L'Algérie doit affronter en même temps deux problèmes redoutables si elle veut assurer son développement économique et l'équilibre de la société. D'une part, des cohortes de jeunes demandeurs d'emploi viennent en masse sur le marché du travail ; mais ces jeunes sont issus d'un système de formation totalement déconnecté du monde de l'entreprise, donc difficilement employables. C'est cette même quadrature du cercle qui s'est posée à la Chine et qu'elle a réussi à résoudre grâce aux réformes initiées par Deng Xiao Ping à la fin des années 70. Il paraît dès lors pertinent de vouloir tirer des leçons de cette expérience pour engager nos propres réformes. Comment la Chine a-t-elle réussi à réformer son système d'enseignement supérieur ? Le constat sur la qualité et l'efficience du système d'enseignement supérieur algérien est sans appel. Il a largement prouvé sa faillite, notamment dans sa capacité à répondre aux besoins de l'économie. C'est un même constat qui a été fait par l'équipe de Deng Xiao Ping à la fin des années 70, après la mort de Mao. La Chine disposait alors d'un système d'enseignement ultracentralisé, peu tourné vers les besoins de l'économie. À partir de la fin des années 80 et surtout dans les années 90, dans le sillage des grandes réformes entreprises par Deng Xiao Ping, la Chine a décidé de modifier profondément son système d'enseignement supérieur. La ligne conductrice de ces réformes a consisté à adapter le système d'enseignement supérieur aux besoins de l'économie chinoise, engagée elle-même dans des réformes majeures. En 1978, lors d'une rencontre du comité central du parti, Deng Xiao Ping déclarait : "Le système d'enseignement supérieur doit désormais être au service de la transformation de l'économie chinoise." C'est là une orientation fondamentale d'où vont découler l'ensemble des réformes qui vont transformer de façon drastique le système d'enseignement supérieur chinois. Que sont les principes que l'on peut déceler dans les réformes de l'enseignement supérieur chinois ? Quatre grands principes émergent dans les transformations engagées par les Chinois. Ces principes constituent de vraies révolutions par rapport au système antérieur : A- Abandon du système monolithique qui caractérisait l'organisation et le statut des universités. À la place d'un modèle unique, appliqué à l'ensemble des universités, on a vu surgir progressivement plusieurs modèles. L'un des modèles a consisté à ériger des "universités d'excellence" (elite universities), destinées à rivaliser avec les meilleures universités mondiales. Ils ont ainsi retenu dix universités auxquelles on a donné les moyens de se hisser au standard internationali. C'est l'ancien président Jiang Zemin lui-même qui, en 1998, déclarait : "La Chine devait se doter d'universités de classe mondiale." Parmi ces dix universités (1), deux d'entre elles – l'université de Pékin et l'université Tsinghua – devaient devenir les "Harvard" et les "Yale" de la Chine. Elles le sont devenues aujourd'hui avec un corps professoral international de haut niveau et des programmes qui comptent parmi les plus innovants au monde. Parmi les moyens devant permettre les progrès attendus, le partenariat international avec des universités prestigieuses américaines, européennes et australiennes a été largement utilisé (2). Aujourd'hui, le corps enseignant comprend de grands noms venant de ces universités étrangères. On y compte même plusieurs prix Nobel. Les autres universités devaient chercher à se consolider en fusionnant les programmes, les laboratoires de recherche et les autres infrastructures pour plus d'efficacité et réduire les coûts de fonctionnement. Ou bien en fusionnant complètement pour créer de plus grandes ,universités. B- Plus grande autonomie qui permet aux universités de lancer des initiatives correspondant mieux à leurs besoins. Une plus grande autonomie a permis de remettre en question le principe de l'emploi à vie des enseignants. Désormais, dans beaucoup d'universités chinoises, seuls les enseignants de rang professoral conservent un emploi à vie. Ceux de rang inférieur ont des contrats généralement limités à des périodes allant de 3 à 12 ans au maximum. De plus, un système d'évaluation, fondé sur les publications scientifiques, ajuste la durée des contrats des enseignants. Par une ironie du sort, ce sont les Chinois qui remettent en question le fameux système du mandarinat qui sévit encore dans les universités européennes... et algériennes ! L'autonomie incite les universités chinoises à mettre en place des liaisons fortes avec le monde économique et l'entreprise. Les universités chinoises sont incitées à faire financer leurs recherches par les entreprises. On encourage aussi les étudiants à créer des entreprises. Les universités elles-mêmes créent leurs propres entreprises. C- Introduction progressive du financement de l'enseignement par les étudiants Compte tenu du nombre d'universités, la question de leur financement devient cruciale. C'est ce qui a amené