Pour elle, le document proposé comme base de discussion n'apporte absolument rien de nouveau ou presque au débat politique. Fatma-Zohra Drif-Bitat, ancienne combattante de la Zone autonome d'Alger et actuelle sénatrice du tiers présidentiel, n'a pas souvent la langue dans la poche lorsqu'il s'agit, pour elle, de s'exprimer sur les questions qui agitent le pays. Elle le fait même avec des mots parfois durs lorsque la conjoncture l'interpelle, étant investie d'une légitimité historique que très peu peuvent lui contester. Celle qui a côtoyé Larbi Ben M'hidi, qui ne s'encombre pas de préjugés, ni de petits arrangements politiques de copains, vient encore une fois de fournir les preuves en dressant un réquisitoire au vitriol à la démarche du pouvoir concernant la révision constitutionnelle. "En lisant et relisant les documents que vous avez eu l'amabilité de m'envoyer, je n'ai cessé de me demander ce qu'en aurait pensé le grand Ben M'hidi que j'ai eu la chance de côtoyer et sous la direction duquel j'ai eu l'immense privilège de travailler jusqu'à son lâche assassinat par l'ennemi français", écrit-elle dans un document adressé à Ahmed Ouyahia, chargé des consultations autour de la révision de la Constitution. "C'est donc avec la sincérité de mon cœur et la fidélité à la rigueur morale hors du commun de Ben M'hidi ainsi qu'à son sacrifice, que je me dois de vous dire la vérité : en dehors de quelques dispositions qui n'ont aucunement lieu d'être dans une Constitution (elles relèvent d'une simple loi), le document que vous m'avez fait parvenir n'apporte absolument rien ou presque", relève-t-elle dans ce texte, daté du 5 juin, dont nous détenons une copie. Soit le jour où elle a été reçue par Ahmed Ouyahia. Mais ce jour-là, à l'issue de la rencontre qui a duré deux heures, Mme Zohra Drif s'est refusée à toute déclaration à la presse. "Absolument rien, car outre le fait que les amendements ne constituent que la énième trituration d'un texte qui devait accéder à l'intouchabilité du sacré — ce qui confère à cette révision constitutionnelle le statut de énième sacrilège — les changements proposés ne font que rendre criardes des concentrations de pouvoirs présidentiels qui étaient largement exorbitants. Quant à l'essentiel, rien ne change", dit-elle. Indice que "presque" rien ne change à ses yeux l'article 81 bis proposé dans la nouvelle mouture et qui stipule que le "Premier ministre peut recevoir du président de la République, dans les limites fixées par la Constitution, une délégation du pouvoir réglementaire." "C'est une monstruosité au sens anatomique du terme. Cet article représente non seulement une violation de toute une part de la Constitution dont il fera partie (comme une maladie auto-immune), mais il est surtout une négation de la volonté populaire en permettant le détournement illégal d'un mandat électif intuitu personæ au suffrage universel", observe-t-elle. "Il est vrai que jusqu'ici on nous avait habitués à faire adopter une Constitution pour très vite la violer ou la triturer au besoin. C'est bien la première fois qu'il est proposé au peuple algérien un article par lequel il abdiquerait sa volonté ou pire, par lequel le mandat qu'il donne à un Président élu, et responsable devant lui, est détourné vers une personne non élue et non responsable devant lui. Mais alors, pourquoi élire un Président au suffrage universel ? Et pourquoi se doter d'une Constitution ?" s'interroge-t-elle encore. Autres griefs : l'absence de garanties pour que la Constitution ne soit pas désormais violée. "Cela m'amène à penser hélas que cette révision constitutionnelle, pas plus que la précédente, ne répondra pas aux problèmes politiques et institutionnels qui se posent à notre pays. C'est dommage et j'en suis la première meurtrie", dit celle qui affirme parler "avec sincérité et honnêteté, mue par ce que je crois bon pour mon pays et seulement par cette conviction". Mme Drif, qui a décidé de rendre public le document à la veille de la tenue de la conférence de transition, a adjoint au document les propositions qu'elle avait déjà formulées en 2011 à l'occasion de sa rencontre avec la commission Bensalah. Elle plaide, notamment, pour l'émergence d'une deuxième république à travers l'élaboration d'une Constitution, issue d'une Assemblée constituante, où seront consacrés les principes démocratiques et républicains, lesquels seraient protégés par l'ANP et la mise en place d'une gouvernement de transition chargé d'organiser l'élection d'un nouveau Parlement et d'élaborer de nouvelles lois. K. K. Nom Adresse email