Plusieurs approches peuvent être développées pour expliquer le phénomène de la violence dans nos stades. Celles inhérentes au droit régissant le sport prennent une place importante. Les dépassements individuels n'expliquent pas à eux seuls la violence dans les stades. Cette violence s'explique aussi par la triste réalité en ce que le droit n'assure plus convenablement la régulation adéquate des activités sportives. Là où le droit ne joue plus son rôle, l'anarchie s'installe et la loi du talion impose son diktat. A- Un droit précaire Le droit sportif dans notre pays est un droit précaire. Sa précarité est le fruit de plusieurs facteurs. D'abord, ce droit a toujours été en constante et interminable transformation et ce pour qu'il puisse être à chaque fois au diapason avec les multiples mutations politico-économiques traversées par le pays depuis l'accession à l'Indépendance. La loi actuellement en vigueur portant n°13/05 relative à l'organisation et au développement des activités physiques et sportives date du 23 juillet 2013. Cette loi est venue abroger les dispositions de la loi n°04/10 du 14 août 2004 relative à l'éducation physique et des sports. À son tour, la loi 04/10 avait abrogé l'ordonnance n°95/09 du 25 février 1995 relative à l'organisation et au développement du système national de culture physique et sportive. L'ordonnance 95/09 est venue elle-même remplacer la loi n°89/03 du 12 février 1989 portant le même intitulé. Cette dernière avait abrogé le premier code de l'éducation physique et sportive édité par l'ordonnance n°76/81 du 23 octobre 1976. Aucun de ces textes n'est venu modifier ou compléter le texte qui lui a précédé. Au contraire, l'abrogation des textes précédents avait été prévue dans tous les textes qui leur succédaient. Cette remise en cause incessante est source de précarité, car la loi est faite pour instaurer et régir des comportements qui ne valent que s'ils sont projetés dans le temps.. En outre, la loi en vigueur est une loi surdimensionnée. Elle remplit la lourde tâche confiée sous d'autres cieux aux lois dites fondamentales du fait qu'elles représentent le cadre juridique global régissant le secteur d'activité légiféré. En conséquence, la loi 13/05 est contrainte de contenir un nombre d'articles dépassant de loin la moyenne des dispositions contenues dans les lois en vigueur. Pas moins de 253 articles sont réparties sur 15 titres contenant 23 chapitres ayant pour tâche selon l'article premier de définir les principes, les objectifs et les règles générales organisant et régissant le développement des activités physiques et sportives ainsi que les moyens de leur promotion. Par ailleurs, cette loi est extrêmement diffuse, elle comporte des thèmes aussi variés que divers, partant de la définition de l'ensemble des activités physiques et sportives en passant par le volet des sportifs et l'encadrement sportif, le sujet des structures d'organisation et d'animation sportives, les équipements et les infractions sportives, le problème du financement, et enfin la question épineuse de la prévention et la lutte contre la violence dans les infrastructures sportives. Plusieurs textes de loi pouvaient prendre lieu et place de la loi 13/05. L'aspect surdimensionné de cette loi se traduit également par le nombre élevé des renvois à la réglementation. Pas moins de 42 cas de renvois sont recensés, ce qui représente un taux excessif de 17% des articles de cette loi qui ne peuvent pas recevoir application tant que les modalités de leur application ne sont pas encore fixées par les textes réglementaires auxquels il est fait renvoi. Pour éviter le vide juridique, l'article 252 a fixé un délai de douze mois à compter du 31 juillet 2013, date de publication de la loi, pour promulguer les textes réglementaires prévus. En attendant l'intervention des nouveaux textes réglementaires, l'article sus-indiqué prévoit de continuer provisoirement à appliquer les anciens textes d'application afférentes à la loi 04/10. Le délai imparti étant résolu depuis le 1er août 2014, ces anciens textes d'application doivent cesser, par la force de la loi, de produire leurs effets sous l'empire de la loi actuellement en vigueur. Sauf continuer à appliquer illégalement les anciens textes réglementaires, les 17% des dispositions de ladite loi sont devenus immanquablement ineffectifs en raison de