Les auditions par le tribunal criminel de Blida ont mis en exergue, jeudi, les largesses du patron de Khalifa envers des ministres et de hauts responsables de l'Etat. Son frère Abdelaziz est apparu comme un actionnaire n'ayant jamais été informé de ses droits. Sa secrétaire particulière a parlé des titres de voyages gratuits offerts et d'autres cadeaux à des ministres et à des cadres de l'Etat qui se bousculaient devant son bureau. Au quatrième jour du procès Khalifa, qui se tient au tribunal criminel de Blida, le témoignage du frère de Abdelmoumen Khalifa et de sa secrétaire particulière, Nadjia Aiouaz, sur le fonctionnement du groupe et les largesses de son patron ont laissé perplexe l'assistance. L'audience de jeudi dernier a été donc très riche en révélations. La présidente commence par annoncer que l'ancien ministre des Finances, Mohamed Terbèche, M. Maâchou, magistrat et membre de la commission bancaire, et Mohamed Ouzit, président du club de football de Chéraga, se sont déclaré prêts à se mettre à la disposition du tribunal criminel pour tout témoignage jugé nécessaire. La juge appelle Issir Idir Mourad, l'ancien directeur de l'agence BDL de Staouéli, à la barre pour « mettre les points sur les ‘‘i'' ». Elle lui rappelle que l'hypothèque de garantie pour le prêt de 80 millions de dinars au profit de Khalifa est absente du dossier. « Tout a été remis à mon successeur, qui était Aïfa Boualem, qui était avant le négociateur de l'agence. » La magistrate l'informe que ce responsable sera convoqué pour l'entendre sur cette question. L'accusé persiste : « Je n'ai signé qu'un seul prêt d'exploitation de l'ordre de 36 millions de dinars pour l'importation de matière première. » La présidente lui lance : « Devant le juge d'instruction, tu as déclaré qu'en tout, Abdelmoumen a bénéficié d'un montant de 100 millions de dinars. Peux-tu être plus explicite ? » L'accusé hésite un moment puis se ressaisit pour parler d'erreur de calcul. « Le juge a dû additionner l'ensemble des crédits, même le montant de 36 millions de dinars remboursé par Moumen », déclare l'ancien responsable de la BDL avant d'être interrompu par la juge. « Vous êtes banquier, M. Issir, vous ne pouvez pas me dire qu'il a eu cumul des prêts. On parle ici des crédits non remboursés. Dites-nous pourquoi vous êtes parti chez le notaire Omar Rahal ? » L'accusé : « Pour recueillir la demande d'hypothèque. » Une réponse qui fait réagir brutalement la magistrate. « Ce que vous dites n'existe pas. Vous avez recueilli une hypothèque différente de celle qui a été présentée dans le dossier. » La juge revient sur le rôle joué par Djamel Guellimi dans la signature de l'acte d'hypothèque. Elle veut savoir ce que Guellimi a fait exactement. « Quand je suis arrivé au bureau de maître Rahal, j'ai trouvé Djamel Guellimi qui m'a été présenté par Abdelmoumen comme étant le clerc du notaire. Je lui ai dicté les conditions d'hypothèque, il a tiré un formulaire du micro et je l'ai signé après l'avoir lu. En relisant avant de signer, j'ai remarqué que le bien appartenait à des héritiers. Guellimi m'a affirmé que ces derniers avaient remis une procuration à Abdelmoumen. J'ai posé la question à Moumen et il m'a demandé de ne pas avoir peur parce qu'il avait la procuration. » La magistrate rappelle à l'accusé les propos de la défunte mère de Abdelmoumen quelque temps avant qu'elle ne meurt. « Elle est venue me voir à l'agence pour me signifier qu'elle n'acceptera jamais d'hypothéquer la maison familiale. » La juge lui lance alors : « Malgré cela, tu n'as rien fait… Et tu as mis la demande d'hypothèque non enregistrée, non publiée