Au troisième jour du procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank, au tribunal criminel près la cour de Blida, les révélations se sont poursuivies sur le plus grand scandale financier du pays. Djamel Guelimi, accusé, donnant des détails sur les procédés, les soirées, le sponsoring, les recrutements de Khalifa… Ses liens avec Khalifa et sa responsabilité intriguent le tribunal. Le tribunal criminel près la cour de Blida a poursuivi hier l'audition de l'accusé Djamel Guelimi, en sa qualité de chef de cabinet de Rafik Abdelmoumen Khalifa (R. A. K.), d'inspecteur général de Khalifa Airways à Paris et P-DG de KTV. La présidente essayera de comprendre la relation qui liait Djamel Guelimi à Rafik Abdelmoumen Khalifa et à sa banque alors que celui-ci affirme qu'il n'avait aucune relation de travail sur le territoire national. “Nadjia Aiouaz, secrétaire particulière de RAK, dit dans son PV d'audition que vous receviez dans votre bureau au niveau du siège beaucoup de ministres et de personnalités qui défilaient, tels que Abdenour Keramane ou le représentant de Sid-Ali Lebib qui venait retirer une carte de voyages gratuits... Comment pouviez-vous avoir un bureau si vous n'aviez pas de relations de travail ?”, demandera Mme Brahimi. L'accusé persistera sur ses dires. C'est sur ordre de Khalifa qu'il a reçu Abdenour Keramane. Il désirait, selon ses dires, obtenir “un emploi pour sa fille Yasmine”. La magistrate insistera sur ce point. “Vous aviez le droit d'occuper un bureau et de recevoir de hautes personnalités ? On ne reçoit pas une personnalité sans titre, pas par un ami d'enfance de Khalifa. Je ne comprends pas pourquoi vous niez que vous travailliez au niveau du siège, que vous aviez un bureau somptueux, selon Mlle Aiouaz, recevant des personnalités, des ministres avides des privilèges de Khalifa…”, relèvera-t-elle, demandant des précisions sur le recrutement de Yasmine Keramane. C'est par “Djaouida Djazairli, directrice générale de Khalifa Airways France” qu'il a pris connaissance de cette demande. “Elle m'a appelé me disant que Yasmine Keramane l'a contactée pour un emploi. Je devais en informer RAK, il m'a demandé de la recevoir, de lui faire avec Djouida Djazairli un contrat pour un poste à Milan. Sauf que c'est le siège social qui peut autoriser l'ouverture d'une représentation. Donc, Krim Ismaël lui a fait le contrat”, précisera Djamel Guelimi. Un million de francs pour une ligne qui n'a jamais vu le jour Quant au montant et à la provenance de l'argent débloqué à Yasmine Keramane pour l'ouverture d'une représentation à Milan, il n'en sait pas l'origine. Devant le peu de réponses, Mme Brahimi l'informera qu'une enveloppe “d'un million de francs est sortie de Khalifa Bank vers Milan pour Yasmine Keramane”. “Est-ce que cette ligne a vu le jour ?” Négatif. La liaison Khalifa Airways Alger-Milan n'a jamais existé. “Qu'avait comme compétences ou qualifications Yasmine Keramane pour ouvrir un représentation aérienne ?” Aucune. “Makache”, dira-t-il. “Elle était la fille de Keramane, un point c'est tout”, résumera la présidente. Elle l'interrogera sur une opération d'importation de bière et dont la facture a été payée par El Khalifa Bank. “12,5 milliards sont sortis de KB pour payer les taxes douanières… sans aucun justificatif, sans document...” Cette opération a été effectuée avec le registre du commerce de Djamel Guelimi. Il précisera que Kébache Ghazi l'a approché pour l'informer que lui-même, M. M. et “probablement” Khalifa avaient importé de la bière et qu'ils avaient besoin de son registre du commerce, spécialisé dans l'agroalimentaire, pour la sortir. “Vous gagnez quoi en contrepartie dans cette affaire? Vous le lui passez ? Vous le louez ? Vous le lui offrez ?”, l'interpellera la magistrate. Il s'agit, selon lui, juste d'un service rendu à “Ghazi” et plus encore à RAK. Guelimi ne pourra répondre ni sur le montant exact de la transaction, ni sur celui des taxes douanières, encore moins sur celui des taxes fiscales payées pour cette opération d'importation. Il affirmera que “ce sont eux qui ont payé…”. Passant à un autre sujet, elle lui demandera s'il avait un compte personnel auprès de KB et le montant maximum déposé. “Actuellement ?”, demandera Djamel Guelimi. Cette question fera réagir la présidente. “Non au moment des faits. Maintenant tous les comptes sont vides, Dieu merci…”, dira-t-elle. Il précisera que le seuil maximum atteint par ses avoirs n'excédait pas les 600 000 DA. “Comment expliquez-vous alors que vous avez été arrêté avec 2 millions d'euros dans une affaire de fuite de capitaux à l'aéroport