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Racisme ou islamophobie ?
Publié dans Liberté le 15 - 12 - 2013

Le premier décembre dernier s'est tenue à Paris, au Palais du Luxembourg, sous le haut patronage du président du Sénat, une rencontre consacrée à l'histoire des relations France-Maghreb.
Ce colloque, qui réunissait des intervenants venus d'horizons divers a drainé un public nombreux composé à parts à peu près égales de Français de souche et de membres des diverses communautés issues de l'immigration et pas seulement de Maghrébins.
Il était animé par Pascal Blanchard, chercheur associé au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), président du groupe de recherche Achac (colonisation, immigration et post-colonialisme ) auteur d' ouvrages et de documentaires consacrés à l'histoire de la colonisation.
Pascal Blanchard venait d'être interviewé dans le Nouvel Observateur du 21 novembre à la suite de la parution de son livre intitulé Ce que la France doit aux Arabes.
Le discours de clôture de madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, était particulièrement attendu en raison du contexte.
Originaire de Guyane et membre de ce qu'il est convenu d'appeler désormais par euphémisme les "minorités visibles", elle venait de faire l'objet d'attaques telles qu'on n'en avait pas entendu à l'égard d'un ministre de la République depuis longtemps.
Mais ces propos n'avaient dans un premier temps suscité que peu de réaction de la classe politique et des intellectuels, comme s'il s'agissait d'une chose banale.
fut organisée le 30 décembre à l'appel des quatre grandes associations antiracistes SOS Racisme, Ligue des droits de l'homme, Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), ligue contre le Racisme et l'antisémitisme( LICRA) et des grandes centrales syndicales CFDT, CFTC, CGT, FSU, Solidaires, Union des Syndicats autonomes (UNSA).
Elle ne rassembla que quelques milliers de personnes. Depuis, les appels à des manifestations contre le racisme se succèdent, sans attirer les foules..
Cet échec relatif conforte les résultats d' un sondage effectué pour le compte de la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) publié en octobre :
Trois français sur cinq jugent que le racisme est plutôt en augmentation ces trente dernières années, et 56% considèrent qu'il devient plus difficile d'être musulman ou d'origine maghrébine.
A l'opposé ils sont 61% à dire qu'il est désormais plus facile en France d'être noir, juif (70%) ou d'origine asiatique (79%)
Mais une écrasante majorité des sondés (86%) déclare se désintéresser des associations antiracistes jugées peu efficaces.
Enfin 70% affirment que selon eux, il y a trop d'étrangers en France(visant par là toutes les minorités visibles) sans s'inquiéter de savoir s'ils ont ou non la nationalité française.
Doit-on en conclure à une montée radicale du racisme et de l'islamophobie et au fait que la société civile, comme les institutions, devenues incapables d'endiguer le phénomène, s'en accommodent ? Résidant en France depuis plus de cinquante ans, je crois pouvoir affirmer que les bouffées de racisme ou d'antisémitisme n'y sont pas chose nouvelle.
J'ai le souvenir de périodes où le racisme, et spécialement le racisme anti-maghrébin et plus particulièrement anti-algérien, s'exprimait non seulement par des discours mais par des actes et cela avec l'assentiment au moins tacite de l'autorité publique.
La montée de l'expression du racisme dans la société française semble, de façon récurrente, accompagner les périodes de crise économique, de hausse du chômage et d'incertitude politique qui interpellent l'identité nationale et trouvent un exutoire facile dans l'exacerbation de sentiments xénophobes.
Un très intéressant rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), publié en début d'année 2013, dresse un état des lieux qui incite à replacer le phénomène du racisme dans son contexte socio-économique et politique.
Mandaté par la CNCDH, l'Institut CSA a réalisé en décembre 2012 un sondage d'ou il résulte que le chômage depuis dix ans est la première préoccupation des Français (66% des réponses).
Le racisme, qui arrivait au quatrième rang des préoccupations en 2003 avec 22% des réponses, régresse et n'occupe plus en 2012 que la sixième place (11% des réponses)
Cette enquête très complète a le mérite de présenter des séries longues permettant une analyse nuancée et probablement plus juste qu'un unique sondage réalisé à chaud.