comme brouillon dans le dossier. » Issir Idir reconnaît qu'après avoir parlé avec la mère de Moumen, la garantie du prêt ne pouvait être versée au dossier. L'accusé affirme n'avoir pas été au courant que le montant de ce prêt a été utilisé pour constituer le capital d'El Khalifa Bank. Le procureur revient sur les mêmes questions. « Pourquoi t'es-tu déplacé personnellement au bureau du notaire ? » L'accusé indique que c'était pour signer la demande de recueil d'hypothèque, une procédure habituelle, selon lui, qu'il applique pour tout le monde. « Lorsque tu t'es rendu compte que la garantie n'était pas assurée, pourquoi n'as-tu pas utilisé la solution de billet à ordre pour préserver les intérêts de la banque ? » Issir Idir explique qu'il s'agissait d'une mesure extrême qu'il a bien mise en application, mais après trois mois, une fois qu'il a reçu Abdelmoumen et qu'il a compris qu'il ne pourra avoir la garantie d'hypothèque pour une somme déjà encaissée par Khalifa. Le procureur lui demande alors s'il a évalué le bien hypothéqué présenté par Abdelmoumen. L'accusé estime qu'il ne s'agit pas seulement d'évaluer le bien matériel, qui est la pharmacie, mais surtout l'activité, qui était la fabrication de médicaments, et son poids sur le marché. Ce qui pour lui couvre le montant accordé. Ladjrat Nawel, qui l'a accompagné ce jour-là, dit-il, chez le notaire, était chargée d'étude et c'est elle qui a procédé à cette évaluation. Issir Idir revient sur ses propos en affirmant que Abdelmoumen ne lui a pas dit qu'il avait une procuration des héritiers, mais que ces derniers étaient tous d'accord pour hypothéquer le bien familial. « Est-ce que le bien que tu as constaté et évalué est le même qui se trouve dans le dossier ? » lui demande alors le procureur. « Je ne me rappelle pas », répond l'accusé. Khalifa Abdelaziz Lakhdar, le frère actionnaire marginalisé Ressemblant à son frère comme un jumeau, Abdelaziz Khalifa arrive à la barre comme témoin. Ses déclarations sont troublantes. Elles ont beaucoup plus compliqué les débats sur les propos du notaire Rahal Omar et Djamel Guellimi, au sujet de l'acte d'hypothèque du bien familial, mais aussi de la création de la banque et du changement de sont statut par Abdelmoumen. Très serein, le témoin déclare connaître le notaire qui, selon lui, est très connu à Chéraga, où se trouve son bureau. Il confirme être porteur de parts au niveau de la banque et avoir signé l'acte de constitution de la SPA El Khalifa Bank à la villa de Abdelmoumen située au quartier Paradou, à Hydra. La magistrate lui fait remarquer que le notaire a déclaré la veille que son bureau se situe à 800 m de la villa. « Il se situe à 800 m de la maison familiale qui est à Chéraga, mais pas de celle de Abdelmoumen », explique-t-il. Il affirme que cet acte lui a été ramené par le clerc de maître Rahal. « Nous étions presque tous à la maison : Abdelmoumen, son épouse, un autre frère et son épouse, et moi ainsi que ma femme. Ma sœur du Maroc n'était pas présente. Mais Moumen m'a dit qu'elle allait signer après. » Pour ce qui est de l'absence du notaire, il affirme ne pas se rappeler avoir entendu Guellimi dire qu'il attendait dehors, sinon, la famille l'aurait convié à entrer, du fait que tout le monde le connaissait et avait du respect pour lui et pour son âge. Interrogé sur le prêt accordé par la BDL à Abdelmoumen, le témoin affirme l'avoir entendu une fois chez le juge. Sur la question de l'hypothèque du bien familial, Abdelaziz Khalifa précise n'avoir pas été mis au courant ni avoir signé une quelconque procuration à son frère, puisque, à cette époque, il passait son Service