Dans cet entretien, le chef du Mouvement pour la société de la paix (MSP) a réitéré sa conviction que l'élection présidentielle du 17 avril est déjà jouée pour l'intérêt du candidat du système qui est Bouteflika. Mais, pour lui, le véritable travail politique des partis de l'opposition, pour plus de libertés et de démocratie, devra être lancé (ou relancé) au lendemain de cette échéance. En attendant, il mise beaucoup sur l'abstention pour discréditer cette élection. Liberté : À la veille de l'élection, ni votre appel au boycott ni la mobilisation citoyenne ne semblent inquiéter le pouvoir. Pensez-vous que vous avez assez de force pour provoquer le changement escompté ? Abderrezak Makri : Eh bien, l'attitude adoptée par le pouvoir conforte davantage notre position de boycotter cette élection. Nous savions dès le départ que, quel que soit le candidat qui sortira des urnes, ce sera celui du système. Ce système nous a habitué à faire passer son candidat choisi au préalable. D'ailleurs, notre décision de boycotter cette élection n'était pas liée à la candidature de Bouteflika mais nous l'avions prise parce que nous savions, au départ, que cette élection était insensée et qu'elle était sans enjeu. Aujourd'hui, tout le monde a fini par comprendre que le jeu est déjà fait. Pourquoi exactement cette option de boycott ? Le véritable sens du boycott, c'est de discréditer cette élection-là, ou, tout au moins, affaiblir sa crédibilité et sa légitimité. Ceci pour qu'on puisse consolider la position de l'opposition après l'élection du 17 avril parce que le véritable travail politique pour les libertés et pour la démocratie, ce sera justement après cette élection. Le vrai sens de ce boycott, c'est frapper la crédibilité de cette élection, créer un nouveau rapport de force et le faire basculer en faveur de la société. Discréditer l'élection présidentielle vis-à-vis de qui ? Vis-à-vis de l'opinion nationale, bien sûr. Et par rapport à l'opinion internationale ? La partie la plus importante qui donne de la crédibilité à une élection, c'est avant tout le peuple. Celui qui donnera la crédibilité à cette élection, c'est donc le peuple algérien d'abord. C'est le plus important. Les organisations internationales, occidentales, notamment l'Union européenne et l'ONU, elles, représentent des régimes qui sont en parfaite entente avec les autorités algériennes qui leur garantissent leurs intérêts. Nous, nous ne tenons donc pas compte de ce que diront ces instances étrangères, mais pas du tout. Le MAE français, Laurent Fabius, avait déclaré dernièrement que son gouvernement savait (à l'avance) que Bouteflika allait se porter candidat. Un commentaire ? Ça, c'est connu. Les Français savent beaucoup plus de choses sur notre pays que nous. Les responsables français savent beaucoup plus sur le système politique algérien que ce que connaissent les Algériens. C'est clair. Cela confirme que les autorités européennes sont informées sur tout ce qui se fait en Algérie bien avant nous. Comment comptez-vous mobiliser les Algériens autour de votre action de boycott ? Nous avons, bien sûr, notre programme pour promouvoir notre décision de boycott à travers plusieurs actions : les meetings, les relations avec la presse, le travail de proximité et de voisinage, les rassemblements... Vous avez relevé (plus haut) que le vrai travail politique se fera après l'élection du 17 avril. Comment ? Tous ceux qui sont conscients de cette politique de déstabilisation de l'Algérie par l'actuelle mauvaise gouvernance, par cette corruption généralisée et ce mépris des Algériens doivent se rencontrer après l'élection du 17 avril, que ce soit ceux qui participent, ceux qui boycottent, ceux qui sont contre seulement le 4e mandat, ou ceux qui sont contre le système politique tout court. Nous devons tous travailler ensemble pour élargir le front de l'opposition et militer pour un véritable changement en Algérie. Le véritable combat commencera donc après l'élection. Selon vous, Benflis a-t-il des chances de gagner cette élection ? Pour nous, que ce soit Benflis ou un autre, cette élection est déjà jouée pour l'intérêt du candidat du système, qui est maintenant Bouteflika. Bouteflika ne risque-t-il pas de se retirer avant le 17 avril ? Il était déjà très malade, il n'y a rien qui change. Pour un parti politique qui se respecte, il ne détermine pas sa position sur des questions qui se traitent dans l'opacité loin de la transparence, loin de la réalité. Il s'agit là d'infiltrations qui intoxiquent la scène politique depuis déjà plusieurs années. Pour nous, même si Bouteflika décidait de se retirer, il y aura sûrement un candidat du système. Nous, nous n'avons pas décidé de boycotter par rapport à la candidature de Bouteflika, mais sans lui, on aurait opté pour la même chose, du moment que le pouvoir ne voulait pas ouvrir le jeu et c'est son candidat qui sera président. Lors de sa dernière visite à Tipasa, Sellal avait catégoriquement nié de faire campagne pour Bouteflika. Disait-il vrai ? Certainement pas. Nous l'avions entendu appeler, à partir de Mila, les citoyens à voter pour Bouteflika. Il avait dit exactement ceci : "On va vous donner des logements, mais sachez pour qui vous allez voter". Sans faire référence à ceux-là qui n'ont pas honte de parler de 5 millions de signatures collectées en seulement 4 ou 5 jours. Cela aussi est un mépris envers le peuple. Si c'était vraiment le cas, on aurait vu des chaînes interminables de citoyens derrière les guichets à travers toutes les