Elle ne fait pas état d'une augmentation significative du racisme, et les variations relevées dans les pourcentages sont surtout l'effet de phénomènes conjoncturels liés à une actualité particulière (par exemple le débat sur l'identité nationale lancé à l'approche de l'élection présidentielle en 2012, ou l'affaire Merah) .
Mais pour 66% des sondés, les musulmans et les Nord-Africains restent les principales victimes du racisme, bien loin devant les Noirs en général, cités seulement par 22% des Français.
Une autre tendance de fond apparaît : certains Français se considèrent eux- mêmes comme les victimes d'un racisme anti-blanc (12% des réponses).
Enfin les opinions de plus en plus deviennent tranchées sur le point de savoir si les attitudes racistes peuvent se justifier (2% seulement se déclarent sans opinion),
Une forte majorité (65%) considère désormais que certains comportements peuvent justifier des attitudes racistes, et ce pourcentage a grimpé de 7 points en 2012. Ils ne sont plus que 33% à considérer que rien ne justifie les attitudes racistes, (pourcentage qui chute de 9 points depuis novembre 2007).
Des enquêtes jointes au rapport de la CNDCH analysent plus finement ce que les médias désignent sous le terme générique d'islamophobie.
Les articles sur ce sujet ont fleuri dans la presse ces derniers mois, sans qu'on distingue toujours s'il faut entendre par islamophobie le rejet pur et simple de l'Islam en tant que religion, ou le refus des attitudes de la communauté musulmane considérés comme portant atteinte au principe de laïcité, ou bien seulement le rejet de l'intégrisme islamique.
Depuis 10 ans le nombre de sondés se déclarant attachés ou très attachés au principe de laïcité est stable, à un niveau élevé (68%)
Dans le détail les pourcentages d'opinions favorables à l'égard des religions varient peu : catholicisme, (44%) protestantisme (37%), ou judaïsme (34%). Mais la méfiance vis-à-vis de l'islam qui ne recueille plus que 22% d'opinions favorables s'amplifie : (le total est supérieur à 100%, parce que les sondés ont pu exprimer simultanément un avis à l'égard de plusieurs religions).
Tous ces chiffres confirment bien le raidissement de l'opinion à l'égard de la communauté musulmane et la dégradation de l'image de l'Islam dans la société française. L'idée que le racisme en général a augmenté ces dernières années, semble en revanche procéder d'un phénomène largement subjectif.
Dans un contexte de crise généralisé, il n'est pas douteux que la progression de chômage fait le lit de reflexes protectionnistes qui trouvent leur expression ultime dans le racisme anti-immigrés.
En France comme ailleurs, l'ouverture des frontières a crée une concurrence entre travailleurs immigrés, les ressortissants des pays nouvellement intégrés à la communauté européenne, en situation régulière ou non, sont en concurrence directe avec les Africains et les Maghrébins et souvent préférés par les employeurs, au moment même où l'embauche se raréfie.
Par ailleurs, les multinationales ont vite compris le bénéfice qu'elles peuvent tirer des mesures organisant la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'espace européen et multiplient les contrats de détachement qui leur permettent d'employer un travailleur de n'importe quel Etat de la communauté en lui appliquant la législation sociale de son pays d'origine. Il en résulte un véritable dumping social qui pousse hors du marché du travail les immigrés non ressortissants de la Communauté européenne.
Une fois encore, l'Europe n'a pris conscience que bien tardivement des conséquences d'une libéralisation incontrôlée, et les discours protectionnistes se multiplient à retardement, le Premier ministre britannique vient de clamer qu'il va refuser la levée, prévue le 1er janvier prochain, des dernières restrictions concernant les ressortissants bulgares et roumains en matière d'accès au travail. La France et l'Allemagne l'ont immédiatement suivi.
Ce qui n'arrange pas les choses c'est que les divers migrants se refugient dans des communautés, soit par choix initial, soit sous la contrainte économique, et de plus en plus parce que ce sont les seules possibilités qui s'offrent à eux en matière de logement, avec la complicité passive des autorités de l'Etat.
