C'est une note aux relents d'une guerre feutrée au sérail que vient d'envoyer le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Louh, aux procureurs généraux près les cours portant notamment sur la direction de la Police judiciaire (PJ), sa surveillance et le contrôle de ses activités dans le respect des droits et des libertés. Sinon, comment expliquer ce besoin, visiblement pressant, chez le ministre de rappeler, articles de loi à l'appui, le pouvoir du parquet dans la diligence d'une enquête pénale, si certaines dispositions n'étaient pas respectées ou d'éventuelles interférences éventuelles n'étaient pas relevées ? Dans cette note, dont Liberté détient une copie, le ministre de la Justice rappelle les devoirs qui échoient aux procureurs de la République et aux procureurs généraux dans l'encadrement et le contrôle des activités de la PJ. Ainsi, dans le domaine de l'action publique, le ministre rappelle que le code de procédure pénale a attribué des prérogatives explicites au procureur de la République quant au suivi des activités de la Police judiciaire, parallèlement aux missions de surveillance de la Police judiciare, confiées au procureur général, comme il a doté aussi la chambre d'accusation de la mission de contrôle. "C'est dans ce cadre que le procureur de la République ainsi que le procureur général, chacun en ce qui le concerne, doivent veiller avec toute la précision requise, au respect des officiers de la Police judiciaire (OPJ), aux obligations et devoirs que leur dicte la loi." Les OPJ sont tenus, notamment, rappelle le ministre, "d'informer sans délai le procureur de la République des crimes et délits dont ils ont pris connaissance (article 18, al.1)". En évoquant le délai, Tayeb Louh suggère-t-il l'existence de lenteur, ce qui supposerait l'éventuelle existence d'interférence ? Ils sont tenus également de "veiller à appliquer exclusivement les instructions du procureur de la République (article17, al.2) ; effectuer les opérations relatives aux enquêtes, à l'exécution des commissions rogatoires et ordonnances ainsi que les différentes instructions du parquet avec la précision requise et en faire parvenir sans délai au procureur de la République, les procès-verbaux, pièces et objets saisis (articles18, al.1) ; garder le secret de l'enquête, informer le procureur de la République de l'état d'avancement et du résultat des enquêtes en cours et solliciter du procureur de la République les autorisations nécessaires, notamment lorsqu'il s'agit de visiter un lieu d'habitation (article 44, al.1) ou de recourir à tous les moyens d'investigations et de recherches spéciales (articles 65 bis 5 et suivants) et de le tenir informé de tout extension de compétences en vue de procéder à la surveillance des personnes et des biens et de s'y conformer à sa décision lorsqu'il s'y oppose". Dans le domaine de la garde à vue qui a souvent donné lieu à des polémiques, le ministre, garde des Sceaux, rappelle que "le procureur de la République (ou le juge d'instruction) doit être informé immédiatement de la décision de la garde à vue et lui en faire rapport sur les motifs de celle-ci". "Le mis en cause doit être présenté devant le procureur de la République dans un délai maximum de 48 heures, sauf prolongation accordée après demande (articles 51, 65 et 141)", ajoute-t-il. Les OPJ sont ainsi tenus "de veiller à la sécurité physique et morale de la personne gardée à vue et à la préservation de sa dignité durant la période de garde à vue (article 51 bis et 51 bis 1)" et "informer la personne gardée à vue de ses droits prévus à l'article 51 bis. Faute de respect de ces procédures, le ministre insiste sur la nécessité d'actions disciplinaires à l'encontre des officiers qui ont manqué à leur devoir". "En cas de manquement relevé à la charge des OPJ dans l'application desdites procédures et dans l'accomplissement de leur devoir, le procureur de la République compétent doit saisir le procureur général afin d'engager l'action disciplinaire ou l'action pénale, le cas échéant, conformément aux articles 35, 206, 207 et 577", souligne Tayeb Louh. La PJ de l'armée sous l'œil du PG Au