"Le système politique algérien est en train de se transformer en profondeur, mais beaucoup ne sont pas conscients de cela." Ce constat est établi par Nacer Djabi, enseignant-chercheur en sociologie et auteur d'ouvrages sur le monde du travail et le syndicalisme algérien, qui précise qu'il s'agit du "changement du pouvoir dans ses choix et dans sa base". Pour le sociologue que nous avons joint par téléphone, le code du travail, comme les élections présidentielles d'avril 2014, les choix économiques et l'apparition des forces de l'argent, dénommées "chkara", sont des indices parmi d'autres de ce changement. Même "la faiblesse des partis politiques dont la base est plus populaire", tels que le FLN et le FFS, évoque un autre "indice", selon lui. Notre interlocuteur jugera que "le code du travail va être plus libéral pour être en harmonie avec le changement", produira "la précarité au monde du travail" et laissera la main-d'œuvre algérienne "sans protection, pour ne pas heurter l'investissement étranger". "Le système politique actuel s'appuie sur les hommes d'affaires, les nouveaux riches, les forces de l'informel et de l'import-import. Il n'a que faire d'un code du travail qui défendra les travailleurs", a affirmé M. Djabi, en notant dans le même temps que "l'absence de couverture sociale et du syndicalisme, dans le privé national et les sociétés étrangères, est dans la logique de ce changement, du retour du libéralisme du début des années 1990". D'ailleurs, il observera que depuis plusieurs années, avant même la promulgation dudit projet sur le code du travail, "les travailleurs exerçant dans le privé, national et international, sont livrés au capital". Interpellé sur la démarche du gouvernement, qui a engendré l'actuel projet de code du travail, le chercheur en sociologie politique a révélé que les dirigeants, "dans leur lecture ultralibérale" ont compris que "la faiblesse de l'économie nationale est due à l'excès de protection du travailleur, à travers le droit de grève et la protection sociale". De son avis, les autorités nationales, dans leur logique, ont surtout compris qu'il fallait promulguer une loi "pour être compétitifs comme certains pays voisins, tel que le Maroc", où la précarité du monde du travail "devient la règle". Mais il ne faut pas se leurrer, laissera-t-il entendre, rappelant que les Algériens "vivent déjà un changement depuis quelques années". "Nous n'avons pas tiré les leçons, surtout politiques", a fini par lâcher Nacer Djabi, en regrettant que, dans les critiques sur la crise, tout soit "limité" à la personne du président Bouteflika, à celle de tel ministre ou tel autre. L'affaire du code du travail, dira-t-il, renvoie à 2 constats : "Le monde du travail est faible et sa faiblesse est liée à la crise de l'UGTA" et il est "faible politiquement". Aussi, il est important, selon lui, de savoir "quels sont les partis politiques qui soutiennent aujourd'hui le monde du travail", et ce, d'autant que les formations politiques de gauche qui l'appuyaient sont "faibles" à présent. Une interrogation qui ramène une autre question sur "l'élite". "Nous avons une élite qui ne connaît pas le monde du travail algérien ni ses enjeux réels. C'est une élite restée traditionnaliste", a soutenu le sociologue, avant d'expliquer qu'une partie de l'élite, en "relation" avec le monde du travail, est composée d'"affairistes non intéressés par un code du travail moderne". En fait, exposera-t-il, "les autorités et une partie de l'élite, présente dans la sphère économique, sont dans la logique de l'informel". "Nous ne mesurons pas les dangers qui menacent le monde du travail", attestera M. Djabi, puis de conclure : "Dans la réalité, c'est le rapport de forces qui décidera de l'application ou non d'un texte de loi."