L'ancien président de la République, Liamine Zeroual, a rompu, hier, pour la deuxième fois, la réserve qu'il s'était imposée depuis qu'il a démissionné de sa haute fonction en 1998. En 2009, il avait déclaré qu'il ne croyait pas à "l'homme providentiel". Hier, il s'est longuement exprimé contre le quatrième mandat, en insistant sur "l'alternance" au pouvoir et surtout en estimant que la révision constitutionnelle de 2008 a compromis "le processus de redressement national". "Aujourd'hui, la survenance d'une série d'événements et de déclarations, autant multiples qu'inhabituels, notamment à la veille d'une importante échéance électorale, m'a mis dans l'obligation morale de m'exprimer et de partager mes sentiments et mes craintes avec mes concitoyens algériens." Par ces quelques mots, l'ancien chef de l'Etat, Liamine Zeroual, a ébauché la lettre qu'il a adressée à ses concitoyens, par le truchement de quelques organes de la presse écrite et électronique privée. Mesurés et circonspects sont, certes, ses propos. Pourtant ils pèseront, sans aucun doute, lourdement sur le cours des événements dès lors que l'homme s'est imposé un silence — rompu une seule fois en 2009 quand il s'est insurgé contre la qualité "homme providentiel" qu'on attribuait à son successeur —, depuis sa démission de la plus haute fonction dans la hiérarchie de l'Etat en septembre 1998, soit une année avant la fin de son mandat. "En ma qualité d'ancien président de la République, je me suis, jusqu'à maintenant, interdit d'investir intempestivement le champ politique par obligation de réserve et abstenu d'interférer dans l'espace institutionnel par éthique républicaine. Toutefois, cette attitude de réserve ne m'a jamais empêché d'être toujours sensible aux pulsations de la société algérienne et d'observer avec une attention régulière et un intérêt particulier l'évolution de l'actualité nationale", a-t-il d'ailleurs expliqué. Justement, ce retrait de la vie publique, qui a duré plus de quinze ans, confère à son implication dans l'actuel débat politique, une importance capitale. D'autant qu'il a eu l'intelligence de livrer ses opinions et de définir sa position avec finesse, en donnant l'impression de les suggérer plutôt que de les exprimer. Il en est ainsi de son opposition sous-entendue au quatrième mandat. Liamine Zeroual ne cite, à aucun passage de son communiqué, le président Bouteflika ni sa candidature pour une énième mandature. Il défend, toutefois, l'alternance au pouvoir avec une telle détermination et force d'arguments, que son message devient clair, y compris pour les plus obtus. "La révision de la Constitution algérienne en 2008, notamment l'amendement de son article 74, relatif à la limitation des mandats présidentiels à deux, a profondément altéré le saut qualitatif qu'exigeait l'alternance au pouvoir et a privé le processus de redressement national de conquérir de nouveaux acquis sur le chemin de la démocratie", a-t-il soutenu. Il s'est, de cette manière, exprimé sans ambiguïté contre l'amendement dudit article de la loi fondamentale qui a permis à son successeur à la magistrature suprême de briguer un troisième mandat en 2009 et de se présenter pour un quatrième en 2014, alors qu'il est considérablement affaibli physiquement par la maladie et l'âge. Aussi subtilement, il a rappelé que la fonction présidentielle est "une lourde et délicate charge, autant morale que physique". Elle implique "un certain nombre de conditions dont essentiellement celles qu'édicte formellement la Constitution, d'une part, et celles qu'impose l'éthique des règles protocolaires liées à l'exercice de la fonction, d'autre part". Pour lui : "Il est temps d'offrir à l'Algérie la république qu'elle est en droit d'exiger de son peuple et de son élite éclairée." Raison pour laquelle il convient de s'acheminer vers "un mandat-transition (...) plus conforme aux aspirations légitimes des générations post-Indépendance et en harmonie avec les grandes mutations que connaît le monde". Battant en brèche le discours des soutiens du président Bouteflika, qui le présentent ostensiblement comme l'unique garant de la stabilité du pays et de sa survie, l'ancien chef de l'Etat a estimé incongru de "croire que la grandeur du dessein national peut relever de la seule volonté d'un homme, serait-il providentiel, ou de l'unique force d'un parti politique, serait-il majoritaire". Il a mis en garde, en outre, contre une sous-estimation des soubresauts sociopolitiques et le rejet du statu quo qui égrènent l'actualité nationale. "Il faut se garder de sous-estimer la situation actuelle et de penser que la manne financière peut, à elle seule, venir à bout d'une crise de confiance structurelle. Même fondés, l'étalage des statistiques et des bilans chiffrés à l'adresse d'une opinion nationale exsangue n'est pas pour convaincre son scepticisme exacerbé, ni de nature à contenir l'effervescence citoyenne que connaît actuellement la scène politique nationale". Il a, alors, apporté son adhérence aux actions populaires, en les qualifiant "d'effervescence citoyenne qui n'a d'autre ambition légitime que celle d'apporter sa propre contribution à l'édification d'un nouvel ordre politique dans la fidélité à l'esprit de la déclaration du 1er Novembre 1954 et en harmonie avec les normes universellement consacrées". Bien entendu, Liamine Zeroual, lui-même militaire de carrière, n'a pas manqué de s'insurger contre les attaques du secrétaire général du FLN, Amar Saâdani, contre le DRS, en les extrapolant à l'ensemble du corps. "Malheureusement et tout récemment, l'institution militaire s'est vue exposée à une regrettable diatribe dont la finalité n'est autre que celle de fragiliser de nouveau l'appareil national de défense et sécurité nationales et d'ouvrir ainsi la porte aux multiples dangers qui guettent l'Algérie. Mais en cette matière, l'Armée nationale populaire est parfaitement compétente pour faire face à de tels dangers, compte tenu de la qualité des hommes qui y exercent et qui disposent des capacités patriotiques leur permettant de remplir leur mission." Immanquablement, l'intervention de l'ancien président de la République, qui a pris en main la destinée de l'Algérie au moment où elle était à genoux ; qui a réussi à abattre le mur de la peur du terrorisme en amenant les électeurs à participer massivement à la présidentielle d'octobre 1995 et qui a, surtout, quitté prématurément ses fonctions pour marquer son refus de parrainer le projet de réconciliation nationale, influencera l'issue du processus électoral. Elle attribuera assurément une plus grande dimension à la manifestation de protestation des populations des Aurès, région dont il est originaire, contre la mauvaise blague du directeur de campagne du candidat Bouteflika, perçue comme une insulte impardonnable. S H Nom Adresse email