Abrogation ou modification ? Il règne actuellement une totale confusion autour de l'article 87 bis relatif aux relations de travail, qui sera au menu de la prochaine tripartie annoncée pour le mois de septembre. Pourquoi l'Exécutif tergiverse sur ce dossier latent depuis 2005. Des éléments de réponse dans cet entretien. Liberté : Comment a évolué la masse salariale en Algérie de 2003 à 2013 ? M. Mebtoul : Je déplore qu'aucune enquête sérieuse sur les salaires depuis 30 ans n'ait été réalisée au niveau de l'ONS et les seules indications qui ont été données, c'est en 2005 (page 16 : l'Algérie en quelques chiffres) et un tableau statistique en 2012. Selon nos calculs, le ratio global masse salariale sur le PIB total administration et secteur économique serait de 22,10% en 1991, 20% en 2001 et 19,60% en 2006. Selon l'enquête publiée en 2012 par l'ONS (couvrant la période 2006/2011), la masse salariale est passée de 19,5 en milliards de dollars en 2006, 22,4 en 2007, 27,8 en 2008, 30,9 en 2009, 37,9 en 2010 et 49,6 en 2011. Au vu que, selon le FMI, le PIB algérien a été de 158,97 milliards de dollars en 2010, 183,4 en 2011, 188,6 en 2013 et avec un taux de croissance de 3,4% pour 2013, tendrait vers 195 milliards de dollars, le ratio PIB sur masse salariale est passé de 23,77% en 2010, à 26,99% en 2011 et tendrait vers 43,70% en 2013, ce qui est vraiment inquiétant. Au vu des accroissements respectifs qui ne sont pas linéaires, et dans l'hypothèse où la tendance 2010/2011 serait semblable entre 2012/2013, la masse salariale globale devrait tendre vers les 90 milliards de dollars fin 2013 (un dollar environ 77 dinars). Selon le ministre des Finances, dans une déclaration récente courant 2013, le montant des salaires de la Fonction publique serait de 34 milliards de dollars, soit 38% du total de la masse salariale auxquels s'ajoutent 17 milliards de dollars pour les transferts sociaux. Il y a actuellement une confusion concernant l'article 87 bis relatif aux relations de travail. Sera-t-il finalement abrogé ou simplement modifié ? L'article 87 bis de la loi 90-11 d'avril 1990, modifiée et complétée en 1997 relative aux relations de travail comprend le salaire national minimum garanti, le salaire de base, les indemnités et primes de toute nature à l'exclusion des indemnités versées au titre de remboursement de frais engagés par le travailleur. Concernant justement son éventuelle modification ou abrogation, il y a actuellement une totale confusion, la décision finale revenant au gouvernement où ce dossier, qui revient d'une manière récurrente depuis 2005, sera étudié à la prochaine tripartie. Dans une déclaration récente de juin 2013, pour le représentant du gouvernement qui parle de modification et non d'abrogation, ce choix "éviterait un rapprochement de salaire entre les travailleurs dont les qualifications et ancienneté diffèrent et d'avoir une vision uniforme de la politique salariale conformément aux définitions en vigueur dans les Etats du nord et du sud de la Méditerranée et aux exigences économiques et attentes sociales". Rappelons que cet article a été élaboré par le Fonds monétaire international, qui a imposé des conditionnalités draconiennes à l'Algérie, en cessation de paiement en 1994. Quelle pourrait être l'impact dans un cas ou l'autre sur le salarié ? Cette démarche, si elle venait à être adoptée, aura une incidence sur deux éléments majeurs. Le SNMG dans sa période active et sa pension une fois validée les années de travail dans la période de la retraite, du fait que le système de calcul applique une grille de calcul qui prend en compte le salaire soumis à cotisations à l'exclusion des prestations à caractère familial (allocations familiales, primes de scolarité, salaire unique, etc.), et les primes à caractère exceptionnel (primes de départ à la retraite, indemnité de licenciement, etc.). La conséquence d'une telle mesure réside dans le fait que le salarié est appelé à percevoir ses 18 000 DA de SNMG dans leur totalité sans avoir à subir aucune soustraction, comme auparavant, encore que certains syndicats autonomes plaident que le SNMG soit calculé sur le salaire net et non brut, c'est-à-dire après défalcation des retenues. Se pose effectivement le problème des retraités du fait que la loi est rarement rétroactive. Certains vivent avec un salaire dérisoire épongé par l'inflation alors que les cadres supérieurs de l'Etat suivent la progression de leurs collègues actifs. C'est une profonde injustice sociale. Exemple un professeur d'université en fin de carrière mis en retraite entre 1995/2000 perçoit à peine 40 000 dinars par mois. À combien évaluez-vous l'incidence financière de la suppression de l'article 87 bis ? Pour l'UGTA, qui après des hésitations, a suivi les syndicats autonomes, qui seront conviés pour la première fois à la prochaine tripartite, les calculs des incidences sont modérés. L'alignement du SNMG sur le salaire de base et l'IEP concernerait près de 693 313 fonctionnaires et induirait une incidence financière de près de 49 milliards de dinars. Alors que dans le cas de la suppression du 87 bis (alignement du SNMG sur le salaire de base), l'incidence financière serait de près de 76 milliards pour un effectif de 997 679 fonctionnaires. Toujours, selon l'UGTA, pour le secteur économique, à Cosider, la masse salariale globale augmenterait de plus de 38,69% avec l'abrogation du 87 bis mais ne donne pas le montant en cas de l'alignement du salaire de base avec l'IEP. Qu'en sera-t-il dans les autres PMI/PME