Soixante-quatre accusés et une instruction qui tarde à être bouclée. L'affaire Khalifa Swift, pendante depuis 2003 à la chambre numéro 1 du tribunal de Chéraga, fera l'objet incessamment d'un désistement au profit du pôle judiciaire spécialisé de la cour d'Alger. Celui-là même qui a pris en charge l'affaire de l'autoroute Est-Ouest et l'affaire Sonatrach dans ses multiples volets. Plus précisément 16 personnes, dont certaines ont déjà été jugées dans le cadre d'El Khalifa Bank, telles que Moumen Khelifa, Djamel Guelmi, en sa qualité de chef de cabinet de ce dernier et inspecteur général de Khalifa Airways, Abdelhafid Chachoua, chargé de la sécurité au groupe Khalifa, et Ghazi Kebache, ex-directeur général de Khalifa Airways, ont été inculpées dans un premier temps par le juge d'instruction Youcef Kadri. L'audition de ces inculpés a abouti à des poursuites engagées à l'encontre de 48 personnes. Dans cette liste supplémentaire figurent de hauts cadres de l'Etat. Certains avaient la "qualité" de témoins durant le procès El Khalifa Bank. À ce stade, l'instruction a été mise en berne. Officiellement, jusqu'à la fin des investigations des commissions rogatoires dépêchées en Algérie et à l'étranger, qui, presque dix ans après, n'ont toujours pas rendu leurs conclusions. Les transferts irréguliers entrepris par le groupe Khalifa entre 2000 et 2003 sont hallucinants. Les sommes, qui sortaient des caisses d'El Khalifa Bank vers l'Europe, l'Asie et même l'Amérique, atteignaient, parfois, selon une ébauche d'expertise, une moyenne de 3 millions de dollars par mois. Cet argent a servi à louer des avions, à payer des stars du showbiz, à régler des factures de restaurant et d'hôtel et à acquérir des biens immobiliers pour des amis. Le scandale éclate en 2003, lorsque trois proches collaborateurs de Rafik Khelifa, Guelmi notamment, ont été appréhendés à l'aéroport d'Alger avec une mallette contenant deux millions d'euros. Plus de dix ans après la faillite d'El Khalifa Bank, la liste des bénéficiaires de toute cette manne n'a pas été déterminée avec exactitude. L'enveloppe des MasterCard volatilisée La justice accuse Ghazi Kebache, ex-directeur général de Khalifa Airways, de s'être rendu régulièrement à l'agence El Khalifa Bank d'El-Harrach pour se faire remettre des sommes d'argent en monnaie nationale et en devises. "Ces retraits variaient entre 10 et 20 millions de dinars et entre 5 000 et 10 000 euros pour atteindre un montant total de l'ordre de 726 millions d'euros transférés, de manière illicite, à l'étranger pour lui, pour sa fille et pour d'autres personnes physiques et morales." Abdelmounen Khelifa et deux de ses complices ont également fait de fausses déclarations et utilisé de fausses factures dans le cadre de l'importation de stations de dessalement. 26,5 millions de dollars et 45 millions d'euros ont été ainsi transférés en France. Une partie de cet argent a servi à acquérir deux villas à Cannes. Le dossier Swift englobe les transferts de devises depuis le groupe Khalifa vers l'étranger, les MasterCard, Khalifa Construction et textile totalisant des centaines de millions d'euros tirés, de manière frauduleuse, des comptes de la banque El Khalifa. Ce dossier livrera-t-il, un jour, tous ses secrets ? Théoriquement, les juges ne se fixent aucune limite. En principe, ils sont en mesure d'auditionner et, au besoin, d'inculper les plus hauts responsables de l'Etat. Mais, dans les faits, la qualité de certains accusés, dont de nombreux occupent de hauts postes de responsabilité, semble entraver les investigations judiciaires. Selon une source proche du dossier, l'enveloppe des MasterCard, pièce à conviction, aurait même disparu du dossier. Sellal et Ould