Le déploiement d'Internet s'est révélé un puissant moteur d'accélération du développement économique. Les pays qui l'ont compris ont réussi à gagner de précieux points de croissance de leur PNB. Au vu des retards que l'Algérie a accusés dans ce domaine, il est urgent que des initiatives majeures soient prises immédiatement pour ne pas hypothéquer irrémédiablement notre développement économique. Avec le déploiement tant attendu de la 3G, l'année 2013 s'achève sur une note que d'aucuns pourraient qualifier de positive. Mais, comme le démontrent la plupart des commentateurs, le choix même de l'option 3G au lieu du passage direct à la 4G, couplé aux conditions techniques de sa mise en œuvre, modère tous les enthousiasmes. Cet évènement aura en effet peu d'impact sur l'économie algérienne. Il faut savoir que l'Algérie part de très loin dans ce domaine. Si l'on prend le continent africain, le taux de pénétration d'Internet en Algérie se situe parmi les plus faibles : il était à peine de 14% en 2012 (1). Nous sommes distancés par des pays comme l'Angola (15%), le Sénégal (18%), le Kenya (28%), l'Egypte (36%), le Maroc (51%). Internet représente aujourd'hui un véritable enjeu pour le développement économique. Au-delà de son déploiement physique, ce sont les domaines d'utilisation d'Internet qui constituent le véritable enjeu économique pour les nations. Il est établi aujourd'hui qu'une utilisation efficace d'Internet procure plusieurs points de croissance du produit national brut (PNB). Cela a été vérifié dans les pays développés ; mais l'impact est encore plus fort dans les pays en développement car l'utilisation d'Internet profite des conditions particulières que connaissent ces pays : proportion plus importante des jeunes dans la population, faiblesse des infrastructures qu'Internet permet d'abolir, larges secteurs économiques encore vierges qu'Internet permet de booster. Selon une étude récente conduite par le cabinet de conseil McKinsey (2), le potentiel de croissance économique de l'Afrique grâce à un déploiement rationnel des services Internet a fait croître le PNB africain de 18 milliards de dollars en 2012, et y contribuera pour plus de 300 milliards en 2025. C'est dire l'enjeu d'un tel atout s'il est bien exploité ! Pour mesurer plus justement la contribution d'Internet au PNB, le McKinsey Global Institute (MGI) a développé des métriques spécifiques. En particulier, deux métriques permettent de mesurer l'impact d'Internet sur les performances économiques d'un pays. La première est l'IGDP qui fait la somme de toutes les activités liées à la création et à l'utilisation des réseaux Internet dans quatre domaines : consommation des ménages, dépense publique, investissements et balance commerciale. Le calcul de l'IGDP de 2012 pour un certain nombre de pays africains donne les résultats synthétisés sur le graphique ci-contre. On observe que l'Algérie est en queue de peloton (0,8%) ! Alors que le Maroc (2,3%), le Kenya (2,9%) et le Sénégal (3,3%) sont leaders en Afrique avec des scores équivalents à ceux de l'Allemagne ou de la France. La deuxième métrique est l'Internet Foundations Index dénommé i5F. L'indice i5F mesure la qualité des cinq fondations qui permettent le développement efficace d'Internet : compétences dans le domaine des IT (nouvelles technologies), mécanismes de financement des activités IT, infrastructures favorisant le développement des IT, climat des affaires et stratégie nationale pour la promotion des activités IT. L'indice i5F mesuré par l'étude McKinsey en Afrique pour l'année 2012 donne le résultat synthétisé dans le graphique ci-contre. Sans surprise, l'Algérie figure parmi les pays les moins avancés, ceux dont le potentiel de développement d'Internet et sa contribution à la richesse du pays sont bien en-dessous de leur potentiel. Voilà des résultats qui indiquent clairement que l'Algérie a jusque-là raté l'opportunité de booster son économie en ne misant pas sur la contribution d'Internet à son économie. En comparaison, le Kenya ou le Sénégal affichent un leadership net. Selon les analystes de McKinsey, ces pays pourront à l'avenir gagner jusqu'à 10% de croissance de leur PNB uniquement grâce à un déploiement efficace des services Internet. Ce qui est considérable ! Le potentiel de l'Algérie pour tirer profit d'Internet est particulièrement élevé Grâce en particulier à sa population jeune et dynamique, le potentiel que peut retirer l'Algérie d'un déploiement rationnel d'Internet et des nouvelles technologies est énorme. Par ailleurs, la plupart de nos secteurs économiques et sociaux restent encore largement sous équipés en termes de nouvelles technologies. Des quatorze pays africains étudiés par McKinsey, l'Algérie est systématiquement bonne dernière en matière d'utilisation d'Internet aussi bien dans les entreprises que dans les administrations ! Les besoins à combler sont donc souvent considérables. Si l'on prend le seul exemple des services financiers - dont chacun connaît