C'est le titre de l'un des chefs-d'œuvre du septième art japonais réalisé par Akira Kurosawa (1910-1998) en 1980. Une fresque cinématographique qui mérite d'être racontée et qui, comme toute création intellectuelle, invite à la méditation... L'œuvre relate une épopée historique survenue au Japon, au XVIe siècle. Le pays vit alors au rythme de guerres continues entre clans rivaux qui se disputent la domination des territoires et des populations. À la tête du plus puissant d'entre eux, le grand seigneur guerrier, Shingen Takeda. L'objectif, alors, consiste à s'emparer de Kyoto et, partant, de contrôler le pays entier. Mais, avant de parvenir à ses fins, Shingen est grièvement blessé au cours du siège du château de Noda. Pour éviter que les luttes intestines ne ruinent la cohésion de son clan et que l'ennemi ne croit celui-ci affaibli par sa mort, Shingen demande à ses généraux de cacher sa mort pendant trois ans, le temps que son fils, Katsuyori, puisse lui succéder. Or, Shingen s'est choisi un sosie pour les rôles de parade, en la personne d'un Kagemusha (littéralement "l'ombre du guerrier"), ancien petit voleur de son état et providentiellement épargné pour sa ressemblance avec le seigneur du clan. Kagemusha servira donc comme doublure du maître pour tromper aussi bien les ambitions "intérieures" que les ennemis "extérieurs". Et leur faire croire que le seigneur est toujours vivant, qu'il commande toujours le clan et porte encore ses ambitions. Le film raconte l'évolution du personnage de Kagemusha (pour les généraux dans le secret, il n'a d'autre nom que celui de Kagemusha, "l'ombre" ; pour le reste du clan et les ennemis, il est, bien sûr, supposé être Shingen Takeda, le vrai seigneur), mais aussi ses ambitions, ses combats, ses peurs... jusqu'à sa chute, puis la chute finale du clan Takeda. De pathétique "ombre", il devient — c'est le rôle qu'on lui impose — chef de guerre. Il prend de l'assurance. Il tient sa fonction de seigneur sans faillir, se prend donc à son propre jeu, en attendant que le fils héritier parvienne à l'âge de prendre le pouvoir. Jusqu'au jour où l'on découvre la supercherie : blessé lors du dressage d'un cheval, Kagemusha est démasqué par l'ensemble du clan et chassé... Kagemusha, l'ombre du guerrier est un long métrage sur l'orgueil et la vanité que le hasard des conspirations peut faire naître et exacerber chez les indus occupants de certaines positions, un film sur le conflit de générations, opposant une parentèle de samouraïs conquérants et une descendance lassée des valeurs belliqueuses surannées. Il évoque, aussi, cette capacité consistant à s'aliéner, au sens littéral du terme, à chercher à devenir l'autre, jusqu'à ne plus pouvoir être soi. "L'ombre du guerrier" finit, d'ailleurs, par sombrer dans une semi-folie. Aussi, bien avant le dénouement de l'épique saga, Nobukado, le frère du chef du clan, et chargé de conseiller Kagemusha pendant son "factice règne", s'interroge-t-il sur le destin des "doubles", dans cette réplique : "Lorsque tout le monde saura que le chef n'est plus en vie, que deviendra son ombre ?" Dans les années 1950, Kurosawa, encore jeune, réalisait un autre chef-d'œuvre, bien plus connu encore, Les sept samouraïs. Depuis, celui-ci a donné matière, croyons-nous, à plusieurs remakes, déclinés, pour chacun, par son titre. M. H. [email protected] Nom Adresse email