national. « Je sais que ma mère tenait trop à la maison familiale et n'aurait jamais accepté qu'elle soit hypothéquée. C'est une femme au foyer, elle ne comprenait rien aux projets d'investissements. Lorsqu'elle a entendu parler de cela, elle s'est déplacée en personne à la banque pour informer les responsables de son opposition », dit-il. Il nie avoir été mis au courant par son frère, le notaire ou son clerc du changement des statuts de la banque en septembre 1998, en dépit du fait qu'il soit actionnaire. La magistrate lui demande de révéler au tribunal comment cette banque a été créée. « C'est Abdelmoumen qui nous a parlé le jour-même de la signature de l'acte constitutif. Il nous l'a annoncé comme ça. Cela a été une surprise pour nous. Il y a eu un débat au sein de la famille, mais personne ne s'est opposé. Je lui ai dit qu'une banque nécessite un capital de 500 millions de dinars. Il m'a répondu : je me débrouillerai, ne t'inquiètes pas. Il a chargé le clerc de Rahal, Djamel Guellimi, de préparer le dossier de la société et les statuts. Depuis, on ne s'est plus revus », affirme-t-il en précisant qu'il est de notoriété à Chéraga que Djamel Guellimi était le clerc de maître Rahal. La juge revient à la charge : « Est-ce que le notaire vous a réuni pour vous lire les statuts et les conditions de cette création et pour la signature ? » La réponse est rapide. « Non, parce que la seule réunion que nous avions eue, c'était celle d'avril 1998. » Il note que durant tout l'exercice de la banque, pendant plus de quatre ans, il n'a jamais assisté à une assemblée générale. Sauf une seule fois, se rappelle-t-il, vers la fin de 2002, « lorsque Moumen m'a demandé de lire le bilan devant le commissaire aux comptes. En quatre ans, j'ai dû aller au siège trois ou quatre fois ». « Savais-tu que tes 50 actions que tu avais sont devenues 650 après le changement de statuts ? », lui lance la magistrate. Le témoin affirme l'avoir appris une fois devant le juge. Le procureur l'interroge sur ses activités. Le frère de Moumen déclare qu'il est entrepreneur et qu'il a eu de nombreux marchés avec les OPGI, l'AADL et les agences d'El Khalifa Bank. Il lui demande de parler des cinq véhicules mis à sa disposition par Khalifa. « Oui, parce que les dirigeants me reprochaient de faire du retard dans les réalisations. Ils m'ont alors aidé avec des véhicules pour le transport de la marchandise et les démarches. Cela s'est fait au fur et à mesure. » Il révèle, en outre, avoir remarqué une anarchie dans la gestion du fait qu'il avait à chaque fois un nouveau vis-à-vis. La juge reprend les débats et demande au témoin ce que représente Guellimi pour lui. « Un cadre du groupe Khalifa », précise-t-il. La présidente appelle maître Rahal, le notaire, et lui demande ce qu'il avait à dire au sujet de ces révélations qui, faut-il le préciser, sont contradictoires avec ce qu'il a dit la veille. « Je tiens à faire un petit rectificatif par rapport à ce que j'ai déclaré avant. En fait, c'est moi qui ai appelé Guellimi par téléphone. » La magistrate lui fait rappeler qu'il s'agit là d'un désaveu, puisque la veille, l'accusé avait déclaré que c'est Guellimi qui a pris attache avec lui. « Mme la présidente, j'ai dépassé les 77 ans, et les faits remontent à 10 ans, ma mémoire me fait défaut. Mais sachez que c'est la vérité », explique maître Rahal. Elle lui fait savoir qu'elle comprend sa situation et l'interroge d'où est-il sorti avec l'acte constitutif, de sa maison ou de son bureau. « Je suis parti au bureau, j'ai ramené l'acte pour repartir à ma maison qui se trouve non loin de la villa de Abdelmoumen. J'ai appelé