En deux heures de temps, le professeur universitaire en histoire contemporaine a abordé les liens de l'histoire à une mémoire collective qui occulte, consciemment ou pas, des vérités peu glorieuses de la guerre de Libération nationale. De quelle manière et pour quelles raisons la mémoire collective et/ou individuelle induisent-elles une écriture déformée de l'histoire. À ces questions, l'universitaire Daho Djerbal a œuvré à apporter des réponses lors d'une conférence-débat qu'il a animée, jeudi en soirée, à la Bibliothèque nationale d'El-Hamma. Il a, toutefois, posé la problématique autrement, en cherchant la corrélation entre l'histoire et la mémoire. Une entreprise délicate et sensible, de son point de vue. Dès lors, le professeur Djerbal bouscule les protocoles, passe outre les longues introductions, va directement à une première conclusion. "En Algérie, il existe une tendance à utiliser la mémoire de ceux qui ont vécu la période coloniale à des fins politiques." Il estime qu'il ne convient pas de chercher à savoir comment les historiens appréhendent les faits d'histoire sans comprendre comment la société exprime et restitue des événements vécus ou connus par procuration. Daho Djerbal étaye ses idées en livrant une analyse de la guerre de Libération nationale, qu'il livre sous des aspects peu exploités jusqu'alors. "Il ne faut pas aborder cette guerre uniquement par la violence coloniale, mais aussi par les clivages, les affrontements intercommunautaires et les luttes intestines entre combattants. C'est là un volet occulté de l'histoire. Les purges, les liquidations et les adversités (au sein du FLN et de l'ALN, ndlr) sont effacées de la mémoire collective", affirme le conférencier. Aux générations pos-Indépendance, on ne rapporte, par le truchement des supports officiels, que les faits d'armes de l'ALN contre les troupes françaises et les succès politiques et diplomatiques du FLN. Le silence est imposé tacitement sur les conflits entre leaders de la lutte armée, les exécutions sommaires, les règlements de comptes... Le maître de conférences en histoire contemporaine au département d'histoire à la faculté des sciences humaines et sociales de l'université d'Alger puise ses exemples de séquences de la guerre d'Indépendance, survenues dans les Aurès. Il évoque Benboulaïd et le Colonel Amirouche. Il s'appuie sur des témoignages de d'anciens moudjahidine, qui ont côtoyé les deux hommes, et qui parlent d'emprisonnement de frères de combat, de torture, d'exécutions sommaires... pratiqués dans cette région du pays et à cette époque. "La mémoire traumatique existe toujours. Mais elle est refoulée, interdite, car la place publique ne permet pas de l'exprimer", souligne le Pr Djerbal. "Parfois, le silence et l'oubli sont nécessaires pour la préservation de la communauté", termine-t-il. Il est, certes, plus valorisant de ne retenir des sept années de la guerre de Libération nationale que le positif. S'aventurer à éventrer les réalités glauques de cette guerre pourrait remettre en cause l'intérêt du sacrifice pour l'Indépendance de l'Algérie et le sens du patriotisme. "Dans ce cas, quel est le rôle de l'historien, qui dans sa quête de vérité est accusé de créer la fitna ?" s'interroge le professeur Djerbal. Il n'est assurément pas politiquement correct de montrer, sans tabou ni rétention de faits et d'information, ce qui se cache derrière le miroir d'une guerre, qui a libéré un pays et un peuple du joug de 132 ans de colonisation. Pourtant, la connaissance honnête de toutes les vérités sur ce passé permettra de comprendre certainement mieux le présent, particulièrement la crise du régime actuel. S H Nom Adresse email