d'Alger ?”, demandera celle qui avait eu à juger l'affaire à la cour d'Alger. Pas de réponse. La magistrate reviendra sur le terrain à Chéraga octroyé par RAK à Djamel Guelimi et dont la valeur est estimée par lui à 5 millions de DA. Guelimi dira qu'un soir, Khalifa lui a proposé ce terrain qui ne l'arrangeait pas parce qu'il était accidenté. “Mais vous étiez les deux inséparables. Tout le temps ensemble apparemment”, commentera la présidente. L'accusé se perdra en conjoncture sur le procédé juridique qui lui permit d'avoir le terrain en question. Il a vendu par la suite ce terrain pour un besoin d'argent. Le procureur général réitéra les mêmes questions. “Vous avez également bénéficié d'une Mastercard qui nécessite au moins 3 000 euros sur le compte et vous avez utilisé 20 000 euros en France. D'où venait cet argent que vous faisiez fuir ?”, demandera le représentant du ministère public. Djamel Guelimi dira qu'il ne le sait pas et que c'est RAK. qui lui a donné la carte bancaire. Le PG l'interrogera également sur le fait qu'il ait reçu Abdenour Keramane et qu'il ait préparé le dossier de recrutement de sa fille. L'accusé niera cette fois une quelconque participation. “Wallah, je ne l'ai pas fait”, jura-t-il, niant ce qu'il avait précédemment affirmé. Sponsoring ou cooptation ? Autre dossier, celui des personnalités sportives reçues par Djamel Guelimi. Il précisera entre autres avoir rencontré “Raouraoua” l'ex-président de la FAF dans l'appartement de Khalifa à Paris en présence de Ighil Meziane. “Ighil devait se présenter candidat à la FAF, il y a eu des négociations entre Raouraoua et lui ce jour-là, j'étais témoin... C'est lors de cette rencontre que Moumen a proposé de l'argent à Ighil pour qu'il renonce à sa candidature en faveur de Raouraoua…”, affirmera-t-il ajoutant qu'il a même demandé à R. A. K. pourquoi un tel revirement alors qu'il s'était engagé à soutenir Ighil. “On est obligé…”, telle aurait été la réponse de Khalifa. La qualité de Djamel Guelimi et son rôle intrigue le tribunal. “On vous retrouve à la fois au siège, à sa maison, à son appartement de Paris. Vous êtes partout vous ne trouvez pas ça un peu bizarre”, dira la magistrate. Elle lui demandera en quelle qualité il a reçu “le frère d'Abou Djerra Soltani”. C'est sur ordre de Khalifa, répondra l'accusé pour un recrutement à Paris. La présidente focalisera sur les “fêtes” organisées par Khalifa à Paris et ailleurs demandant à l'accusé quelles étaient celles auxquelles il avait assisté. Celle de “Cannes”, répondra-t-il. Elle marquait pour rappel le lancement de KTV. “Celle où il y avait Catherine Deneuve ? Qui d'autres aussi ?” interrogera-t-elle. Beaucoup, dira-t-il. “Le monde algérien est très branché. Il connaît pas mal de monde ici où ailleurs… Moi je ne mâche pas mes mots, ne mâchez pas les vôtres”, insistera la magistrate. “Gérard Depardieu, Pamela Anderson, Patrick Bruel, Jack Lang et son épouse…” Quant aux personnalités algériennes, il assure ne pas les avoir vues. “Vous ne les avez pas vues ? Mayabanouche ? Pas grave”. Il citera la présence de Cheb Mami pour les artistes algériens. La préparation de la soirée, incombait, selon lui, au suivi de Khalifa malgré sa présence à ce moment-là aux USA. Elle l'interrogera sur les “enveloppes” distribuées à cette occasion. Disant ne pas être au courant, il a néanmoins su par ouï-dire qu'elles contenaient de l'argent destinées aux invités, des sommes importantes en devises. “Vous les invitiez, vous les faisiez manger, boire et danser et avec ça vous leur donniez de l'argent ? D'où provenait cet argent ?” relèvera la magistrate. La seule réponse de Djamel Guelimi, après maintes hésitations, a été que cet argent ne provenait pas de France, ni des comptes français de Khalifa Airways. “Cet argent venait d'ici. C'est celui des OPGI, des EPLF, des organismes et entreprises publics, des caisses nationales de Sécurité sociale, de chômage, de retraite… C'est celui du pauvre maghboune qui attend ses 6 000 DA pour faire manger ses enfants… C'est l'argent d'El Khalifa Bank, c'est l'argent de tous les Algériens”, s'exclamera la présidente. Sidi-Saïd se présente au tribunal Abdelmajid Sidi-Saïd, secrétaire général de l'UGTA fera son entrée, ce qui entraînera un point d'ordre de la présidente pour enregistrer sa venue en qualité de témoin. Le PG ne manquera pas de souligner que la présence du patron de la Centrale syndicale est une preuve supplémentaire de la disponibilité des représentants de l'Etat et des instances nationales à répondre aux convocations de la justice. Un avocat de la défense ne manquera pas de