Guellimi, parce qu'il connaissait assez bien la famille Khalifa. Il m'a rejoint et a téléphoné à Abdelmoumen pour l'informer qu'il faut terminer la signature de l'acte, parce que, plus on perdait de temps plus les frais d'enregistrement vont augmenter. Il m'a affirmé que c'était l'occasion d'avoir l'ensemble des signatures, puisque la famille était réunie dans sa villa. Nous sommes allés avec ma voiture. J'ai remis l'acte à Guellimi pour le faire signer à la maison et moi j'attendais dehors. J'avais un peu honte de rentrer avec lui. » La présidente lui fait savoir que Abdelaziz Khalifa, le témoin, affirme que l'acte n'était pas encore signé par quiconque. « Il dit cela parce qu'il n'est pas responsable », répond-il. Des propos qui provoquent la colère du juge. « Je ne vous permets pas de manquer de respect à un témoin. Retirez ce que vous venez de dire. » L'accusé acquiesce et s'excuse. La juge rappelle à la barre Guellimi Djamel qui confirme les propos du notaire. « C'est moi qui ai appelé Moumen en lui disant qu'il reste deux signatures, celle de Abdelaziz et de sa femme à apposer. Il était d'accord. Il a appelé le notaire en lui demandant de passer à la maison, puisque son frère et sa belle-sœur étaient présents. Rahal m'a demandé de lire l'acte et de le faire signer par le couple en présence de Moumen. » La magistrate lui fait remarquer qu'il y a trop de coïncidences dans ses récits. « Vous vous trouvez par coïncidence au bureau de maître Rahal lors du passage de Issir Idir, directeur de l'agence de la BDL ; vous rencontrez par hasard le notaire pour vous charger de prendre l'acte à Abdelmoumen ; vous vous trouvez par hasard dans la villa de Moumen où se trouvait Tayeb Benouis ; et par hasard vous rencontrer Mohamed Raouraoua ; et par hasard encore vous recevez Abdennour Keramane. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. » Les ministres et la secrétaire particulière de Moumen Convoquée en tant que témoin, Nadjia Aiouaz réussit, en dépit de ses hésitations et la peur qui lui faisait perdre les mots, à lever le voile sur une partie de la gestion ahurissante d'El Khalifa Bank et de Khalifa Airways, et ce, pendant quatre ans. Mme Aiouaz a intégré le groupe en 2000 en tant que secrétaire d'Amghar Mohamed Arezki (accusé), vice-président. Avec l'installation du nouveau siège du groupe à Chéraga, elle a été désignée en tant que secrétaire de la direction du groupe, c'est-à-dire d'Amghar, le premier vice-président, de Mohamed Nanouche (en fuite), deuxième vice-président, et de Omar Guellimi. Quelque temps après, elle occupe le poste de secrétaire particulière de Abdelmoumen Khalifa. Cet historique pousse la présidente du tribunal à l'interroger sur Djamel Guellimi. « Je le connais. Il travaillait avec nous au siège du groupe. » Pour être plus précise, la juge lui demande si Guellimi avait un bureau au siège et la réponse spontanée de la secrétaire est troublante : « Il y a trois bureaux au siège utilisés par tout le monde. Il n'y a pas de bureaux personnels. » Propos qui intriguent la magistrate. « Vous voulez dire que les dirigeants n'avaient pas chacun un bureau ? Comment faisaient-ils alors ? N'avaient-ils pas de documents confidentiels à préserver, des griffes à cacher ? » La secrétaire lui rétorque : « Personne n'a un bureau précis, sauf Abdelmoumen. » La magistrate revient sur la relation de travail de Guellimi avec Khalifa. « C'était un responsable très proche de Abdelmoumen. Il était plus souvent en France qu'en Algérie. Et quand il est à Alger, il utilise un des trois bureaux, notamment celui de son père », répond Mme Aiouaz. La juge lui rappelle