représentant plus de 90% du tissu économique où la masse salariale au sein de la valeur ajoutée dépasse souvent les 50% ? Un exemple récent du mois d'août 2013, pourtant d'un grand complexe, où l'administration du complexe sidérurgique d'El-Hadjar a indiqué ne pas être en mesure d'assurer financièrement les augmentations de salaires proposés par le syndicat d'entreprise. Bien que la situation diffère d'une entreprise à une autre, c'est la même inquiétude des organisations syndicales patronales (CAP-CNPA-CGEOA, CIPA) rejointes par le FCE, un important centre de réflexion, pour qui le relèvement des salaires suite à l'abrogation de cet article aura pour incidence 20% d'augmentations qui toucheront tous les salaires. Selon certains chiffres révélés en 2005, le gouvernement estimait l'impact financier de la suppression de l'article 87 bis à 500 milliards de dinars pour l'Etat et 40 milliards pour les entreprises, soit plus de 7 milliards de dollars. Ces données ont été calculées avant les augmentations généralisées récentes des salaires. L'impact financier serait donc beaucoup plus important en 2013 au vu de nos extrapolations précédentes. Sous l'hypothèse que les primes qui seront imposables et incluses dans le salaire à la retraite représentent environ 15 à 20% du revenu pour toutes les catégories de salariés, et ayant évalué la masse salariale à 90 milliards de dollars, cela nous donnerait, comme incidences, s'il y a effet rétroactif pour 2013, entre 13,5 et 18 milliards de dollars additionnels et ce chaque année. La productivité du travail suivra-t-elle afin d'éviter l'inflation, car toute nation ne peut distribuer que ce qu'elle a préalablement produit, si elle veut éviter une dérive sociale et politique. Pourquoi l'Exécutif n'arrive pas à trancher la question depuis 2005 ? C'est la hantise du déséquilibre macroéconomique, équilibre relatif réalisé depuis l'ajustement structurel des années 1994 par d'importants sacrifices de la population algérienne et d'un retour à l'inflation à deux chiffres. Cela s'est vérifié récemment où, selon l'officiel, le taux d'inflation a doublé en 2012 par rapport à 2011 avec un niveau rarement atteint de plus de 9% dont entre 15/ 25% pour les produits de première nécessité coïncidant avec les augmentations généralisées des salaires. Sur le plan macroéconomique, du fait que l'Algérie exporte 97% d'hydrocarbures et importe 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées (dont le taux d'intégration ne dépasse pas 15%) la forte augmentation des salaires, n'ayant pas induit une productivité proportionnelle, a conduit inévitablement à une augmentation en valeur des importations. Du fait de la rigidité de l'offre, il y a risque d'une hausse des prix internes, c'est-à-dire l'accélération du processus inflationniste, pénalisant les couches les plus défavorisées, car l'inflation joue toujours comme facteur de concentration de revenus au profit des revenus variables non concernés par cet article et au détriment des revenus fixes. Cette poussée récente des importations est donc le fait à la fois, certes, de certaines surfacturations (pas de contrôle, cotation administrative du dinar), mais également des augmentations de salaires et que l'Algérie ne produit presque rien avec le dépérissement du tissu industriel (moins de 5% du PIB). Si la tendance se maintenait pour le 2e semestre 2013, devant prendre en compte la balance des paiements et non la balance commerciale, nous aurons 60 milliards d'importation de biens, montant auquel il faut ajouter plus de 12 milliards de dollars de services (montant de 2012) plus les rapatriements légaux des profits des sociétés étrangères (entre 4 à 5 milliards de dollars), soit au total 76/77 milliards de dollars, devant soustraire les exportations hors hydrocarbures et les transferts venus de l'étranger (mais insignifiants), ce qui donnerait un solde dépassant les recettes de Sonatrach. Quels genres de contreparties pourrait demander le patronat lors de la tripartie ? Les opérateurs économiques demanderont des aides à l'état sous forme de subventions supportées par le Trésor public, baisse de la TVA, taux d'intérêt bonifiés ou des exonérations fiscales, et ce, suite aux augmentations de salaires qu'ils ne pourront supporter. En cas de mésentente avec le gouvernement, il y a le risque de voir bon nombre d'entrepreneurs privés de la sphère productive, n'ayant pas les capacités de financement, se réfugier dans la sphère commerciale spéculative ou informelle déjà florissante, où des monopoleurs contrôlent plus de 50% de la masse monétaire en circulation (environ 62 milliards de dollars en 2012), où tout se traite en cash, facilitant l'évasion fiscale estimée à environ 2/3 milliards de dollars par an. Certes, la problématique des salaires est un sujet épineux, et cela n'est pas propre à l'Algérie. Mais le problème essentiel auquel est confronté notre pays est d'avoir une meilleure gouvernance et d'asseoir un état de droit qui conditionne une transition d'une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, liée à une transition énergétique – mix énergétique – du fait de l'épuisement des ressources traditionnelles horizon 2025/2030, dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux. C'est la condition afin d'améliorer le pouvoir d'achat des Algériens, supposant un profond réaménagement des structures du pouvoir assis sur la rente, et donc de réhabiliter les véritables producteurs de richesses, l'entreprise et son fondement : le savoir. N. H Nom Adresse email