«Je suis née en 1927 à Alger. Depuis 1993, je suis veuve de Abdelkader Safir qui fut journaliste… J'ai vécu mon enfance et ma jeunesse à Rouiba. Mes familles paternelle et maternelle vivaient en Algérie depuis deux générations», déclinera Eveline Safir Lavalette. son identité : Juste Algérienne, comme une tissure. Un je ne sais quoi de fébrile régnait dans l'air hier après-midi à la librairie Omega, à l'hôtel Aurassi, à Alger. Et pour cause ! Une rencontre littéraire y avait été animée par l'auteure, Eveline Safir Lavalette, et ce, autour de son ouvrage Juste Algérienne, comme une tissure, sous les auspices des éditions barzakh l'ayant signée. La librairie Omega était bondée. Et l'on fait le pied de grue pour avoir un livre dédicacé. Evelyne Safir Lavalette, 86 ans, alerte, verte, jurant avec la gérontologie. Ici, elle appose une dédicace personnelle et personnalisée ; là, elle demande à la personne si elle a lu son livre ; là-bas, elle discute avec une ancienne détenue, une moudjahida de France ; ou encore à côté, elle se lève et embrasse un ami. Une preuve patente de son humilité et autre grandeur d'âme. Eveline Safir Lavalette a publié cet ouvrage Juste Algérienne, comme une tissure, non pas pour décliner son identité, justifier sa nationalité ou encore prouver son «algérianité». Au contraire ! Pour nous dire qu'elle est issue du tissu familial, filial, ombilical et voire biologique de son humus natal, l'Algérie. D'ailleurs, Eveline Safir Lavalette, avec pédagogie (ce n'est guère un grief), explique la polysémie du vocable «tissure» et ce, à travers des exemples : «façon dont les fils sont tissés. La tissure de cette toile est inégale. Ma vie, comme une tissure inégale. Je veux retisser ma vie (une citation du poète Youcef Sebti in L'enfer et la folie).» Et ce, de par une prémisse, un syllogisme d'une grande philosophie. «Cela veut dire que je suis Algérienne. Avant 1954 et après je n'ai eu aucune discrimination à l'endroit de nom et prénom. Il y avait des Algériens non musulmans…», rétorque-t-elle. Elle la battante et combattante à son corps défendant de la cause et la révolution algérienne. Elle qui a tutoyé l'histoire en côtoyant Ben Khedda, Abane, Krim Belkacem, Ben M'hidi et d'autres. Elle a activé et milité au sein du Front de Libération Nationale (FLN) en effectuant des liaisons avec remises de documents, hébergement de moudjahidine, transport de matériel, impression de tracts… «J'effectuais des liaisons d'abord sur Alger, puis de façon régulière sur Oran ; remise de documents ou de colis à Hadj Allah, responsable de la Wilaya d'Oran… J'hébergeais à différentes reprises Oumarane, le colonel Sadek, Krim Belkacem, Ben M'hidi, Ben Yahia… Abane, Ben Yahia, Drareni rencontraient Benkhedda chez moi…», écrit-elle. Elle fut arrêtée et torturée en novembre 1956 par la police française. Elle fut libérée en 1959. «J'ai pris conscience de la réalité de l'algérie» A l'indépendance, en 1962, élue à l'Assemblée constituante, puis à la première Assemblée nationale en 1964, elle participera à l'étude et la mise en place du système éducatif. En 1967, elle épousera le journaliste Abdelkader Safir (pionnier de la profession) et mène, jusqu'à sa retraite, une carrière au ministère du Travail. Elle habite aujourd'hui à Médéa. A propos de son livre, elle indiquera : «J'ai toujours écrit. Mais pas pour être éditée. C'est une amie, la journaliste Ghania Mouffok qui m'a encouragée à le faire. Ce ne sont pas des mémoires… C'est au sein des scouts, l'association AJAS - un mouvement de jeunesse - que j'ai pris conscience de la réalité de l'Algérie que j'ignorais (le colonialisme). Où nous étions des musulmans, des non-musulmans, des animateurs. Et puis, ce fut les SMA (Scouts musulmans algériens), le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), le FLN (Front de libération nationale)…». «Quand je rencontre une écriture, je sais la reconnaître. Jamais je n'ai lu un texte aussi intime et puissant sur la guerre de Libération nationale telle que vécue par une femme… Ce livre vient d'un long silence. Il est découpé en petites histoires datant de 1956…», présentera la journaliste Ghania Mouffok, Juste Algérienne, comme une tissure de Eveline Safir Lavalette dans une préface de 14 pages. Une précieuse caution. Dans un style inédit, un texte textile, elle tisse son histoire. Entre une écriture scripte et cursive, entre prose et poésie, entre pleins et déliés. Elle consigne au courant de sa plume un trait historique, carcéral, affranchi, domestique, épistolaire, bucolique comme celui soulignant son petit coin florentin, Benchicao, Médéa. Et ça file du bon coton !
Juste Algérienne, comme une tissure Eveline Safir Lavalette Editions Barzakh (2013) 205 pages