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Constantine : la nuit du doute
Ses habitants font face à une insoutenable incertitude
Publié dans Liberté le 20 - 03 - 2004

L’opinion publique, ici, tangue au gré des déclarations contradictoires en provenance d’Alger, et en fonction de la direction changeante du vent politique. À Constantine, on navigue à vue....
Constantine préélectorale respire l’incertitude à pleins poumons. Ses jugements et opinions politiques fluctuent au gré des déclarations, des sautes d’humeur et de quelques insondables coups de gueule poussés depuis Alger. La rue de l’antique Cirta se fait allègrement l’écho des bruissements du sérail, qui accréditent une thèse pour un temps et en privilégient une autre tout de suite après. Constantine ne sait plus quelle musique composer. Mais surtout à la gloire de qui la chanter. Et pour cause, ici, la valse est à trois temps. À trois tons aussi. Bouteflika ou Benflis et, à un degré moindre, Djaballah. Constantine a du mal à faire son choix, tant l’horizon politique est poussiéreux. Elle attend, comme toutes les autres régions du pays, sans doute, le fameux signal, le vrai, non pas les fausses alertes...
Et en attendant, elle caracole et sautille entre les bras des trois principaux “dragueurs�, pour ne pas avoir à subir une cinglante surprise. Parce qu’ici, comme partout ailleurs, on se garde bien de se griller. De se mettre à dos un cheval qui risque d’être le gagnant de la course. Un coup de poker que les constantinois hésitent à tenter avant que les chandelles d’Alger n’éclairent le ciel obscurci de l’est. En l’occurrence, la récente déclaration du chef d’état-major de l’armée, le général Lamari, a tôt fait de renvoyer l’opinion publique de cette grande ville à ses terribles incertitudes : mais qui est donc le poulain de l’armée ?
Lancinante, cette question taraude les esprits ici. Elle incite les citoyens à attendre. Attendre le signal, le vrai, pour sortir de cette torpeur électorale et rejoindre corps et âme celui qui sera adoubé.
“Le jeu est salé, on ne sait vraiment pas ce qui se prépare ni ce qui va se passer.� cette réflexion d’un observateur avisé ici à Constantine traduit, à elle seule, l’état de l’opinion, mais surtout cette interminable nuit de doute qui maintient en éveil les citoyens, lesquels n’ont pas forcément choisi leur camp. “De mémoire de journaliste, jamais une telle incertitude n’a plané sur Constantine à la veille d’une élection, quelle que fut sa nature. La tendance générale était toujours claire et les résultats presque connus d’avance. Mais, cette fois-ci, on ne sait franchement pas où donner de la tête. C’est flou ! C’est pour cela que les gens ici restent attentifs à ce qui se dit à Alger.� Assurément, ce propos est symptomatique de la mollesse constantinoise et de l’indécision qui a gagné les électeurs. C’est ce qui explique, sans doute, l’ambiance un peu morne dans cette ville comme si nous n’étions pas à la veille d’une campagne électorale qui s’annonce féroce. Les états-majors des candidats se tiennent en respect, chacun dans son camp en attendant l’entrée dans l’arène pour y croiser le fer. Les permanences de Bouteflika et de Benflis sont situées presque l’une en face de l’autre aux abords de la grande placette du centre-ville. Cela donne déjà un avant-goût d’une guerre de position ; d’un terrible et indécis duel fratricide au sein de la “maison� du système. Notre interlocuteur ne perd pas de vue que toute cette incertitude prend racine du fait que, pour une fois, les décideurs servent au peuple deux candidats issus du régime.
“Vous savez, aussi bien Benflis que Bouteflika sont issus du FLN et donc du système ; et à ce titre, on se retrouve dans un cas à la fois original et contradictoire pour la première fois depuis l’indépendance ; les citoyens sont appelés à choisir entre deux figures du sérail. C’est quand même un déchirement et c’est difficile.� Ici, à Constantine, on est convaincu d’une chose : le système dans son acceptation populaire a subi une large lézarde avec l’entrée en scène de deux de ses lièvres. On pense même que c’est la fin d’une époque. Celle d’un système précisément qui a démontré ses contradictions et étalé sa dislocation sur la scène publique. Cela explique dans une très large mesure le scepticisme des constantinois et alimente la tendance à l’abstention. Ici, on redoute sérieusement la désaffection populaire le jour du vote. On craint aussi que le choc Benflis/Bouteflika accouche d’un Djaballah président. Ce scénario court les rues. Et les partisans du “cheikh� se frottent les mains et bombent le torse. Le représentant d’El-Islah, ici, ne doute pas un instant de la victoire de Djaballah, pas uniquement au niveau local mais à l’échelle nationale. “Nous allons gagner avec l’aide de Dieu�, dit-il, sentencieux. Chez Bouteflika également, on est sûr de la victoire tout en respectant les adversaires. En face, au QG du FLN, on célèbre déjà “ennasr� avec le tube spécial de Mazouni à la gloire du “président Benflis�. “Nous allons le faire partir�, assène un animateur de la permanence. Pendant ce temps, la rue, elle, observe ce spectacle, presque sans broncher. Elle est visiblement déroutée. Et elle le sera probablement jusqu’au 8 avril. À moins que, chemin faisant, le vrai poulain finisse par se faire booster publiquement.
H. M.


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