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Emeutes à Baraki
Aprés des menaces d’expulsion à l’encontre de dizaines de familles
Karim Kebir
Publié dans
Liberté
le 24 - 04 - 2004
Les affrontements avec les forces de l’ordre ont duré près de quatre heures. Les habitants de la cité Diar El-Baraka refusent de rejoindre les chalets qui leur ont été attribués.
Hier encore, des pneus incendiés jonchaient l’entrée de la cité Diar El-Baraka. Quatorze printemps au compteur, le petit Omar porte toujours les stigmates de la matraque du policier et un certificat de vingt et un jours d’incapacité délivré par le médecin. Sur les murs qui font office de clôture à l’école, des graffitis griffonnés par des mains anonymes traduisent déjà le sentiment général : “on veut des logements décents�. Baraki, à 15 km au sud d’Alger, cette ville qui a défrayé la chronique dans les années noires du terrorisme et immortalisée par l’inénarrable comédien Mohamed Fellag, a vécu, jeudi dernier, une journée fort mouvementée. Des heurts entre les résidents de la cité Diar El-Baraka, une cité de 780 habitations qui date de l’époque coloniale et établie sur un terrain de près de 14 ha, et les forces de l’ordre venues les déloger, ont éclaté, faisant 64 blessés dont des policiers selon des témoins et 21, selon les pompiers cités par un habitant. Ce n’est qu’en début de soirée qu’un calme, du reste précaire, est revenu, rapportent beaucoup de témoins. Pendant près de quatre heures, soit dès 14 heures, l’entrée de la cité s’est transformée en un champ de bataille où les pierres le disputaient aux cocktails Molotov, affirme un jeune habitant sous le sceau de l’anonymat. À l’origine de la protestation, une décision de la wilaya d’Alger sommant les résidents de quitter la cité pour les reloger dans des chalets. “Les autorités ont ramené des camions pour entamer l’opération d’évacuation sans nous avertir ni nous informer�, raconte outré Mohamed, blessé par une pierre à l’œil gauche. Motifs invoqués par les autorités : détruire “le bidonville� pour reconstruire une nouvelle cité. Un formulaire distribué aux résidents stipule que les habitants de la cité Diar El-Baraka qui ont bénéficié d’un logement social, d’un lot de terrain ou ont un dossier AADL ou CNEP/APC ne retournent pas dans la nouvelle cité qui sera reconstruite sur le site rasé et devront quitter les chalets après un certain temps. “Le comble c’est qu’on ne savait même pas le lieu de notre affectation. On a seulement entendu de la bouche d’un camionneur qu’on allait partir à Thénia�, ajoute Mohamed.
La quadrature du cercle
Cependant, les aveux divergent sur la question de la délocalisation. Si certains affirment “qu’ils ne vont pas sortir�, d’autres en revanche soutiennent qu’ils sont disposés à la condition de les affecter dans des logements décents. Enfin, d’autres avancent que 47 familles sont prêtes à rejoindre les chalets. Mieux encore, à se fier au témoignage d’un délégué du comité du quartier, un compromis a été trouvé avec les autorités locales pour reporter la délocalisation à l’été en raison de la scolarité des enfants. “On s’est entendu que la délocalisation se fera l’été. qu’ils nous donnent le lieu de l’emplacement de nos futurs logements avec l’appui d’un arrêté et enfin la constitution d’une commission pour le suivi du relogement�, raconte ce délégué. “Le wali-délégué nous a promis qu’il nous informera�, dit-il. Ce n’est que mercredi soir, ajoute-t-il, qu’un élu ivre mort est venu nous informer “qu’ils allaient nous déloger le lendemain�. Un habitant lui est catégorique : il n’est pas prêt de partir. D’abord, il a trop dépensé d’argent pour la réfection de son appartement et ensuite il raconte, pièces justificatives à l’appui, qu’en 1989, un arrêté lui signifiant qu’il bénéficiera d’un logement dans la cité des 600-logements construite à quelques mètres de Diar El-Baraka lui a été délivré. “Et à ce jour, je n’ai pas eu ce logement alors que j’ai versé l’argent. Et ils veulent m’envoyer dans un chalet�, dit-il, irrité. Il raconte même que certains résidents ont bénéficié de lots de terrain qu’ils ont vendus sans compter l’aide de 14 millions.
La mafia du foncier pointée du doigt
Comme lui, d’autres témoins affirment qu’ils résident dans cette cité depuis 40 ans. “On a des actes de propriété depuis 1958�, raconte l’un d’eux. “Moi j’ai un acte de propriété qui date de 1981�, renchérit un autre. D’autres affirment qu’ils sont des locataires avec des contrats de location avec l’OPGI. Pourquoi alors cette délocalisation ? À vrai dire, la cité Diar El-Baraka n’a rien à voir avec les favelas de Rio de Janeiro, encore moins avec ces bidonvilles des bords de l’oued Hamiz. Vous serez, sans doute, étonnés de voir l’intérieur de ces maisons, plutôt des villas, même s’il est vrai que l’aspect extérieur porte la patine des cités dortoirs. Le faste de l’intérieur contraste singulièrement avec l’extérieur. Mais, selon toute vraisemblance, cette cité, comme d’autres peut-être ailleurs, souffre d’un vide juridique. Autant les logements que le terrain appartiennent à un grand propriétaire, aujourd’hui mort, réputé dans la région, un certain Bengana. “Ils les avaient offerts aux pauvres�, raconte un quinquagénaire. D’où, aujourd’hui, le fait que cette région suscite les convoitises, d’autant que les résidents visiblement ne disposent pas de documents assez solides à opposer aux autorités. “Il voudrait rendre service à ses supérieurs�, accuse un habitant, un responsable local. “Avec la complicité des élus�, ajoute-t-il. Un autre témoin croit savoir, pour sa part, que le terrain sur lequel a été bâtie la cité a été vendu aux saoudiens pour construire un “grand centre commercial�, selon lui. “C’est la mafia de l’immobilier�, lâche son collègue. D’ailleurs, en guise d’arguments, ils se demandent comment deux “individus� ont réussi à lancer la construction de deux bâtisses sur le terrain de cette cité. “C’est grâce à la tchippa�, estiment-ils. Sur un autre registre, ils ne comprennent pas comment on veut procéder à la destruction d’une cité “qui n’a rien de bidonville ni ne menace ruine�, alors qu’il y a près d’une dizaine de bidonvilles à Baraki dont notamment le célèbre Kaboul. “Où est l’Algérie forte et digne ?�, ironise Mohamed. En tout état de cause, les résidents de la cité Diar El-Baraka ne sont pas prêts à abandonner le combat. Ils prévoient d’occuper le siège de l’APC aujourd’hui.
K. K.
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