demander à la présidente du tribunal “si le point d'ordre concernait Sidi-Saïd en sa qualité de témoin ou bien de personnalité nationale impliquée dans cette affaire”. La magistrate prendra la salle à témoin pour rappeler que tous ceux convoqués en cette qualité avaient été reçus de la même manière malgré leur absence le premier jour du procès. “La porte est ouverte. Ceux, qui ne viendront pas, seront ramenés. M. Sidi-Saïd est là en qualité de témoin, il est citoyen algérien dans un tribunal algérien…”, précisera-t-elle. Quant au sponsoring des clubs sportifs à l'étranger, notamment celui de l'Olympique de Marseille (OM), Djamel Guelimi précisera que c'était Amel Benouniche, responsable de la communication de Khalifa Airways France qui était en contact avec la boîte de communication de l'OM, “Havas”, celle-ci étant à la recherche d'un nouveau sponsor pour l'équipe phocéenne. Khalifa Airways a été chargée du sponsoring, son sigle imprimé sur les maillots des joueurs marseillais et dans les artères du stade Vélodrome. Quant au coût de l'opération, le bras droit de Rafik Abdelmoumen Khalifa l'ignore. Le contrat a été signé par Khalifa au nom de Khalifa Airways. La cérémonie s'est déroulée, selon lui, en présence de Ighil Méziane et de Hanachi et Raouraoua. Là non plus l'accusé ne pouvait répondre de l'origine des sommes allouées. “L'argent a été changé ici. Comme vous l'avez dit à la cour d'Alger, il a été changé au Square et partait valise par valise...”, lui rappellera la présidente. Elle s'intéressera par la suite aux clubs nationaux. La liste est longue : “Les Mouloudia d'Alger, Oran, la JSK, USMA, NAHD Hussein-Dey…” Le contrat du NAHD a été signé par “Ighil Meziane”, dira l'accusé précisant qu'il l'avait rencontré dans le bureau de Khalifa et qu'il est devenu par la suite le consultant de Khalifa. Payé “100 000 DA par mois sans contrat…” Khalifa a voulu, selon lui, sponsoriser le NAHD parce qu'il y a joué cadet. À ce point de l'audition, l'avocat de Guelimi interviendra rappelant que “ce n'est pas lui Moumen”. Ce qui provoquera une polémique. Le tout se passant sous l'œil amusé du PG. “Je ne l'ai pas responsabilisé, j'essaye de comprendre ce qui s'est passé... Ne vous inquiétez pas, il y aura confrontation... Vous aurez l'occasion de défendre vos clients. Vous ne pensez pas Maîtres que vous allez vous taire jusqu'à la fin ? Ce serait trop beau”, précisera la présidente. Elle s'énervera après qu'une autre avocate l'accuse de “responsabiliser” son client. “Je tiens à ce que vous retiriez ce que vous venez de dire. Je prends mes responsabilités, je suis en train d'instruire à charge et à décharge en ma qualité de présidente, je ne sors pas du cadre de l'arrêt de renvoi. Soyez plus forte et arrivez à le disculper. Je serai ravie si vous y arrivez”. L'avocate en question dira que la phrase lui a échappé. Excuses acceptées. “Dites tout. Nous n'avons rien à cacher…” La présidente l'interrogera sur les avions particulièrement les deux jets privés utilisés par Khalifa, sa famille et certaines personnalités, lui demandant des exemples. Il dira qu'ils ont servi pour ramener “Joseph Blatter, le président de la Fifa, invité...” Chez qui ? insistera-t-elle. “La présidence… Je ne connais pas le contact…”, dira-t-il gêné. L'avion est reparti récupérer “Aïssa Haiatou, le président de la CAF” alors que Joseph Blatter était reçu à la “présidence”. Une soirée a été organisée en leur honneur au Sheraton. Ils sont repartis le lendemain au Mali pour l'inauguration de la Coupe d'Afrique. Interrogé par le PG, Djamel Guelimi révélera que c'est lui qui a emmené en compagnie de Me Rahal l'acte constitutif d'El Khalifa Bank au domicile des Khalifa pour qu'ils le signent. Il lira l'acte en l'absence de Me Rahal resté dans la voiture. Il s'agissait de Khalifa, son frère, sa belle-sœur, sa femme et sa mère. Quant aux actes hypothécaires “falsifiés”, c'est un hasard selon lui, s'il s'y trouvait. Il n'a pas procédé non plus à leur rédaction. L'audition de l'inculpé Isser Mohamed Idir, ancien DG de l'agence BDL de Staouéli, celui qui a octroyé le crédit à Khalifa sur la base de ces documents, établira le contraire. Une confrontation opposera les deux accusés. Isser Idir dira qu'il a octroyé le crédit pour un investissement de production pharmaceutique et non pour la création de la banque. Il dira avoir été reçu chez Me Rahal par Guelimi Djamel en 1997 en sa qualité de clerc, il était accompagné de Rafik Abdelmoumen Khalifa. L'accusé l'avait rencontré dans le bureau de son P-DG en compagnie d'autres associés à Khalifa. Une affaire à suivre… Samar Smati