chapitre de la surveillance de la Police judiciaire, le ministre rappelle à l'endroit des procureurs généraux auxquels échoit cette mission qu'ils sont tenus de "réviser et actualiser, au début de chaque année judiciare, les dossiers concernant les OPJ (article 18 bis), de mettre en mouvement l'action disciplinaire à l'encontre d'un OPJ en cas de manquement de celui-ci à l'une de ses obligations professionnelles en cette qualité (article 207) ; ou l'exercice de poursuites pénales lorsque les faits qui lui sont reprochés sont susceptibles de qualification pénale (article 577)". Autre instruction de taille, qui semble s'inscrire dans le prolongement du décret présidentiel datant du 11 juin dernier et portant rattachement du service de la Police judiciaire de l'armée, jadis sous la coupe du département du renseignement et de la sécurité (DRS), et passée aujourd'hui sous la coupe de Gaïd Salah : les procureurs généraux sont appelés à "veiller au respect des OPJ du service d'investigation judiciaire de la direction de la sécurité intérieure (ministère de la Défense nationale) quant à leur compétence d'attribution prévue aux articles 4, 5 et 6 du décret présidentiel n°14-183 du 11 juin 2014 portant création dudit service et fixant ses missions et son organisation". D'autre part, le procureur général est appelé à "mettre en mouvement l'action disciplinaire lorsqu'il constate un manquement ou une violation à la loi commis par les OPJ et de saisir la Chambre d'accusation qui dispose du pouvoir de contrôle sur les activités des OPJ et des fonctionnaires chargés de certaines prérogatives de PJ (article 206) et d'entamer des mesures disciplinaires, pour y statuer." Ecoutes téléphoniques, surveillance électronique, droit de sortie à l'étranger : seule la justice décide ! Sauf sur autorisation écrite préalable délivrée par l'autorité judiciaire à l'OPJ pour des exigences liées à la lutte ou à la prévention des crimes, l'enregistrement des communications téléphoniques et électroniques ou leur mise sur écoute ou leur interception sont prohibés, en référence à l'article 39 de la Constitution relatif à la protection de la vie privée des citoyens et qui assure le secret de leurs correspondances et communications de toute forme de violation, indique la note. "L'OPJ exécute, sous la surveillance directe de l'autorité judiciaire et à l'instar de ses autres activités en matière de sécurité nationale et de lutte contre le crime organisé, ladite autorisation sous peine de responsabilité pénale", souligne le ministre. "Afin de concrétiser cette protection, le ministère public se doit, dans le cadre de l'exercice de ses attributions de direction et de surveillance de la Police judiciaire, d'engager des poursuites pénales en cas de toute violation de la loi." En outre, dans le prolongement de la décision du président Bouteflika annoncée par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, devant les députés en juin dernier, la note rappelle que la liberté de circulation des citoyens et leurs droits d'entrée et de sortie du territoire, consacrée par l'article 44 de la Constitution, ne peut être limitée que par "l'existence d'une décision de l'autorité judiciaire". "Par conséquent, toute décision émanant de toute autre entité, ou tout acte portant atteinte à la liberté de circulation sera considéré comme une violation d'un droit constitutionnel, qui engage la responsabilité de son auteur. Les procureurs de la République engagent, à cet effet et conformément à la loi, des poursuites pénales à l'encontre de tout contrevenant", insiste la note. Comme pour veiller à l'application de cette note, l'inspecteur général est chargé d'organiser des visites d'inspection pour le suivi et l'exécution, par les parquets généraux et les parquets de la République, des dispositions légales suscitées et d'évaluer les actions réalisées à cet effet. "J'attache une importance particulière à l'application de la présente note et à la bonne exécution de ses dispositions et vous prie de rendre compte à l'administration centrale de toute action prise en vue de sa concrétisation", conclut Tayeb Louh. K K Nom Adresse email