qu'elle avait déclaré au juge d'instruction que Guellimi Djamel était chargé de recevoir des personnalités politiques, sportives et culturelles. La secrétaire confirme ses dires en citant parmi les personnalités le nom de Abdennour Keramane qui, selon elle, est venu trois ou quatre fois. « Les personnalités étaient reçues par Djamel Guellimi ; et quand il n'est pas là, c'est Karim Ismaïl (en fuite) qui s'en charge. » La présidente veut plus de précisions. Elle demande comment ces personnalités se présentaient. « Elles me donnaient leurs noms en me disant qu'elles ont un rendez-vous soit avec Abdelmoumen soit avec Guellimi. Je les annonce et parfois elles sont reçues, parfois non. » La secrétaire affirme, cependant, ne pas connaître l'objet de ces rendez-vous, précisant que la majorité de ces rencontres étaient sur ordre de Abdelmoumen. Elle affirme n'avoir pas été mise au courant de l'organisation de la réception de Cannes, mais relève que Guellimi lui a confirmé le transfert de sommes en devises vers des comptes privés à l'étranger tout en ignorant leur montant. « Qui a remplacé Abdelmoumen quand il est parti ? », demande la présidente. Le témoin déclare que c'est Djamel Guellimi, mais après son arrestation, c'est Karim Ismaïl qui l'a remplacé, pour partir une semaine avant que le groupe ne soit dissous. « Il m'a dit qu'il allait revenir dans une semaine. Mais il n'est plus revenu », explique-t-elle. Le procureur fait revenir la secrétaire en arrière, à l'époque où elle travaillait en tant que secrétaire principale à la BDL (siège) de Staouéli. « J'ai eu un détachement d'une année ; et après mon retour, il n'y avait plus de poste à la hauteur de mes qualifications. Ils m'ont muté à la DGA en tant que secrétaire. J'ai fini par démissionner et quitter la BDL en septembre 1999 », raconte-t-elle en notant que Issir Idir, ancien directeur de l'agence de Staouéli (inculpé dans cette affaire) avait quitté la BDL bien avant elle, soit en 1998. « Connaissez-vous Ladjlat Nawel ? » interroge le procureur. « Oui, elle travaillait à l'agence de Staouéli. » Le ministère public poursuit : « Et Ladjlat Lilya ? » « C'est sa sœur, elle travaille à Khalifa Airways. » Le magistrat reprend les procès-verbaux d'audition devant le juge et lui rappelle qu'elle avait déclaré que de nombreux dirigeants de sociétés publiques venaient solliciter Karim Ismaïl (confondu avec Karim Belkacem provoquant un rire dans la salle), citant le cas du DG de l'Enafor. A ce titre, il lui demande d'éclairer le tribunal sur le cas de Abdelmadjid Bennaceur, DG de la Caisse nationale de la sécurité sociale. « Pour quel motif venait-il le voir souvent ? », demande le procureur. « Je ne connais pas les motifs (…). C'est son ami (…). Je pense que c'est pour le placement des fonds de la caisse et le renouvellement de la gratuité des titres de voyages », lance le témoin. Le magistrat veut aller plus loin, il veut avoir d'autres noms de responsables. « Je me rappelle de M. Sam de la Banque d'Algérie », lâche la secrétaire, qui ajoute que le cadre venait récupérer les cartes de gratuité. Elle confirme qu'un membre de la commission bancaire est venu voir Djamel Guellimi pour lui demander de recruter sa femme et son fils au sein du groupe. Le procureur s'intéresse au Libanais de nationalité française, Ragheb Chemaâ, conseiller de Moumen. Mme Aiouaz déclare que Ragheb était très proche de Khalifa. Il lui a été présenté par sa tante, Djaouida Djazourli, directrice générale de Khalifa Airways à Paris. « Il intervenait dans tout ce que faisait Moumen, y compris dans sa manière de s'habiller. Mais je ne sais pas s'il avait un