les Chinois à prévoir, dans les transformations lancées, la contribution des étudiants aux frais de fonctionnement. Cette contribution ferait aujourd'hui près de 50% des coûts de fonctionnement des universités. C'est là aussi un autre tabou qui saute ! D- Ouverture de l'enseignement supérieur au secteur privé Alors qu'en en comptait moins d'une vingtaine d'années à la fin des années 90, la Chine compte aujourd'hui plus de 700 universités ou instituts de formation supérieure de statut privé. C'est en 1999 que les autorités chinoises ont décidé d'autoriser le secteur privé à investir dans l'enseignement supérieur pour faire face aux besoins de l'économie. Et en 2003, le gouvernement a autorisé le partenariat entre les institutions privées et les universités publiques. Quels sont les résultats de ces transformations ? Les succès économiques extraordinaires de la Chine tiennent beaucoup à ces transformations dans le système d'enseignement supérieur. Parce qu'il fallait donner aux entreprises les compétences nécessaires pour assurer leur fonctionnement et leur développement technologique. Ce n'est pas le coût bas de la main-d'œuvre qui explique les succès économiques de la Chine. Et même si c'était le cas, il fallait trouver des managers bien formés pour mettre les gens au travail avec l'efficacité recherchée. Un autre indicateur donne une bonne mesure de l'impact de ces transformations, c'est celui de l'innovation. Dès 2010, les Chinois ont déposé plus de brevets que les Etats-Unis. Bien sûr, beaucoup de problèmes restent à résoudre par la Chine pour rendre son système d'enseignement supérieur encore plus performant. En particulier, les Chinois sont conscients qu'il faille améliorer davantage la qualité de leur enseignement. Ils viennent même d'adopter un plan spécifique pour s'attaquer à ce problème. Mais on doit reconnaître qu'en moins de 30 ans, les progrès réalisés sont réellement spectaculaires. Que devrions-nous faire en Algérie ? Comparaison n'est pas raison. Mais la réussite exceptionnelle de la Chine a indubitablement valeur d'exemple et s'en inspirer peut constituer une démarche fructueuse. Que faut-il faire alors dans notre cas ? L'expérience chinoise a montré de façon irréfutable que des verrous essentiels devront obligatoirement être levés si on veut donner à l'université la chance de se hisser aux standards internationaux, tant au plan de l'enseignement que celui de la recherche et mieux servir l'économie. Quels sont les verrous les plus importants ? Il faut se débarrasser le plus vite possible du modèle monolithique sur lequel fonctionnent encore les universités algériennes. Ce modèle est totalement obsolète car il n'encourage pas l'émulation et bride les initiatives locales. On devrait, à la place, décider de conférer à certaines universités algériennes le statut d'universités de référence auxquelles on donnerait les moyens de se hisser le plus vite possible au standard international. Cela passe obligatoirement par la mise en place de partenariats solides avec des universités internationales prestigieuses. Les autres universités devraient être encouragées à nouer entre elles des coordinations fortes pour mieux rentabiliser leurs infrastructures et moyens. Cela est d'autant plus nécessaire que les universités algériennes sont particulièrement nombreuses et les distances qui les séparent particulièrement courtes. On pourrait ainsi multiplier par un facteur élevé la rentabilité des investissements qu'elles ont reçus. Cela passe par des échanges denses entre universités (enseignants, étudiants, programmes de recherche conjoints, etc.). Cela suppose qu'on accorde une vraie autonomie au management des universités qui leur donne une grande latitude dans le choix de leurs enseignants et dans les possibilités de nouer des relations denses avec leur environnement (entreprises, centres de recherche, collectivités locales...). Le secteur privé devrait être non seulement être permis mais encouragé pour participer à l'effort général en apportant ses capacités d'initiative et ses capitaux. C'est une bizarrerie que l'Algérie soit aujourd'hui l'un des très rares pays au monde qui ne dispose pas d'universités privées ! Voilà quelques verrous qui devraient être levés le plus vite possible. Cela, bien entendu, suppose une volonté politique forte. Devrions-nous attendre longtemps notre Deng Xiao Ping pour amorcer ce virage vital ? Les dirigeants algériens ont jusque-là pensé préserver la paix sociale en n'engageant pas les réformes nécessaires. S'ils tardent trop, en paraphrasant Churchill, ils n'auront ni la paix sociale ni le développement économique ! On devrait décider de conférer à certaines universités algériennes le statut d'universités de référence auxquelles on donnerait les moyens de se hisser le plus vite possible au standard international. Cela passe obligatoirement par la mise en place de partenariats solides avec des universités internationales prestigieuses." S. S. (*) Consultant en management Nom Adresse email