L'APC a procédé récemment à la réfection de la stèle de Haouch Chouhada (ex-ferme Feutray) située sur la route de Oued Djer, à 4 km d'El-Affroun, avec l'aménagement d'une enceinte en barreaux métalliques, bordure en maçonnerie, peinture, désherbage et embellissement du monument pour préserver la mémoire des lieux. Ce monument monolithe, à l'abandon depuis les années difficiles du terrorisme, a été érigé, il y a trente ans, à la mémoire des nombreux Algériens d'El Affroun et d'ailleurs qui y ont trouvé la mort dans des conditions horribles. Durant les années 80 et à l'occasion de la commémoration des dates du 5 juillet et du 1er novembre, autorités locales, fils de chahid et anciens moudjahidine accompagnés de l'imam se rendaient sur les lieux pour un recueillement solennel avec dépôt de gerbes de fleurs et lecture de la Fatiha. Les rares rescapés de la sinistre ferme coloniale occupée, dès la fin 1956, par un cantonnement de l'armée française, et devenue un centre clandestin de torture et d'exécutions sommaires témoignent, non sans émotion, des affres subies : l'enfermement dans les cuves à vin, la gégène, la baignoire, la batterie, l'arrachage des ongles… “Quand on m'a introduit dans la cave, se souvient un octogénaire, il y avait, sur le sol, plusieurs paires de chaussures, un gilet, des turbans, des vêtements qui avaient été portés par les gens qui m'avaient précédé, que je connaissais et…qui sont morts. J'ai été le premier à être sorti vivant de cet enfer”. Les lieux inspirent, encore pour certaines personnes, l'effroi. Une septuagénaire habitant la ferme nous a confié qu'elle ne s'aventurait jamais le soir du côté de la cave où, affirme-t-elle, il lui arrive, encore certaines nuits, d'entendre les cris des suppliciés. Elle reste convaincue que les lieux sont hantés… “D'ailleurs, nous dit-elle, en nous montrant un ancien hangar, transformé en habitation, quand nous l'avons occupé à l'indépendance, nous étions, chaque nuit, malmenés par des bruits de bottes, des cris horribles dans la pièce où nous dormions…”. D'autres témoignages de personnes âgées vont dans ce sens. El Affroun, un gros village de riches colons, à l'époque, s'avérera, plus tard, “truffé d'OAS” selon le même octogénaire qui a tenu à garder l'anonymat ; “la torture était pratiquée au vu et au su de toute la population à la villa Anastase, les fermes Danière, Sainte Lucie et Averseng… De la villa Anastase, à la suite d'interrogatoires musclés et d'une détention dans l'une des cellules ou des cuves attenantes, les suspects étaient acheminés vers le ferme Feutray ou l'un des camps de concentration de la ferme Chenu, de Tefeschoun, Berrouaghia où, avec le statut de prisonnier politique, la torture devenait légale”. Les cadavres des personnes exécutées à la ferme Feutray ou ayant péri sous la torture sur la table de renseignement étaient jetés dans l'oued Djer. Les anciens moudjahidine se souviennent du sinistre Kada Julien, un maquisard originaire de Chiffa qui s'était rendu (randa). Enrôlé dans l'armée française, il était devenu le bras droit des forces coloniales armées et membre actif lors des séances de torture. Mais combien de jeunes connaissent l'histoire de cette ferme entre 1956 et 1962 ? Pour la plupart, Haouch Chouhada n'est qu'un point d'arrêt des fourgons qui mènent à Oued-Djer. Pour que les générations montantes sachent ce qui s'est passé pendant six ans sur les lieux, Haouch Foutry (pour Feutray), comme on l'appelle encore, mérite de sortir de l'oubli. Les anciens moudjahidine, encore en vie, les témoins de l'histoire de cette sinistre ferme durant la guerre d'Indépendance, ont l'obligation de transmettre aux jeunes les éléments d'un vécu. Le devoir de se souvenir et d'informer s'impose afin que nul n'ignore ce pan douloureux de l'histoire de sa ville et n'oublie pas ceux qui sont morts pour qu'il puisse, lui et ses contemporains, vivre libres. Les enfants d'El Affroun connaissent, grâce à l'école, les chouhada qui sont entrés dans l'histoire ; ceux de la région qui les a vus naître demeurent, pour eux, une grande inconnue. F. Seman