contrat. Ce qui est certain, c'est qu'il était conseiller du patron », explique le témoin. Mme Aiouaz perd un peu de son sang-froid lorsque le ministère public lui rappelle que c'était elle qui distribuait les Mastercard et les titres de voyages gratuits. « Oui, je le faisais sur ordre du président », déclare-t-elle. Elle reconnaît avoir assisté au mariage de Karim Kassa en France, mais nie sa participation à la réception de Cannes. Sur la fonction de Issir Idir à Khalifa, elle révèle qu'il était chargé de monter l'agence Khalifa à l'hôtel Hilton, précisant toutefois que ce responsable avait déjà quitté El Khalifa Bank lorsqu'elle est arrivée. Son salaire à la BDL était de 35 000 DA et à Khalifa de 45 000 DA, puis revu à 70 000 DA. Les cadres de la BDL qui ont rejoint Khalifa, dit-elle, sont nombreux, mais cite plusieurs, dont Nanouche Mohamed, directeur général d'El Khalifa Bank puis de Khalifa Airways, qui occupait le poste de directeur des finances à la BDL, Youcefi, chargé du contentieux d'El Khalifa Bank et qui était au contentieux à la BDL, M. Rami, M. Nedir et M. Abrous. « En plus des fonds de la BDL, Khalifa a pris les cadres de cette banque », lui lance la présidente. Aux nombreuses questions des avocats, Mme Aiouaz répond, mais avec beaucoup de stress. Elle semble très gênée lorsqu'ils lui demandent de citer les noms des personnalités connues qu'elle a vues. La présidente intervient et fait remarquer à l'avocat que cette question n'a pas de lien avec l'accusée qu'il défend. « C'est la transparence totale. Aucun nom ne me gêne, mais restez dans le cadre de la procédure. Vos questions doivent avoir un lien avec vos clients. Le témoin ne peut citer des noms aux dépens des autres. Vous avez tout dans vos dossiers », lui dit-elle. Plus pernicieuse, la question de l'avocat d'El Khalifa Bank en liquidation, maître Meziane interroge le témoin sur la distribution d'enveloppes de fonds dans son bureau. « J'avais à ma disposition une caisse-régie alimentée par la direction des ressources humaines, à raison de 50 000 DA par jour, pour les dépenses quotidiennes liées à la gestion, telles que les traductions, les visas, etc. Je puisais dans cette caisse à chaque fois sur ordre de Moumen. » L'avocat veut plus de détails. « Parfois, Khalifa me demande de mettre 10 000 DA dans une enveloppe et de les donner à une personne, ou encore me donne un passeport et me précise de joindre les frais de visas, je le fais. » Maître Meziane poursuit : « A qui remettez-vous les enveloppes ? » Mme Aiouaz répond : « A tout le monde. Ce sont toutes les dépenses du siège. » La défense veut arriver à une réponse précise, mais le témoin semble très gêné. « Est-ce qu'il existe une comptabilité de ces dépenses ? » demande l'avocat. Mme Aiouaz déclare : « Ce que je prenais pour moi, je signais une décharge, mais les autres ne signaient jamais. » Pour ce qui est des cartes de gratuité des voyages, le témoin reconnaît qu'il les distribuait à des personnalités sur ordre de Abdelmoumen et fait remarquer que les détenteurs de ces cartes revenaient à son bureau pour leur renouvellement annuel sur ordre de son patron. « Qui sont ces personnes ? » lui demande maître Meziane. « Je ne me rappelle pas. » Il insiste et arrive à arracher un nom qui provoque un brouhaha dans la salle. « Il y avait, par exemple, Ould Abbas. » Et maître Meziane revient à la charge : « Ould Abbas qui ? » Mme Aiouaz finit par lâcher : « Le ministre Djamel Ould Abbas. » La présidente intervient pour faire revenir le calme dans la salle. « Est-ce que toutes les gratuités et les enveloppes passaient par le siège ? » Le témoin répond : « Parfois oui, mais parfois c'est dans les bureaux de M. Nanouche et Mme Sakina Tayebi qui se trouvent dans le bâtiment de Khalifa Airways que ça se passe. » Des personnalités se faisaient remettre des enveloppes La juge revient sur les noms des dirigeants des sociétés publiques. « Vous rappelez-vous de ceux qui venaient souvent au siège ? » Mme Aiouaz déclare : « Ils étaient nombreux, je ne peux pas me rappeler tous de leurs noms. » Elle fait remarquer que tout se faisait sur ordre de Moumen. La présidente revient à la charge. L'avocat de Djamel Guellimi veut connaître la personnalité de Moumen. « Qui est-il ? Est-ce que ses ordres sont exécutés sans discussion ? Etait-il craint ? » La secrétaire est catégorique. Moumen était un patron intransigeant. Ses instructions sont des ordres à exécuter sans hésitation et aucun des dirigeants n'a osé lui apporter la contradiction, même pas ses plus proches collaborateurs. Appelée à évaluer le travail d'Amghar Mohamed Arezki, elle révèle, en tant que banquière, qu'il était « limite limite ». Elle précise que ce sont Djamel Guellimi, ou en deuxième position, Karim Ismaïl qui reçoivent les personnalités en l'absence de Abdelmoumen. La juge revient en arrière pour interroger la secrétaire sur la distribution des cartes de gratuité des voyages aux personnalités et aux membres de leurs familles. Tout se faisait sur ordre du PDG, ne cesse-t-elle de répéter. Elle lui demande qui recevait les artistes et les sportifs. « Des fois, c'est Guellimi ; et quand il n'est pas là, c'est Karim Ismaïl qui les reçoit. » « Et les personnalités politiques ? » lui demande le procureur. « Elles aussi. Mais il arrive aussi qu'elles ne soient pas reçues. » Le procureur veut plus d'informations. « Quelles sont celles auxquelles tu as remis des cartes de gratuité de voyages ? » La secrétaire reste quelques secondes sans voix, puis lâche : « L'ancien ministre de l'Habitat. » « Qui ? » lui demande le magistrat. « M. Tebboune. A l'époque, il n'était plus en poste. Quand il est venu, il ne m'a pas été annoncé. Il est venu au bureau avec Abdelmoumen Khalifa. A la fin de la réunion, Moumen m'a demandé de lui remettre des cadeaux. » La secrétaire dit ne pas être au courant de la gestion et de la distribution des cartes de paiement électronique en devises Mastercard et des American Express. Sur ces révélations, la présidente appelle Djamel Guellimi à la barre et lui dit : « Tu étais cadre dirigeant avant même la création de Khalifa Airways. Peux-tu citer les noms des responsables que tu as eu à recevoir ? » L'accusé et après une hésitation répond : « Un responsable de la Banque d'Algérie, M. Sam. Il est venu deux fois. La première fois, il est intervenu pour un opérateur économique de Blida qui avait un problème dans le paiement des échéanciers d'un crédit accordé par El Khalifa Bank. La seconde fois, il m'a d'abord appelé sur mon portable pour un rendez-vous. Puis il est venu avec M. Djaâdi, le patron de la société La vache qui rit, qui voulait être domicilié à El Khalifa Bank. » La présidente lui rappelle que ce qui importe au tribunal criminel est de constater qu'il avait un poste de responsabilité au sein du groupe. La juge se retourne vers la secrétaire et lui lance : « Que représentait Djamel Guellimi pour vous ? » Mme Aiouaz : « L'homme de confiance de Abdelmoumen. » Issir Idir, ancien directeur de l'agence Khalifa, se présente à la barre. Les audiences reprendront aujourd'hui avec l'audition d'autres témoins. A signaler que la fin de journée du jeudi et la journée du vendredi ont été consacrées à la visite des accusés concernés par la prise de corps.