Elle distribuait des tracts, se chargeait d'achats divers pour les moudjahidine, camouflant tout ce qui pouvait prêter à suspicion, sous sa fouta* dont elle s'enveloppait à la sortie de l'école. Née en 1943, dans une famille de militants actifs, cousine paternelle de Djamila Bouazza (l'une des figures de la Bataille d'Alger, originaire d'El-Affroun), Mimouna est, en 1957, pleinement impliquée dans la révolution. Son frère Djelloul, jeune maquisard, avait 20 ans en 1958 quand il est tombé au champ d'honneur avec deux autres moudjahidine. Les corps des trois martyrs seront exposés sur les marches de la place publique, pour l'exemple. Mimouna n'avait alors pas 15 ans et connaissait déjà, depuis un an, les interrogatoires et la torture physique et morale au PC et à la gendarmerie d'El-Affroun. Enchaînée de jour, dans un hangar froid au siège de la gendarmerie, elle subissait, de nuit, sévices corporels et torture. "L'année de mon certificat d'études (14 ans) a été horrible, se souvient-elle, des militaires armés jusqu'aux dents venaient me sortir de l'école pour m'interroger. Je résistais à la torture, répétant la même phrase : je ne sais rien, moi qui savais tout." En effet, elle distribuait des tracts, se chargeait d'achats divers pour les moudjahidine, camouflant tout ce qui pouvait prêter à suspicion, sous sa fouta* dont elle s'enveloppait à la sortie de l'école : "Les paniers pleins, les courses fréquentes intriguaient, déjà, certaines personnes sur mon passage, sachant que nous n'étions que trois personnes à la maison." Le deux-pièces du quartier arabe des HBM, fief de la résistance populaire, que la veuve Bakhta Chikhaoui (mère de Mimouna), occupait avec ses deux enfants, Mimouna et Mohamed (l'aîné, Halim, en France, le cadet, au maquis et sa seconde fille, chez sa tante à Blida, du fait que, trop jeune, "elle pouvait parler"), servait de refuge aux moudjahidine. Une pièce leur était réservée où ils dormaient à tour de rôle et rencontraient leurs familles. Bakhta leur prodiguait nourriture, soins et entretien de leurs vêtements : "Ma mère écrasait d'abord avec une pierre leurs vêtements infestés de poux, ensuite elle les ébouillantait avant de les laver et les repasser", se souvient Mimouna. Pétrie de courage, Bakhta transportait pataugas, tenues militaires, armes et ravitaillement, qu'elle déposait pour eux chez sa sœur à Blida. Le jour du décès de Djelloul, une lettre trouvée sur le corps du chahid Si Benaïssa confirme la culpabilité" de Mimouna. Ce jour-là, devant la prison de Blida où sa mère était incarcérée depuis trois mois (après un mois de tortures atroces à la gégène et à la baignoire, à la gendarmerie d'El-Affroun, où l'on comptait l'achever, sans l'intervention salutaire du maire d'El-Affroun Jacques Chevallier intervenu pour dire : "Son fils a pris le maquis. Elle n'en est pas responsable. Arrêtez de la torturer. Elle n'a rien à voir avec ça !", Mimouna est arrêtée. Menottée, elle est conduite à la gendarmerie d'El Affroun. Après 25 jours de tortures, elle sera internée avec sa mère pendant 9 mois au camp de Beni Messous (avec Nefissa Hamoud, notamment), puis 9 mois à Tefeschoun. Libérées à la fin de l'année 1959, la mère et la fille sont interdites de séjour à El-Affroun et assignées à résidence à Blida. Pendant les années de leur arrestation, leur domicile avait été mis à sac avant d'être cédé à une famille harkie. A Blida, elles continuent à militer clandestinement jusqu'à l'Indépendance. Durant trois ans, elles seront "ballottées" avec les deux plus jeunes enfants de Bakhta, de famille en famille. Si certaines, craignant des représailles, leur ont fermé leur porte, d'autres leur ont offert gîte, couvert et soutien et protection. El-hadja Mimouna cite, à cet effet, avec émotion, les Sebkhaoui de la cité musulmane et les Abdellatif de Bab El-Khouikha, notamment. La solidarité, la fraternité étaient aussi présentes dans les deux camps d'internement où les paniers reçus (dont certains de Séraphina l'épouse de Salom, dit Si Kaddour, le moudjahid espagnol d'El-Affroun) étaient partagés, avec toujours la meilleure part pour Mimouna, la plus jeune des internées. Mère de dix enfants, El-hadja Mimouna a effectué deux pèlerinages à La Mecque et une omra. Sa vie a été bien remplie. Curieusement, elle ne nourrit aucune haine à l'égard de quiconque : "C'était la guerre !", dit-elle, comme pour expliquer, justifier une époque bien douloureuse. F S Fouta (*) : considérée, dans la région, comme demi-voile (première étape avant le port du voile, porté plus tard) dont les adolescentes se couvraient chastement la tête, le thorax et l'abdomen et, qui arrivait jusqu'à mi-cuisses. Nom Adresse email