l'état de sous-développement de leurs systèmes opérationnels - on imagine aisément l'ampleur des gains que le déploiement efficace d'Internet peut y générer par l'adoption de solutions technologiques évoluées basées sur Internet. Comment faire fructifier cet immense potentiel Il faudra renforcer solidement les cinq fondations identifiées dans l'indice i5F. En matière de compétences, il faudra exploiter plus efficacement l'immense réservoir que constituent les jeunes Algériens et Algériennes, souvent bien éduqués, et qui peuvent embrasser à bras le corps les nouvelles technologies. Cela passe par des initiatives majeures dans la formation des TIC. Il faudra, en particulier, compléter le système de formation existant par la mise en place d'écoles de haut niveau, voire des universités spécialisées, en association avec des institutions prestigieuses mondiales. Bien évidemment, pour que cela soit possible, il faudra obligatoirement lever les entraves qui empêchent jusque-là la participation du privé dans de telles initiatives. On pourra alors songer à de véritables Silicon Valley, comme l'ont fait par exemple les Indiens avec le parc technologique de Bangalore ou les sud-Coréens avec la Digital Media City de Séoul. En termes de stratégie nationale IT, l'Algérie s'est certes donnée une "e-Algérie 2013". Mais, alors que nous arrivons au terme de la période visée, les résultats sont bien maigres ! Ce qu'il nous faut c'est une stratégie autrement plus ambitieuse et surtout plus volontariste. Les objectifs tracés dans la stratégie e-Algérie 2013 étaient bons. Mais impossibles à atteindre sans réelle volonté politique et, surtout, sans courage de faire sauter les verrous. Parmi ces verrous, le maintien du monopole de fait exercé par Algérie Télécom sur les services Internet constitue une entrave majeure à son développement. Seule une saine concurrence pourra stimuler le développement d'Internet dans notre pays. La téléphonie mobile a montré le chemin, le seul domaine où l'Algérie se classe honorablement en Afrique pour le taux de pénétration. Qu'on fasse de même pour Internet ! Le financement des activités de services Internet a besoin de mécanismes spécifiques, plus proches de ceux utilisés aujourd'hui par le monde pour financer les start-ups. Ni les crédits bancaires classiques ni les simplistes, quoique généreux, mécanismes Ansej ne peuvent offrir des solutions viables à cet égard. Cela nécessite la mise en place de modes de financement de types capital-risque et private equity, mieux adaptés aux business models que requièrent ces activités. À côté des crédits locaux, l'Algérie est capable d'accueillir les grandes multinationales du secteur des IT en leur offrant une population de développeurs compétents et relativement bon marché. Ce qui procurerait en même temps des sources de financement supplémentaires. Le Kenya l'a fait en accueillant des entreprises comme IBM, Microsoft ou Google dans sa "Silicon Savannah" à la Konza Techno City. Mais pour cela, l'Algérie devra changer totalement sa vision vis-à-vis de l'investissement étranger ! Un autre verrou à faire sauter. Au plan des infrastructures, l'Algérie dispose certes de capacités de transport de données relativement importantes. Au-delà des infrastructures mises en place par Algérie Télécom, il y a les réseaux des entreprises publiques de Sonatrach, Sonelgaz, SNTF ou TDA... Le problème c'est que ces réseaux ne sont pas mutualisés ; et donc peu optimisés. C'est cette mutualisation qu'il faudra organiser pour partager plus efficacement les capacités disponibles. En outre, le lever du monopole d'Algérie Télécom sur le providing et l'encouragement de la compétition dans l'accès à Internet pourra susciter des investissements plus importants dans les infrastructures de transport des données. Le succès du déploiement de la téléphonie mobile en Algérie, porté par une saine concurrence et l'implication forte du privé, a amplement démontré la viabilité du concept de leapfrog strategy. Cette stratégie, dite celle du saut de grenouille, permet d'exploiter l'opportunité offerte par les nouvelles technologies pour "brûler" les étapes vers le progrès. Il s'agit donc d'adapter le même concept pour Internet. Cela suppose de considérer les services Internet comme une priorité nationale à conduire non pas selon les principes éculés de la gestion administrative, mais, au contraire, adopter des démarches novatrices qui ont fait leurs preuves partout dans le monde. Sinon, après n'avoir pas été capable d'utiliser ses ressources en hydrocarbures pour assurer son développement économique, l'Algérie ratera une autre opportunité qui se base sur ses ressources les plus pérennes : son potentiel humain. S. S. (*) Consultant en management Ingénieur SupTélécom - Paris (1) Source : Internet World Stats; International Telecommunications Union statistical database, 2012. (2) Lions Go Digital. The Internet's Transformative Potential of Africa. McKinsey Review. November 2013. Nom Adresse email