Au coût déjà considérable pour les finances publiques du gel des prix des carburants depuis plus de 15 ans s'ajoute un vaste trafic transfrontalier et un gonflement accéléré des importations. Tandis que les autorités algériennes viennent de réaffirmer que la révision des prix de l'énergie n'est pas à l'ordre du jour, nos voisins marocain et tunisien sont au contraire engagés dans une démarche de diminution des subventions aux carburants qui va creuser encore un peu plus l'écart entre l'Algérie et ses voisins maghrébins et constituer une puissante incitation au renforcement d'un trafic transfrontalier déjà florissant. Algérie : des prix gelés depuis 15 ans L'Algérie des années Bouteflika aura tenté avec constance d'endiguer les contestations sociales et politiques en agissant sur le levier des prix. Au fil du temps, cette politique s'est élargie à un nombre croissant de produits et sa vocation première qui était d'aider les plus démunis s'estompe de plus en plus. Une recette dont le coût, déjà considérable, pour les finances publiques mais également en termes de croissance des importations (voir notre encadré) ne cesse de s'alourdir. Le mécanisme ne se limite malheureusement pas aux seuls produits alimentaires de base et les prix de l'eau, du gaz, de l'électricité ainsi que, surtout, ceux des carburants sont fixés administrativement à des niveaux sensiblement inférieurs à leur coût de revient. Cette générosité de l'Etat ne profite d'ailleurs pas aux seuls Algériens et on sait qu'elle contribue à alimenter un bassin géographique important à travers un vaste trafic frontalier. C'est ce que les autorités algériennes ont reconnu au cours des derniers mois par la bouche de plusieurs membres du gouvernement. Le ministre de l'Intérieur parle de danger pour la sécurité nationale et de renforcement des contrôles aux frontières. Avant lui, le ministre des Finances, Karim Djoudi, avait annoncé l'introduction dans les prochaines lois de finances d'une indication sur le montant des subventions pour les produits énergétiques, tout en tenant à préciser que ce sera sans budgétisation. Pas question donc pour l'instant de relever les prix de l'énergie et des carburants, mais on saura au moins ce que leur subvention coûte à la collectivité nationale. Il était temps, la croissance de la consommation des produits énergétiques, stimulée par des prix dérisoires, est carrément vertigineuse, entre 15 et 20% par an pour les carburants, selon des chiffres officiels communiqués dernièrement. La réforme des subventions engagée au Maroc en 2014 Le chef du gouvernement marocain, Abdelilah Benkirane, a fini par introduire sa réforme de la Caisse de compensation, entité qui chez nos voisins de l'ouest est le réceptacle mais aussi l'organe de gestion des subventions de l'Etat aux produits de première nécessité. Cette réforme passera d'abord par un abandon progressif du soutien des prix des produits pétroliers et connaîtra son application en 2014. L'abandon du soutien de l'Etat ne concernera que l'essence super et le fuel industriel, destiné aux grandes industries, alors que la gasoil domestique restera encore un produit subventionné. Dorénavant, selon cette mesure, le prix de l'essence super sera indexé sur celui du marché international, de même que pour le fuel industriel. En outre, le prix de ces deux produits sera revu tous les 1er et 16 de chaque mois. A fin octobre prochain, la réduction de la subvention du gasoil passera à 0,80 dirham le litre seulement contre 2,15 dirhams actuellement. En octobre 2014, le prix du litre de gasoil passera à 9,89 DH (environ 70 DA) contre 8,54 DH actuellement, et sera en fait assujetti à l'indexation des prix des produits énergétiques. Cette mesure est destinée à soulager la Caisse de compensation. La charge annuelle des produits énergétiques coûte à l'Etat marocain plus de 25 milliards de dirhams (environ 2 milliards de dollars), entre pétrole brut, produits dérivés et gaz. La loi de finances 2014 prévoit un budget pour la Caisse de compensation de 41 milliards de dirhams, dont plus de la moitié pour le soutien des prix des produits pétroliers. La Tunisie sous la pression du FMI La Tunisie se prépare à prendre en 2014 le même chemin que le Maroc. Les mesures budgétaires prises par le gouvernement tunisien pour répondre aux conditions du prêt accordé par le Fonds monétaire international (FMI) comportent des augmentations des prix du carburant et de la baguette, indiquent des documents confidentiels révélés, récemment, par le site d'informations tunisien Nawaat. Selon un document émanant du ministère tunisien du Commerce, le gouvernement a planifié deux augmentations des prix du carburant en 2014. La première de 3 % était programmée au mois de février et la seconde de 5 % au mois d'août. "En plus de ces augmentations, le ministère de l'Industrie et la Présidence du gouvernement mettront en œuvre une formule de fixation automatique du prix du carburant", ajoute le site d'informations tunisien, qui explique qu'il "s'agit d'un mécanisme permettant aux prix locaux d'être ajustés, d'une manière ‘dépolitisée', proportionnellement aux prix internationaux". "L'application de nouveaux tarifs pour les produits énergétiques fait partie des six mesures auxquelles doit répondre la Tunisie pour obtenir le déblocage de la deuxième tranche du prêt de 1.7 milliard de dollars accordé en juin 2013 à la Tunisie par le Fonds monétaire international (FMI)", indique Nawaat qui cite un extrait d'une "note sur les prochaines étapes dans le cadre du stand-by avec le FMI", émanant de la Banque centrale tunisienne (BCT) en date du 3 janvier 2014. Trafic de carburants : plus de 600 millions de dollars avec la Tunisie Ces annonces interviennent au moment de la présentation en février dernier au siège de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Utica) lors d'une journée sous le thème de la contrebande et du commerce parallèle en Tunisie, d'une étude de la Banque mondiale, intitulée "L'estimation du commerce informel à travers les frontières terrestres de la Tunisie". Cette dernière estime que "grossièrement, 25 % des carburants consommé en Tunisie" proviennent d'importations informelles à partir de l'Algérie. "Les raisons principales derrière ce commerce informel à grande échelle sont les différences des niveaux de subventions de chaque côté de la frontière", souligne l'étude. Le commerce informel de carburant est devenu "significatif" ces derniers temps, conséquence des deux dernières augmentations du prix d'essence à la pompe en Tunisie, "qui a élargi l'écart dans des prix entre les deux pays voisins. "Le carburant coûte actuellement en Algérie un dixième du prix à la pompe en Tunisie". Toujours selon cette étude, c'est une armada de pas moins de 3 000 camions qui serait impliqués dans le commerce informel entre l'Algérie et la Tunisie pour une valeur marchande estimée, rien que pour le carburant, à 882 millions de dinars tunisiens, soit près de 600 millions de dollars. H. H. Nom Adresse email