wilayas du pays et pendant plusieurs jours de collecte. Le mensonge est criant. C'est l'utilisation à outrance des moyens de l'Etat. Si ces gens avaient juste un peu de respect pour la directive du Président-candidat pour qui ils roulent, ils n'auraient pas osé une telle dérive. Comment comptez-vous bousculer ce système à même de provoquer sa chute un jour ? Par un travail d'ensemble entre les différents partis politiques, toutes obédiences confondues, par une sensibilisation plus générale et plus accrue avec l'ensemble des citoyens, mais aussi par la persévérance. Il faut utiliser tous les moyens pacifiques pour faire de sorte à ce que le pouvoir en place accepte le changement. Allez-vous intégrer dans votre projet de "fédérer toutes les forces vives" le mouvement Barakat qui s'oppose (seulement) au 4e mandat (pour Bouteflika) ? Il y a une base très élargie sur laquelle nous pouvons travailler avec beaucoup de parties ; il s'agit de la base de la démocratie et des libertés ; c'est une base sur laquelle se rencontrent plusieurs partis politiques et d'organisations, quelles que soient leur obédience et leur sensibilité. C'est pour cela que la possibilité de fédérer beaucoup de forces politiques et beaucoup de parties de la société civile est très possible du moment qu'actuellement, tout le monde est conscient que sans démocratie, sans changement, on encourt un véritable péril et que le pays est en danger par rapport à sa stabilité et son avenir. Tout le monde est conscient que s'il n'y a pas de changement, on va droit vers une situation de marasme général et de déstabilisation du pays. Du moment que tout le monde est convaincu qu'il faut qu'il y ait un changement, il y a donc une forte possibilité de fédérer les forces. C'est quoi l'alternative ? L'alternative, c'est le changement politique. Premièrement, on parlera de la Constitution pour qu'elle soit garante de l'alternance au pouvoir, garante de la tenue d'élections transparentes, de la liberté d'expression, de la création d'associations, des syndicats et des médias, de l'indépendance de la justice, etc. En somme, tout ce qui a trait aux réformes constitutionnelles et au changement politique. Qu'en est-il pour vous de la question de l'amazighité ? L'amazighité n'est pas une culture marginalisée, elle est dans le fond de notre personnalité. Nous étions tous des Amazighs, et ce n'est pas possible qu'un peuple s'automarginalise. Il est inconcevable qu'un peuple marginalise sa culture et son appartenance. L'amazighité fait partie de nous. S'il y a lieu de promouvoir tous les éléments de notre identité, il faut le faire. Que ce soit l'amazighité, l'arabe ou l'islam, bien sûr qu'il faut le faire et sans hésitation. Êtes-vous donc pour l'officialisation de l'amazighité dans la prochaine Constitution ? C'est une question qui doit être débattue, on doit donc écouter les scientifiques et les académiciens, il faut comprendre exactement de quoi il s'agit. Nous, nous restons ouverts à toutes les éventualités, du moment que cela représente le bon sens et le droit à la promotion de la culture amazighe et de tous les éléments de notre identité, bien sûr. Par ailleurs, plusieurs observateurs qualifient votre alliance avec le RCD de contre-nature. Votre explication ? Pourquoi contre-nature, du moment que nous, les deux partis, sommes convaincus que l'Algérie a besoin de la liberté et de la démocratie ? Le sujet sur lequel nous travaillons, ensemble, représente une conviction commune ; nous sommes, tous les deux, conscients qu'il faut qu'il y ait un changement ; nous sommes conscients qu'il faut aller vers la démocratie et les libertés. Une fois ces principes acquis, tout le monde doit travailler dans la paix et chacun défendra son programme dans un cadre démocratique. Mais, à présent, on n'en est pas encore là ; on est loin de la compétition sur les programmes. Aujourd'hui, on mène un combat commun pour instaurer la démocratie. Alors, vous n'êtes pas (ou plus) "le danger islamiste", comme on vous présentait lors du Printemps arabe qui a vu l'accès au pouvoir des islamistes, notamment en Egypte et en Tunisie ? Mais, notre parti est déjà bien connu pour être convaincu des alliances, du respect de la démocratie ; convaincu de la diversité et de la cohabitation. Puis, on doit convenir qu'en Algérie, il n'y a pas une force qui peut s'imposer sur les autres, même le pouvoir en place, avec tous ses atouts, avec toutes les institutions qui le soutiennent, n'arrive pas à se stabiliser. Il faut vivre ensemble dans un cadre démocratique, dans un cadre qui garantit le droit et les libertés. On peut même arriver à un contrat national entre les différentes composantes de la nation, c'est-à-dire une plate-forme qui rassure tout le monde et mettre en place une Constitution qui garantisse des droits de chacun. Lorsque les militaires ne s'immiscent pas dans les affaires politiques, les politiciens arriveront à régler les problèmes. L'enseignement essentiel de l'exemple de la Tunisie, c'est que l'armée a justement laissé le soin aux politiciens de régler leurs problèmes, et ces derniers sont arrivés à le faire. Autrement dit, il faut que les institutions militaires et sécuritaires soient neutres et ne s'ingèrent pas dans la question politique. Et répondriez-vous à ceux qui vous critiquent ouvertement pour avoir opté pour le boycott de cette élection, à l'instar du FFS qui, pourtant, lui, ne participe pas, ni ne boycotte ni ne soutient ? Il faut beaucoup d'efforts pour comprendre ça... Nom Adresse email