l'absence des textes d'application. Cette précarité influe incontestablement sur la valeur de la loi en question et entrave lourdement son efficacité, particulièrement quand les renvois prévus concernent des dispositions-clés de la loi comme celles afférentes à la prévention et à la lutte contre la violence. En effet, la loi en vigueur contient beaucoup d'articles importants qui intéressent la prévention et la lutte contre la violence dans les infrastructures sportives, mais qui sont malheureusement ineffectifs parce que les textes réglementaires contenant les modalités de leur application ne sont pas encore promulgués. À titre d'exemple : - l'article 200 consacre les obligations qui incombent aux institutions concernées par la prévention et la lutte de la violence, à savoir l'Etat, les collectivités locales, les fédérations, ligues, clubs et associations sportives, les gestionnaires des infrastructures sportives, et les organisateurs des manifestations sportives. Toutes ces institutions, chacune en son domaine de compétence, doivent, selon cet article, faire "réunir les conditions et œuvrer... à la sécurisation et au déroulement des manifestations sportives ; assurer ou participer à la formation des stadiers". Un deuxième exemple d'articles inféconds est celui de l'article 205 qui a créé une commission nationale exécutive de prévention et de lutte contre la violence dotée de comités de wilaya, tous chargés "d'étudier, de proposer et de veiller à la mise en œuvre de toutes les mesures concourant à la prévention et à la lutte contre la violence dans les infrastructures sportives et d'œuvrer à la concertation intersectorielle dans ce domaine". Les attributions de ces structures sont déterminantes pour réaliser la sécurité dans les stades. Malheureusement, ces structures n'ont pas encore vu le jour et ne le verront sans doute pas, tant que "leur composition, leur organisation et leur fonctionnement" ne sont pas encore fixés par voie réglementaire, comme il est stipulé par l'article 206/2. B - Une responsabilité disperse et confuse La loi 13/05 n'apporte aucune réponse précise à la question de savoir qui est responsable de la prévention de la violence dans les infrastructures sportives ? La lecture attentive de la loi sportive en vigueur fait apparaître que cette prévention est du ressort de toutes les structures concernées par le sport. Effectivement, selon l'article 199, "l'Etat, les collectivités locales, les fédérations sportives nationales, les ligues et autres clubs sportifs..., les personnels d'encadrement sportif, les dirigeants sportifs, les sportifs ou tout organisateur de manifestations sportives public ou privé, ainsi que la famille et les médias" sont tous chargés "d'œuvrer activement à la prévention et assurent la lutte contre la violence dans les infrastructures sportives". À ce titre, toutes ces institutions "sont tenu(e)s de mobiliser et de combiner les moyens susceptibles de favoriser la prévention et l'élimination de la violence dans les infrastructures sportives". À cette liste, il faut ajouter les structures non encore opérationnelles prévues par l'article 205 que sont la commission nationale exécutive de prévention et de lutte contre la violence ainsi que ses ramifications les comités de wilaya. Les comités de supporters sont eux aussi chargés de la prévention, puisque l'article 201 leur confie les tâches de promouvoir le fair-play, de propager et sauvegarder l'éthique sportive et tout spécialement de "participer à la détermination et la mise en œuvre de toutes mesures susceptibles de prévenir et lutter contre la violence dans les infrastructures sportives". Egalement, l'article 209 oblige les organisateurs de manifestations sportives de mettre en place un service d'ordre chargé notamment "de prévenir l'inobservation des mesures d'ordre et les actes de désordre susceptibles de mettre en péril la sécurité du public et des biens et d'entraver le bon déroulement de la manifestation sportive". Il ressort donc que la loi 13/05 ne responsabilise pas une structure bien précise et à titre exclusif de la prévention de la violence. Celle-ci relève de la compétence plurielle de tous les intervenants dans la sphère sportive. En réalité, aucune politique nationale relative à la prévention de la violence n'a fait l'objet de texte juridique connu, quel que soit son caractère législatif