Avec un nom à consonance européenne mais née en Algérie pour l'une, et un nom à consonance algérienne mais née en France pour l'autre, Eveline Safir Lavalette et Aicha Aliouate sont deux femmes nées pour vivre françaises mais que leur destin a réuni, sans jamais qu'elles ne se connaissent, autour de la révolution algérienne pour laquelle elles ont tout abandonné mais que l'Histoire officiel de l'Algérie indépendante a réduit à l'oubli. Malgré son âge de 86 ans, Eveline Safir Lavalette s'est rendue, vendredi, dans la région d'Abane Ramdane où elle a livré un témoignage aussi poignant qu'émouvant sur son parcours de combattante qui fut même emprisonnée et torturée pour l'Algérie. Aujourd'hui elle se réclame « juste algérienne » et c'est d'ailleurs le titre de son livre qu'elle ne comptait jamais éditer si ce n'est l'encouragement de Ghania Mouffok. Son livre c'était toute son histoire. Son cahier de prison. Arrêtée en novembre 1956 elle a passé trois longues années en prison d'où elle en est ressortie physiquement très affaiblie. Née à Alger en 1927, de père républicain et d'une mère riche, Lavalette avait de quoi vivre tranquille dans une Algérie où elle était, comme tous les colons, séparée des musulmans. D'abord à travers les mouvements de jeunesses puis à travers la revue « Conscience Maghrébine » elle devient sensible au vécu social des algériens, puis à leur vie économique dramatique avant de s'intéresser à leur situation politique, raconte t- elle. Depuis, elle ne cesse de porter l'Algérie dans son cœur. Au déclenchement de la révolution elle commence par héberger des algériens recherchés avant de s'impliquer davantage. Elle rencontre plusieurs fois Abane Ramdane et Ben Khedda et son implication va crescendo. « Un jour, au cours de mon transfert d'une prison vers une autre, mes amis m'ont craché dessus » se souvient-elle. A sa sortie de prison, en 59, elle repart en France grâce à Pierre Chaulet et se remit à enseigner dans une école privée. Elle rentre en Algérie à l'indépendance et elle siège dans l'assemblée constituante puis à la toute première assemblée nationale où, aux côtés d'une quinzaine de députés, elle refusa d'apporter son quitus à Boumediene. Depuis, elle rejoint la communauté des réduits au silence. Aicha Aliouate, elle, c'est Daho Djerbal, cet imminent historien qui s'est toujours dressé de travers de la gorge des imposteurs et autres falsificateurs de l'histoire de la révolution, qui a tiré son nom de l'anonymat. Elle était une des femmes qui ont permis à l'organisation spéciale de la fédération de France du FLN d'exister même après le départ, contraint, en Allemagne de ses membres. Née en 1930 en France d'un père originaire de Tikjda et d'une mère Franco-belge, Aicha Aliouate, était la femme qui assurait la liaison entre les sections de l'organisation spéciales dont même la DST n'a pu remonter l'organigramme. Daho Djerbal raconte qu'elle a déposé une bombe au 3ème étage de la Tour Eiffel où étaient installées toutes les radios qui servaient à la communication dans toute l'Ile-de-France. Lors d'un café littéraire organisé vendredi par l'EMEV à la bibliothèque communale de Larbâa Nath Irathen autour du thème de son dernier livre : l'organisation spéciale de la fédération de France du FLN, le conférencier a souligné que Aicha avait tout perdu, sauf son engagement pour l'indépendance de l'Algérie. Elle été reniée par son mari et séparée de ses enfants après avoir intégré le groupe de choc de l'organisation spéciale. Cette organisation qui n'a jamais appartenu, a-t-il précisé, au comité fédéral ou à la direction politique et militaire de la révolution mais qui a, faut-il le noter, qui a pu mener une offensive sur le territoire ennemi, une offensive plus retentissante à partir de 1958, soit après le passage des cibles politiques aux cibles stratégiques et militaires sur le territoire français. Selon Djerbal, nombreux de ces hommes et femmes comme Aicha Aliouate qui ont fait trembler la France sur son territoire n'existent même pas dans l'Histoire officiel de l'Algérie. Aujourd'hui, le parcours, l'engagement et le sacrifice de ces femmes françaises qui, comme nombreuses autres encore, ont choisi l'Algérie se dresse encore comme un sanctuaire de patriotisme qui rappelle qu'il ne suffit pas d'être arabo-musulman pour être profondément algérien, comme l'a considéré Ghania Mouffok. Ce sont, certes, et les conférenciers en sont convaincus, tout ces fragments de vie chargés d'humanisme et à la fois de patriotisme, toutes ces histoires presque personnelles qui avaient contribué à l'édification de l'Histoire de tout un pays, mais jamais racontées, qui ont permis aux imposteurs de tout bords de prendre des allures d'astres scintillants. S L Nom Adresse email