. Je lui avais envoyé un bouquet de fleurs et je lui avais promis de lui rendre visite. A l'hôpital on m'avait dit qu'elle était rentrée chez elle. Je n'ai pas réussi à obtenir son adresse. J'avais tellement besoin de la rencontrer pour lui dire ce que ‘La Grotte éclatée' m'avait apporté. Un roman économe de ses moyens, mais d'une intensité troublante. Kateb Yacine avait salué en elle la force tranquille d'un talent sain et juste. Yamina fut une dame éclairée. Mais dans notre pays, le génie ne brille pas, il brûle. Oubliée de tous, Yamina a vécu le naufrage auquel sont voués les consciences et les généreux chez nous. Aujourd'hui, elle repose dans nos mémoires sinistrées". Benamar Mediene, universitaire et écrivain : “Kateb, Issiakhem voyaient en elle une résurrection de la Kahina" “Je suis navré d'apprendre le décès de Yamina Mechakra que j'ai rencontrée avec Kateb Yacine. ‘La Grotte éclatée' a été pour moi un livre-coup de tonnerre, une introspection à vif dans l'inconscient des Algériens. Ce livre est un oued de feu écrit d'un seul souffle, comme si Yamina était dans l'urgence de dévoiler, de verbaliser ce qu'elle avait aperçu au fond de la grotte, là où gisent les secrets de l'être dans ses utopies et ses désespérances. Kateb avait bien vu en Yamina une sœur siamoise avec laquelle il aurait escaladé le Djurdjura pour faire entendre le chœur féminin-masculin déclamant le retour des ancêtres et la déchéance des imposteurs, voleurs de symboles: Yamina, archéologue de l'esprit, était une femme qui savait métamorphoser ses failles, sa timidité, son humilité dans l'attente d'une complicité avec celles et ceux qui œuvrent dans l'imaginaire et l'incarnent dans la parole et l'art. Kateb, Issiakhem l'aimaient et voyaient en elle une résurrection de la Kahina. L'absence d'Issiakhem, puis de Kateb, l'a rendu orpheline. Que le silence est cruel, que le silence est injuste quand une âme si belle, quand une intelligence si vive, disparaît au fond de l'horizon sans recevoir quelques fleurs ou un signe de la main". Saïd Yassine Hannachi, directeur des éditions Média-Plus : “Sa disparition est une perte pour le monde de la littérature" “Je n'ai pas eu l'honneur de connaître personnellement cette grande dame, sa disparition est une perte pour sa famille, pour nous, pour l'Algérie et pour le monde de la littérature. Je me permets de partager ces quelques lignes contenues dans le livre ‘les Belles algériennes, confidences d'écrivaines' signé par Nassira Belloula et publié en 2006 par les éditions Média-Plus de Constantine. ‘J'écris avec mon cœur, mes viscères ; mes textes, en gestation, sont des accouchements douloureux'. Yamina Mechakra disait : ‘les gens s'imaginent que je me suis tue. Or je n'ai cessé d'écrire, mais j'écris et je perds. Je n'ai pas la chance de Kateb Yacine qui a eu Jacqueline Arnaud qui a sauvé et fixé ses textes transhumants. J'ai commencé à écrire à neuf ans, un roman à douze ans (manuscrit illustré de ses propres dessins intitulé ‘le Fils de qui ?') et j'ai publié à vingt-quatre ans. Je viens de sauver Arris et je n'en ai publié qu'un dixième. A l'origine, Arris fait 400 pages, et la mythologie d'Araki incluse dans le roman 120 pages. ‘Une femme qui écrit vaut son pesant d'or', disait d'elle Kateb Yacine en préfaçant ‘la Grotte éclatée', écrit en 1973. Il aura fallu le réécrire trois fois, trois versions, toutes lues par Kateb Yacine pour que Yamina Mechakra décide de le publier en 1979". S. K. Nom Adresse email