Abbès auditionnés en tant que témoins Les déclarations de deux personnalités entendues en tant que témoins, ainsi que les aveux de la secrétaire de Moumen, Nadjia Aiouaz, livrés à la justice dans le cadre de l'instruction autour de l'affaire Khalifa Swift, nous donnent un aperçu sur l'ampleur du système de corruption mis en place. Le travail de Nadjia Aïouaz, tel qu'elle l'a déterminé dans son témoignage, consistait à saisir les contrats de financement de clubs de football, les accords portant transferts de mouvements de fonds d'El Khalifa Bank, les correspondances de Moumen Khelifa adressées aux banques et aux entreprises qui activent en Algérie, ainsi que les correspondances destinées à Khalifa Airways. Selon elle, des pontes du système, des directeurs d'entreprise, qui ont déposé leurs fonds au sein d'El Khalifa Bank, des artistes, des responsables du secteur du sport et des enfants, ainsi que des proches de hauts responsables défilaient dans le bureau de Moumen, pour obtenir des MasterCard, des lignes de crédit et des cartes de gratuité de voyage sur les lignes Khalifa Airways. Elle cite Abdenour Keramane, l'ex-ministre de l'Industrie, Yasmine Keramane, reçue par Djamel Guelmi pour l'ouverture d'une ligne aérienne Alger-Milan, l'ex-ministre de la Solidarité, Djamel Ould-Abbès, venu renouveler une carte de gratuité de transport, l'ancien DG des douanes, Sid-Ali Lebib, pour le même motif, des chanteurs, tels Abdou Deryassa, Amel Wahbi et Cheb Mami et même un groupe de personnes recommandées par l'ancien ministre du Travail, Abou Djerra Soltani, qui ont eu des contrats d'embauche au sein de l'agence de Khalifa Airways de Tébessa. Devant le juge d'instruction de la chambre numéro 1 du tribunal de Chéraga, Ould-Abbès soutient que c'est sa fille, et non lui, qui a bénéficié de la carte de gratuité de voyage sur les lignes de Khalifa Airways. "C'est le fiancé de ma fille qui était agent de sécurité chez Khalifa qui l'a informée que le groupe accordait des cartes de voyage gratuites pour les cadres de l'Etat et leur famille. C'est ainsi qu'elle a pu s'en faire délivrer une, en sa qualité de fille d'Ould-Abbès. C'était une carte que pouvaient utiliser onze membres de même famille sur les lignes intérieures et extérieures." Cette carte a servi à 4 voyages sur les lignes intérieures et 28 sur les lignes extérieures de Khalifa Airways. Ould-Abbès affirme ne plus détenir cette carte, mais il concède être encore en possession de quatre billets de Khalifa non utilisés. Toutefois, il nie avoir bénéficié de MasterCard, de la carte American Express carte ou être détenteur d'un compte bancaire Khalifa. L'actuel Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a été auditionné en 2005 à 18h, également en tant que témoin en sa qualité de ministre des Transports de 2002 à 2004. Voici ce qu'il dit devant le juge : "Khalifa Airways a eu son agrément avant que j'occupe ce poste. Il était dans mes prérogatives, en tant que ministre des Transports, de contrôler les sociétés aériennes publiques et privées dans le domaine de la sécurité et des services sans, toutefois, m'ingérer dans la gestion interne. À l'époque, je n'ai relevé aucun problème qui relevait des prérogatives de mon ministère. Le problème du groupe concernait El Khalifa Bank qui était la principale source de financement de Khalifa Airways." Abdelmalek Sellal précise : "Pendant que j'étais ministre des Transports, je n'ai eu aucun contact privé avec Khalifa Airways et n'ai bénéficié d'aucun privilège. Je n'ai jamais rencontré Rafik Khelifa en dehors du cadre professionnel. Je l'ai convoqué en 2002 pour le prévenir de l'état de dégradation de son entreprise Khalifa Airways. Je l'ai averti verbalement après