On arrive ainsi au regroupement des Maghrébins et des Africains à Barbès, à la Courneuve, à Aubervilliers, des Chinois dans le 13e arrondissement, puis à Belleville et enfin à Marne la Vallée, pour ne citer que les trois principales communautés installées en Ile-de-France et la mixité sociale devient de plus en plus un mythe.
Si la communauté chinoise échappe au racisme, c'est probablement parce qu'elle n'entre pas en concurrence directe avec les autres sur le marché du travail : les immigrés asiatiques qui ont fondé leurs propres commerces et ne sont pas demandeurs d'emploi, s'organisent entre eux, dans la plus grande discrétion.
Par ailleurs, les Français issus de l'immigration asiatique, même lorsqu'ils continuent de vivre en communauté, se revendiquent comme intégrés (il est significatif de noter que les manifestants d'origine chinoise qui se sont déroulées l'an passé à Belleville pour protester contre diverses agressions à l'égard de leurs ressortissants défilaient drapeau français en tête).
Mais le rôle des médias et celui des partis politiques ne doit pas non plus être sous-estimé.
La surmédiatisation du moindre événement supposé raciste, jointe à l'apparition, à l'initiative de la droite sarkozyste, d'un débat politique confus mais très polémique sur le thème de l'identité nationale ont probablement quelque chose à voir non seulement avec la banalisation des discours racistes mais aussi avec le développement des craintes, raisonnées ou non, à l'égard de la communauté musulmane, et avec la passivité nouvelle de l'opinion publique devenue blasée face à la répétition de ces discours.
La libéralisation de la parole a pu conduire au développement d'un climat anxiogène souvent fondé sur des généralisations hâtives. à longueur de journée les chaînes de télévision spécialisées dans l'information en continu passent en boucle les mêmes séquences, sans véritable analyse ou vérification.
Il en va de même des réseaux sociaux qui relaient toutes les rumeurs, les amplifiant et les démultipliant dans une totale impunité de fait.
Pour ce qui concerne le développement des opinions négatives à l'égard des Maghrébins en général et de l'islam en particulier, aux facteurs précités viennent s'ajouter des facteurs spécifiques.
Il ne faut pas nier que l'actualité nationale (émeutes des banlieues, affaire Merah) ou internationale (11 septembre, prises d'otages, attentats divers) ont créé un climat dont le racisme anti-islamique se nourrit.
Les tumultes qui ont suivi les printemps arabes, la guerre en Libye ou les révoltes en Syrie, avec les images terribles des cadavres de réfugiés venus s'échouer sur les côtes italiennes, ont également joué en ce sens, accréditant l'idée d'une incapacité des pays du grand Maghreb à régler leurs problèmes autrement que dans le sang.
Mais il faut aussi reconnaître que l'islam est devenu pour la presse et la littérature un excellent marché : il n'est pas de semaine, ou presque, sans qu'un magasine titre sur le racisme, l'islam, le communautarisme ou l'insécurité liée à tout cela.
Depuis trois ans, le philosophe Alain Fielkenkraut mène une campagne véhémente contre le communautarisme et plus particulièrement contre les Maghrébins et l'islam dont il ne cesse de dénoncer la dangerosité, au nom de la défense des juifs de France, qu'il assimile souvent à la défense d'Israël.
Les publications se multiplient, en provenance aussi bien d'auteurs européens qu'arabes et on ne compte plus le nombre de spécialistes autoproclamés de l'islam, du Moyen-Orient, du Maghreb qui occupent les écrans de télévision et les radios.
De toute évidence, la question est à la mode.
L'opinion, chauffée à blanc par les partis qui font de la lutte contre l'immigration leur fonds de commerce, s'empare d'incidents isolés très vite généralisés.
Des Maghrébins qui refusent que leur femme soit consultée par un homme lors de son admission à l'hôpital, une femme en burqa au volant d'une voiture, la revendication d'horaires spécifiques pour les femmes dans une piscine municipale et jusqu'aux mendiantes roumaines hantant les couloirs du métro qui, parce qu'elles sont coiffées d'un foulard, sont aussitôt présentés comme musulmanes, autant de faits qui accréditent l'idée d'un risque d'islamisation de la société.
