La visite rendue mardi par Abdelmalek Sellal et Ahmed Gaïd Salah au président Bouteflika aux Invalides, au lieu de mettre un terme aux spéculations et aux rumeurs comme escompté, ne fait que les relancer de plus belle. Lecture. Abdelmalek Sellal et Gaïd Salah reçus aux Invalides par le président Bouteflika. Cette rencontre parisienne de trois responsables de hautes institutions algériennes pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses aux interrogations qui foisonnent depuis le 27 avril dernier, date de l'hospitalisation du chef de l'Etat à l'hôpital militaire français du Val-de-Grâce. M. Sellal et M. Gaïd Salah ne sont certainement pas partis à Paris pour rendre visite à un malade, Abdelaziz Bouteflika en l'occurrence, comme le feraient des gens ordinaires qui, moyennant visas, billets d'avion et quelques euros en poche, se rendraient dans la capitale française pour y voir un proche, un ami ou un collègue hospitalisé. C'est bien le Premier ministre algérien et le chef d'état-major de l'ANP qui ont fait le déplacement, dans un avion de la Présidence, pour rencontrer le chef de l'Etat algérien en "convalescence". Et, si l'on se réfère à la déclaration faite par Abdelmalek Sellal à l'APS, à sa sortie des Invalides, et aux images diffusées hier par l'ENTV, c'est plutôt une véritable réunion de travail, agrémentée de café et de petits fours, qui a regroupé les trois responsables. Un communiqué de la présidence de la République, rendu public hier en fin d'après-midi, parlait tout simplement d'une "audience" accordée simultanément par Bouteflika au Premier ministre et au chef d'état-major. Une première. Mais Bouteflika avait-il besoin d'une telle séance juste pour donner des "directives" ? Assurément, le but de cette triangulaire unique dans les annales était ailleurs. Pour sûr, il y avait d'abord le besoin de montrer la "preuve" de l'"évolution positive" de la santé du chef de l'Etat et, donc, celle de l'"inopportunité" de la mise en branle des procédures prévues par l'article 88 de la Constitution. Mais l'opération visait manifestement un autre objectif : celui de suggérer à l'opinion nationale et internationale que le dossier de la santé du chef de l'Etat n'est pas (ou n'est plus) un secret de famille et qu'il n'est pas (ou n'est plus) géré par le cercle étroit du clan présidentiel dont le pivot n'est autre que Saïd Bouteflika, mais (désormais) par les institutions de l'Etat. Et que, par conséquent, l'Algérie n'est pas cette "république bananière" où le frère du Président jouit, de par ce lien de parenté, de tous les pouvoirs, y compris celui de mettre en veilleuse les institutions, les lois et la Constitution. Pendant 45 jours, en effet, aucun officiel n'avait pu rendre visite au président de la République et seuls les membres de sa famille étaient autorisés à le voir pendant que le Premier ministre et l'ensemble des membres de son gouvernement étaient, à l'instar d'autres responsables, contraints de répercuter les thèses rassurantes du clan, quitte à se montrer "obséquieux". Une situation qui commençait à devenir intenable, à tel point que le Premier ministre avait fini par montrer des signes d'irritation. Comme pour faire d'une pierre deux coups, les architectes de cette opération de com ont sans doute pensé que, désormais, les uns et les autres seraient plus à l'aise et que l'opinion publique serait plus encline à accorder du crédit à leurs déclarations futures sur l'état de santé du chef de l'Etat. Mais cela marchera-il comme prévu ? Pas si sûr. Car les images vues hier à la télé montraient un Bouteflika assis, emmitouflé dans un sombre peignoir, le geste lent, le visage et la bouche légèrement déformés, remuant à peine le bras gauche et mâchant péniblement son petit four. Et, surtout, pas de son. Qui plus est, aucune image du Président debout. Il ne pouvait manifestement pas supporter une telle station, contrairement à 2005, lors de sa première hospitalisation au Val-de Grâce, où on l'avait vu recevoir une équipe de la télé, faire quelques pas, avant de se rasseoir. Reste l'autre couac qui pourrait compromettre les chances de succès de l'opération de ce mardi 11 juin : la composante binaire de la délégation qui a fait le déplacement aux Invalides. Aucun représentant d'institution élue. Ni le président du Sénat, ni celui de l'Assemblée, ni celui du Conseil constitutionnel. Seulement le Premier ministre et le chef d'état-major de l'ANP. Le Premier ministre ? Soit. Mais pourquoi le chef d'état-major ? En convoquant ce dernier en compagnie du Premier ministre, Bouteflika voulait-il impliquer l'institution militaire dans ce plan en faveur du clan présidentiel ? Une lecture que vient corroborer la réponse, quelque peu tardive, rédigée sous forme de mise au point et de fin de non-recevoir, que vient de donner le ministère de la Défense nationale à l'appel de Mohamed Mechati aux "décideurs", dans lequel il les conjurait d'intervenir pour mettre fin au règne de Bouteflika. Mais l'ANP ne s'est-elle pas ainsi mêlée, de fait, dans le micmac politique en cours ? Un autre couac, et non des moindres : le Premier ministre n'a pas soufflé mot, hier, alors qu'il avait déclaré, mardi, à l'issue de sa rencontre avec Bouteflika, qu'il allait donner des "détails" sur cette entrevue. Au lieu de cela, c'est à un communiqué de la Présidence qu'on a eu droit. Histoire d'empêcher Sellal de se faire le porte-parole du chef de l'Etat ? Et de lui signifier que sa "mission" a pris fin à l'issue de son entrevue avec Bouteflika ? Ces questions et d'autres resteront posées. Elles sont de nature à alimenter les supputations qui iront crescendo. Et la période de "réadaptation fonctionnelle" de Bouteflika, qui semble devoir durer dans le temps, ne fait que commencer. Une opération de com pour rien. S C Nom Adresse email