Epouse d'Abdelkader Safir : c'est ainsi qu'elle a été longtemps connue, sauf de ceux qui l'avaient approchée. Lui-même (1925-1993), pourtant l'un des éminents pères du journalisme algérien, avait été oublié dans ce village montagneux de Benchicao, près de Médéa, où il cherchait le répit à sa maladie respiratoire. C'est avec la naissance de la presse indépendante qu'il sera reconnu par ses jeunes confrères, qu'il reprendra la plume avec ses fameuses Lettres de Benchicao, que des hommages lui seront rendus et que la Maison de la presse de Kouba prendra son nom. Dans cette résurgence tardive, Eveline Lavalette apparaîtra en pointillés, comme la chère «moitié» de son mari, soucieuse avant tout de le mettre en avant. Cette moitié-là pourtant, dispose d'une admirable entièreté qu'une immense humilité a longtemps laissée ignorée. Son ouvrage* vient la mettre en lumière, après un très long silence que notre consœur, Ghania Mouffok, signale dans sa belle préface. Evelyne Lavalette-Safir aura attendu ses 86 ans pour publier, soit 20 ans après le décès de son mari, comme s'il lui avait fallu deux décennies pour accepter cette apparition publique où, souvent, d'ailleurs, elle parle d'elle à la troisième personne. Tout simplement un bonheur de livre. Par ce qu'on y apprend. Par ce qu'on y ressent. Hors genre, il contient des récits, des poèmes, des chroniques, des lettres, des photos… Le parcours d'une vie exaltante de femme, d'épouse, de moudjahida et de citoyenne algérienne. Destin ô combien exceptionnel de cette fille, issue d'une famille de grands négociants de vin attachée à des valeurs humanistes ! Elle prit, dès 1955, fait et cause pour l'indépendance de l'Algérie. Née en 1927 à Alger, elle se retrouvera plongée dans la guerre aux côtés de Ben Khedda, Abane, Ben M'hidi… Agent de liaison du FLN, elle transporte documents et matériel, héberge des moudjahidine, tape à la machine des tracts et les fait imprimer, comme l'appel à la grève des étudiants… Elle en paiera le prix fort. Arrêtée fin 1956, elle est torturée puis emprisonnée trois ans, connaissant même l'enfermement psychiatrique, car il fallait démontrer que seule la folie pouvait conduire une Française à se commettre avec les fellagas ! A l'indépendance, elle est élue à l'Assemblée constituante, puis, en 1964, à la première Assemblée nationale. Elle épouse Abdelkader Safir en 1967 tout en poursuivant sa carrière au ministère du Travail. Sortie d'une vie discrète, mais formidable, elle nous revient enfin avec une qualité d'écriture à signaler. Dans la splendeur de sa modestie.
* Juste Algérienne, comme une tissure. Eveline Safir Lavalette. Ed. Barzakh, Alger, 2013. 208 pages. 700 DA. Rencontre avec l'auteure, ce mardi 2 juillet à 14h30 à la Librairie Chihab, 10 avenue Brahim Gharafa, Bab El Oued, Alger. Extraits du livre page 16