Le rapport de la CNCDH montre que l'opinion est devenue de plus en plus critique sur les pratiques associées au communautarisme dès lors qu'elles quittent la sphère privée : parmi les éléments jugés peu compatibles avec la vie dans la société française ce sont le port du voile intégral, et même du foulard qui sont cités le plus souvent (91% des sondés pour le voile intégral et 77% pour le voile simple). Les prières de rue, la revendication d'horaires spécifiques dans les piscines, l'exigence de repas halal dans les cantines scolaires et même la pratique du ramadan sur les lieux de travail sont également cités.
Désormais, ils sont plus de 94% à juger que les étrangers qui résident en France doivent adopter les habitudes françaises (le chiffre a progressé de 10%).
Pourtant les actes de racisme continuent de faire l'objet d'une réprobation générale : le sentiment très majoritaire d'une égalité entre les races, ou que ces dernières n'existent pas, s'accompagne du souhait d'une lutte vigoureuse contre le racisme en France, avec 60% des interviewés qui choisissent cette option (+1),
D'autre part, une large majorité des personnes interrogées estime que les propos racistes doivent être condamnés sévèrement par la justice, quelle que soit la couleur de peau ou la religion visée. C'est ainsi le cas de 72% pour l'insulte "sale Arabe", 76% pour "sale juif", 75% pour "sale Noir" et 77% pour "sale Blanc".
Enfin, les discriminations à l'égard des personnes noires et maghrébines continuent d'être largement dénoncées. Les enquêtés jugent à 86% (+2%) qu'il est grave de refuser l'embauche d'une personne d'origine maghrébine qualifiée pour un poste.
Le racisme qui se fonde sur le rejet des individus au nom d'une prétendue supériorité ethnique semble donc devenu très minoritaire dans la société française. Mais l'islamophobie, qui conduit au rejet d'une communauté en raison de ses convictions religieuses, est bien réelle.
Là encore, il faut prendre garde aux généralisations hâtives.
Ce n'est pas tant l'appartenance à l'islam qui semble en cause : sinon comment expliquer que les immigrés africains installés en France qui sont majoritairement musulmans échappent largement à la stigmatisation dont font l'objet les Maghrébins ?
Il y a sans doute les séquelles encore douloureuses dans l'esprit des Français comme des Maghrébins des conflits qui les ont opposés naguère. Mais surtout c'est l'audience donnée au propos d'une minorité de salafistes revendiquant à grands cris une pratique rétrograde de l'islam qui fait peur aux Français. Ce que les Français ne supportent pas non plus, ce sont les jeunes d'ascendance algérienne qui, lors des dernières élections présidentielles ou de récents matchs de football, se sont précipités dans les rues en brandissant des drapeaux algériens, alors même qu'il s'agit souvent d'immigrés de la seconde génération, de nationalité française.
Ne sont pas davantage supportés les jeunes désœuvrés qui squattent les entrées d'immeubles ou déambulent en bandes dans les rues en fumant du cannabis.
Peu importe alors qu'ils soient de nationalité française ou non, dès lors que leur aspect physique les désigne comme originaires du Maghreb, c'est la peur de l'islam qui se répand !
Et le silence de la majorité des Maghrébins ne fait rien pour arranger les choses, car elle contribue à accréditer l'idée qu'ils ont complices de ces comportements.
Quant aux intellectuels ou écrivains maghrébins résidant en France, ils ne prennent jamais position, ni sur les événements politiques mettant en cause l'islam, ni sur les profanations de cimetières musulmans, ni sur le comportement social de certains maghrébins, évoquant comme excuse le fait qu'ils ne seraient pas publiés, mais plus probablement pour ne pas courir le risque d'entamer leur image.
Cela contraste avec les prises de positions des intellectuels et des écrivains juifs qui, eux, n'hésitent pas à s'engager et à multiplier les tribunes publiques lorsque l'actualité s'y prête, notamment à propos du problème israélo-palestinien ou des agressions contre les synagogues. Quant aux représentants des institutions musulmanes, le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils sont passés maîtres dans l'art d'utiliser la langue de bois, plus préoccupés sans doute par leurs luttes intestines pour savoir qui doit diriger l'islam en France, que par la stigmatisation dont l'islam et les Maghrébins sont victimes !
A. G.
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