ou réglementaire. À supposer que le texte existe, la politique nationale de prévention de la violence ne peut combattre l'insécurité dans les stades que si les institutions chargées de la prévention créées par la loi 13/05 seront installées, à leur tête la commission nationale exécutive et l'agence nationale antidopage. Sans une politique nationale de prévention, la sensibilisation de la famille, des établissements d'enseignement et de formation, aussi bien que les institutions relevant du secteur des affaires religieuses serait une tâche sans repères et ardue. C- Lutte inefficace contre la violence 17 articles sont consacrés aux dispositions pénales contenues dans le quatorzième titre de la loi 13/05. Dix-neuf infractions au total sont réprimées, soit par des peines de prison allant de deux mois à dix ans, soit par des peines pécuniaires allant d'une amende de dix mille dinars à un million de dinars, soit par les deux types de sanctions à la fois. Evidemment, ces dispositions pénales n'excluent pas l'application des dispositions du code pénal en matière d'infractions autres que celles réprimées par la loi 13/05. La répression pénale telle qu'elle est instituée par la loi 13/05 est infructueuse et ne peut mettre fin à la violence dans les infrastructures sportives, et ce, pour énormément de raisons parmi lesquelles à citer : 1- Il n'existe pas de police judiciaire spécialisée habilitée à rechercher et constater les infractions commises. C'est toujours la police judiciaire de la Sûreté nationale qui accomplit toutes les tâches exigées par les enquêtes préliminaires nécessaires pour la poursuite de toute personne physique ou morale qui enfreint les dispositions légales. Il faut une police judiciaire spécialisée pour les infractions sportives, comme il est souhaitable d'avoir une section pénale spécialisée pour réprimer ce type d'infractions. 2- Les investigations ne peuvent pas être efficaces quand les moyens sont rudimentaires et parfois inexistants. Les infrastructures sportives ne sont pas toutes équipées de système de surveillance, tel que les caméras vidéo et scanners et autres moyens de détection et de surveillance. À défaut d'enregistrements vidéo, l'identification des auteurs des infractions est presque impossible, alors que la loi 13/05 consacre l'utilisation de ces enregistrements au même titre que les feuilles de match rédigées par les arbitres et les rapports des délégués officiels des manifestations sportives dans l'identification des auteurs des infractions. Il est temps de rendre obligatoire l'équipement des stades en moyens de surveillance vidéo. Sans cela, la lutte contre la violence dans les infrastructures sportives serait une tâche difficile et presque impossible. 3- L'article 248 permet d'appliquer à l'encontre des auteurs de certaines infractions l'interdiction d'accès aux infrastructures sportives pour une période n'excédant pas cinq ans. Celui qui viole cette interdiction encourt une peine d'emprisonnement de trois à six mois selon l'article 249, alors que selon l'article 13 du code pénal, l'interdit de séjour qui contrevient ou se soustrait à une mesure d'interdiction de séjour est puni d'un emprisonnement de trois mois à trois ans. La loi 13/05 serait, elle, plus clémente au détriment du principe de l'égalité devant la loi. Pour que cette peine accessoire puisse produire les effets escomptés en matière de lutte contre la violence, la loi 13/05 a institué un fichier national des personnes interdites d'accès aux infrastructures sportives. Ce fichier est encore inexistant parce que l'alinéa 3 de l'article 207 prévoit que "les modalités d'établissement et de mise à jour de ce fichier sont fixées par voie réglementaire". Si toutes les raisons juridiques explicitées ont permis indirectement à la violence de devenir un fléau endommageant les infrastructures sportives et lésant notre réputation internationale, il serait vain de croire que l'élimination de ces facteurs juridiques mettrait définitivement fin à la violence dans les infrastructures sportives. Loin de vouloir le justifier, ce fléau est un phénomène social. Il exprime une mal-vie et un rejet d'une répartition injuste du bien-être social. Le sport fait partie de la société, il ne peut se porter bien que si la société elle-même l'est aussi. Me Ghennai Ramdane Avocat près la Cour suprême Nom Adresse email