Quelle est la recette de réussite des BRICS et qu'ont-ils fait que nous n'avons pas fait pour devenir des économies émergentes ? Comme on le sait, les BRICS sont un ensemble de pays comprenant le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. Ce regroupement a été proposé par Jim O'Neil de Goldman Sachs, qui suggérait que l'essentiel de la croissance mondiale en cette première moitié du 21e siècle viendrait de ces pays. Ce qui est frappant, c'est que ces pays sont très différents les uns des autres, mais ont des caractéristiques communes : a) une forte population et un potentiel de marché interne important qui peuvent être la base d'un développement économique soutenu ; b) des ressources naturelles substantielles qui peuvent soutenir le décollage économique de départ ; c) une croissance importante au cours des deux dernières décennies qui permet de penser que ces pays seront les moteurs de la croissance économique internationale future. En termes chiffrés, ils représentent 40% de la population mondiale et, en 2015, ils devraient assurer 61% de la croissance mondiale selon le FMI. Leur place dans l'économie mondiale croît fortement : 16% du PIB mondial en 2001, 27% en 2011, et d'après des estimations, 40% en 2025. En 2011, les BRICS totalisaient un PIB de 11,221 milliards pour près de trois milliards d'habitants. Mais c'est un ensemble de pays très différents. Le Brésil a l'économie la plus dynamique de l'Amérique latine. Il s'est libéralisé au rythme de la globalisation, avec un développement rapide de ses entreprises multinationales, notamment en agriculture, en énergie et dans les mines. La Russie possède une économie semi-développée, voire en déclin. Mais qui a repris du poil de la bête grâce ses ressources minières et énergétiques, mais aussi à un nouveau dynamisme entrepreneurial. Elle reste l'économie la moins diversifiée du groupe. L'Inde est la première démocratie dans le monde. Une grande partie de sa population est rurale avec une agriculture en très forte progression. L'Inde deviendra bientôt le pays le plus peuplé de la Terre. Il s'est surtout développé par une insertion de ses entreprises dans les industries et les services globaux grâce à la qualité de ses diplômés universitaires. La Chine, quant à elle, est la puissance mondiale la plus prometteuse à tous points de vue. Son économie est sur une trajectoire qui doit l'amener à devenir la première puissance économique entre 2020 et 2030. C'est aussi une puissance financière, culturelle et militaire. Enfin, l'Afrique du Sud est une économie plus petite. Elle fait partie du groupe seulement parce qu'elle représente l'Afrique. Sa croissance est sensiblement plus faible. Tous ces pays ont une croissance économique forte, généralement plus de 7%. La moins forte a été celle de l'Afrique du Sud, avec un taux de croissance autour de 4%. Comment ont-ils réussi à faire cela ? Trois grands éléments peuvent être mentionnés : En premier lieu, c'est une libéralisation de l'économie avec un accent mis sur le marché comme mécanisme de coordination. L'Etat ne joue plus qu'un rôle de facilitateur, avec le développement d'un système adéquat de droits de propriété, un bon fonctionnement du système juridique, la mise en place d'institutions de qualité et le renforcement de l'éducation, de la recherche et des infrastructures. Deuxièmement, ils ont assuré leur insertion dans l'économie mondiale, avec ouverture à l'investissement privé international et autorisation de l'investissement à l'étranger par les entreprises du pays. Ainsi, en France seulement, on estimait en 2009 que les entreprises du BRICS avaient lancé plus de 200 projets d'investissement majeurs et créé 20 000 emplois. Enfin, ils ont mis l'accent sur des ressources humaines de qualité, grâce à un système d'éducation très développé, sur l'économie de la connaissance et sur les secteurs d'activité qui leur donnent un avantage concurrentiel. Imaginons à présent que nous soyons décideurs en Algerie en 2013, quelles seraient les trois décisions majeures que nous prendrions pour que notre pays prenne le chemin de l'émergence économique ? Pour répondre, faisons un petit détour en prenant l'exemple de la Chine. Jusqu'en 1977, la Chine était un pays anémié, incapable de prendre une décision raisonnable. Il était piégé par un président qui rêvait de faire la révolution mondiale et qui, dans les dernières années de sa vie, était malade et incapable de comprendre l'importance de l'économie pour la sécurité et la stabilité du pays. Lorsqu'il est mort, un dirigeant qui lui avait résisté et qui lui a survécu, Deng Xiao Ping, est devenu le père de la réforme chinoise. Il avait appris avec la longue agonie du régime de Mao que le gouvernement central avait été le problème principal de l'économie. Il avait d'une part fait un lavage de cerveau de la population, lui faisant croire que s'enrichir était une anomalie et, d'autre part, dressé une multitude de barrières au fonctionnement des administrations et des entreprises, créant de ce fait les conditions idéales pour la corruption. Alors Deng Xiao Ping a dit aux Chinois trois grandes choses : Premièrement, vous pouvez vous enrichir. Quand