qu'il eut été reçu par le directeur de l'aviation civile." À croire la secrétaire de Moumen Khelifa, Sellal aurait envoyé le chef du protocole de son ministère un certain Mohamed Bey, en 2002, au groupe Khalifa, pour bénéficier d'une carte de gratuité de voyage. Selon l'enquête judiciaire, il a effectué 3 voyages sur les lignes extérieures et 11 sur les lignes intérieures et dont certaines dans le cadre d'un déplacement collectif financé par le groupe Khalifa, à l'instar d'une manifestation sportive à Timimoun. Confronté à ce témoignage, Sellal reconnaît n'avoir bénéficié que d'une réduction sur les tarifs de billets de Khalifa. Un seuil de réduction également pratiqué, fait-il remarquer, à cette époque, par Air Algérie, mais il nie catégoriquement avoir bénéficié d'une carte de gratuité de voyage, ni d'aucune une autre sorte de privilège. Enfin, Sellal révèle une tentative de la part de Khalifa Airways d'acheter des actions d'Air Algérie. Dans le cadre de cette affaire, plusieurs autres personnalités ont été auditionnées, à l'instar de l'ex-DG de l'ENTV, Hamraoui Habib Chawki, Arezki Idjerouidène, P-DG de l'entreprise française GoFast, un groupe spécialisé dans le tourisme et le transport, et dont la compagnie Aigle Azur est l'une des filiales, Sid-Ali Lebib, ancien ministre de la Jeunesse et ex-DG des Douanes, le gouverneur de la Banque d'Algérie, Laksaci Mohamed, le secrétaire général de l'UGTA, Madjid Sidi-Saïd, l'ancien ministre de l'Industrie, Abdenour Keramane, ainsi qu'Abdelwahab Keramane, l'ex-gouverneur de la Banque d'Algérie. L'instruction s'est penchée, en outre, sur l'affaire de la vente d'Antinéa Airlines à Khalifa. Antinéa Airlines était la propriété de l'homme d'affaires Arezki Idjerouidène, avant qu'il ne la cède en 2001 à Khalifa pour un montant de 220 millions de dinars. Idjerouidène détenait 51% des actions et les 49 autres appartenaient à la société française GoFast. Mais sur l'acte de vente, un montant de seulement 135 millions de dinars figure. Idjerouidène a expliqué au juge que "c'était le montant du capital de la compagnie", précisant que "si le montant de la vente n'a pas été porté sur l'acte, c'est parce que le notaire, Rahal Omar, en a décidé ainsi". Le mode de paiement de cette transaction pose aussi problème. Sur ce sujet, voici la version d'Arezki Idjerouidène : "Je devais recevoir un chèque en contrepartie de cette vente, mais Rafik Khelifa a dit que je devais plutôt ouvrir un compte au sein de l'agence de Chéraga, et dès qu'on m'aura délivré un chéquier, je pourrai retirer par étape des sommes jusqu'à atteindre le montant de la transaction." L'ex-DG de l'agence de Chéraga reconnaît, lors du procès d'El Khalifa Bank, avoir ouvert un compte débiteur à découvert qui était alimenté à partir de la banque. Donc, c'est l'argent des déposants qui a servi à l'achat d'Antinéa Airlines. Les 135 millions de dinars, coût de l'achat de cette compagnie porté sur l'acte authentique d'achat, représentaient, d'ailleurs, la recette d'une journée de l'agence de Chéraga. La justice conclut qu'Antinéa a été achetée de manière "illégale", d'autant plus que la copie de l'acte de cession de la compagnie au profit de Khalifa — ni aucune autre pièce administrative — n'a pas été déposée lors de l'ouverture du compte. Le mis en cause a reconnu qu'il ne détenait aucun document prouvant qu'il a bien vendu à 210 millions de dinars. Le liquidateur d'El Khalifa Bank a exigé d'Arezki Idjerouidène de rembourser un total de 284 millions de dinars retirés de l'agence El Khalifa Chéraga représentant le montant de la cession d'Antinéa Airlines, plus les intérêts cumulés. Ce que refuse ce dernier, s'estimant être, avant tout, victime d'une escroquerie.