Résumé : Je revenais du village le cœur gros. Le fils du caïd agissait tout comme son père, et comptait sur la protection des militaires français pour provoquer les paysans et les obliger à lui remettre leurs récoltes. J'étais écœuré. Je le serais encore plus en découvrant le corps mutilé du petit Ali... En remontant vers la grange, ce dernier avait marché sur une mine. Je repense à Ali. Tout le monde doit savoir qu'il est mort... Qu'il a eu une mort atroce, alors qu'il voulait remonter jusqu'à la grange pour nous avertir. -Ali est mort... Da Belaïd me regarde d'un air curieux. Je poursuis : -Je viens d'enterrer ce qui restait de son petit corps mutilé... Il a marché sur une mine... Il voulait nous rejoindre. Da Belaïd se mordit les lèvres. La mort du petit Ali allait sûrement tous nous marquer. Emu, et ne trouvant aucun mot à dire, il me prend par les épaules et me conduit à l'intérieur de la grange. Kheira pleurait encore la mort de son frère et de Kamel. Elle relève les yeux vers nous avant de les rabaisser dans un geste d'impuissance. Malika et Fatiha semblaient terrorisées. Elles avaient déjà empaqueté tout ce qu'on pouvait emporter. Amar s'avance vers nous, et Da Belaïd lui lance d'une voix triste : -Ali a été déchiqueté par une mine. Fatiha porte la main à sa bouche et Malika pousse un petit cri, tandis que tout le monde se levait en même temps pour se rapprocher de moi. - Où l'as-tu trouvé ? - Pas loin de la rivière. Je remontais du village par le raccourci habituel. - Pauvre Ali... Il n'était encore qu'un enfant... - Que deviendront les autres sans lui... Sa mère, ses sœurs... - Que Dieu soit avec eux. Da Belaïd se racle la gorge avant de poursuivre : -Nous devons quitter les lieux tout de suite. Les mines ne sont qu'un prélude... Un ratissage est à craindre, d'autant plus que Boualem vient de confirmer la présence de militaires français au village. Ils sont là pour aider le fils du caïd à reprendre les rênes au détriment de ces petits paysans qui doivent passer sous leur joug. Nous pourrions peut-être revenir plus tard pour voir ce qui se passe. L'urgence est signalée pour nous. À peine ces derniers mots prononcés, que nous entendîmes un terrible bruit... Un bombardement... L'ennemi nous attaquait avec un canon de 120 mm. De l'autre côté de la colline, on avait dressé un camp. Depuis quand sont-ils là ? Personne n'avait rien remarqué auparavant... Les mines ne suffisaient pas... Il fallait utiliser d'autres moyens... La forêt prenait feu... Nous nous mettions à courir dans tous les sens... La grange était visée... On avait découvert notre refuge. Amar, Si Ahmed, Da Belaïd, les trois femmes et moi prîmes un sentier qui menait vers l'ouest. D'autres frères nous suivaient... Nous étions une trentaine. Un groupe assez important, mais qui ne pouvait faire face, sans les moyens requis, à cette avalanche de bombes et de rafales d'armes automatiques. Tel un bouclier, nous serrions tous nos mitraillettes contre nous, un rempart contre l'ennemi. Si Ahmed se retourne vers moi : -Boualem... -Oui, papa ? -S'il m'arrive quoi que ce soit, fouille dans mes affaires... Tu retrouveras tous mes papiers... Tâche de remettre aussi ce qu'il y a dans mon sac à dos à ma famille. Je sentis une boule se former au fond de ma gorge. Non... Si Ahmed... Je ne veux pas qu'il meurre... Il était mon papa... Ce papa récemment retrouvé... Comme s'il lisait dans mes pensées, il me presse l'épaule : -Je ferais la même chose pour toi s'il t'arrivait quoi que ce soit. Nul n'est à l'abri des mauvaises surprises, mon fils. Nous continuions de courir. La terre tremblait sous nos pieds... Les bombes pleuvaient... Nous nous protégions du mieux que nous le pouvions... Parfois sous des arbres, parfois sous des rochers, tout en sachant que rien ne pouvait empêcher une bombe de nous atteindre. J'entendais des cris derrière moi... Deux frères venaient de recevoir des projectiles. L'un à la tête, et l'autre en plein thorax... Il n'y avait plus rien à faire pour eux. (À suivre) Y. H. Nom Adresse email