vous le faites, vous enrichissez aussi le pays ! Enrichissez-vous ! Enrichissez-vous ! Deuxièmement, il faut reconnaître que l'économie est d'abord locale. Chaque région doit trouver son propre mode de fonctionnement et sa stratégie de développement économique. Enfin, l'Etat central va réduire la bureaucratie et trouver les moyens de vous aider. Même si la situation de l'Algérie est différente, la formule chinoise me paraît applicable ici aussi. Elle correspond d'ailleurs aux recommandations de la Commission Spence-Solow que décrit le professeur Abdelmadjid Bouzidi dans son papier. Il faut donc simplement faire la même chose. Je crois que certains dirigeants algériens le savent. Mon impression par exemple est que le Premier ministre actuel, Abdelmalek Sellal, comprend tout cela. Son expérience du terrain est bien compatible avec ces actions. Si je devais préciser, je ferais trois recommandations fortes : Il faut faire de la formation à l'économie une priorité nationale. Quand on parle de s'enrichir, on ne parle pas de capitalisme sauvage. On parle d'entrepreneuriat, d'actions créatives, non d'action d'exploitation des autres. Dans le mouvement, il y aura toujours des gens malhonnêtes, mais en libérant les personnes, on crée les conditions pour que la correction se fasse d'elle-même. Il faut changer la tête et le cœur des Algériens, en insistant sur le fait que celui qui s'enrichit n'est pas un ennemi mais un allié. C'est à l'Etat ensuite de travailler à répartir les richesses par le biais de l'impôt et du soutien des plus fragiles et des plus démunis. Un pays comme le Canada est capitaliste, mais c'est l'un des pays qui sont socialement les plus équilibrés. L'économie est locale, parce que l'économie se construit entreprise par entreprise. L'entreprise est construite avec les personnes qui localement comprennent l'état des ressources, l'état du marché, les opportunités et les dangers. Un conseiller au niveau central ne peut pas décider de ce qui est le meilleur pour Oran, Saïda, Guelma ou Tizi Ouzou, simplement parce qu'il est trop éloigné et ne comprend pas la situation locale. Ainsi, je vois bien les entrepreneurs d'Oran s'orienter vers des activités économiques qui prennent en compte la situation concurrentielle en Espagne et au Maroc, qui visent à s'implanter dans ces pays, à échanger avec les régions complémentaires de ces pays. Je vois bien la Kabylie construire sur l'expérience considérable, dans les industries légères, de générations d'immigrés et exploiter le patrimoine touristique des montagnes de l'Atlas. Je vois bien les gens du Sud se focaliser sur le tourisme et le commerce inter-frontalier. Ils pourraient devenir les promoteurs de l'intégration africaine. Les gens de l'Est peuvent en association avec les entrepreneurs tunisiens devenir les dragons de la Méditerranée et contrôler la logistique et l'économie des échanges entre la Méditerranée de l'Est et celle de l'Ouest. Au lieu de penser seulement en termes de destruction, en pensant aux désastres possibles que la liberté pourrait hypothétiquement générer, pensons en termes de construction de ce qui n'existe pas encore. Pour que la décentralisation marche, il faut des ressources, et là l'Etat pourrait répartir équitablement les ressources disponibles au niveau central, notamment celles qui sont issues actuellement des ressources naturelles. Finalement, la plus grande des faiblesses en Algérie a été et demeure celle des administrations de l'Etat. Aujourd'hui, on voit l'Etat payer les étrangers pour qu'ils investissent chez nous et empêcher les gens de chez nous d'investir dans leur pays. Même les considérations de rapports avec les grandes puissances ne justifient pas de telles aberrations. Les dirigeants de ce pays se sont préoccupés de pétrir le pain à la place du citoyen, parfois même à le mâcher à sa place. Ils ont ainsi négligé le rôle le plus important de l'Etat, celui d'architecte des règles du jeu, donc des institutions. Ce faisant, ils l'ont considérablement affaibli. Mais si les institutions ne sont pas remises en ordre et l'économie relancée, les secteurs qui marchent comme ceux de la sécurité (armée et police) se déliteront aussi. Il faut complètement réinventer l'Etat algérien. Si les dirigeants étaient conséquents avec ce que nous avons appris au cours de la guerre de libération, l'Etat algérien serait décentralisé, pragmatique, positif, ouvert sur l'expérimentation. Beaucoup d'innovations intelligentes pourraient voir le jour dans ce domaine. En conclusion, peut-on prétendre que l'Algérie a les capacités de faire cela et de devenir un pays émergent ? Bien sûr que oui. Je crois que les Algériens sont des gens optimistes et positifs. C'est aussi cela l'héritage de la guerre de libération. Ce sont certains dirigeants du pays qui parfois voient petit et sont négatifs. Les Algériens pensent qu'ils peuvent être grands et ils n'ont en général pas peur. Si on libérait les Algériens, l'Algérie supplanterait rapidement l'Afrique du Sud et se rapprocherait des plus grands. Mais pour cela, il nous faut des élites courageuses et unies. T. H. (*) Professeur de stratégie, HEC Montréal Nom Adresse email