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“Bouteflika doit honorer ses engagements�
Abdallah Djaballah à Liberté
Publié dans Liberté le 25 - 04 - 2004

M. Abdallah Djaballah, président du mouvement El-Islah et candidat à la présidentielle, revient dans cet entretien sur le scrutin du 8 avril. Pour lui, les résultats ne sont “pas entièrement truqués, mais gonflés�.
Liberté : Compte tenu des résultats de l’élection présidentielle, regrettez-vous d’y avoir pris part ?
Abdallah Djaballah : Je ne regrette absolument rien, parce que je suis de ceux qui croient à l’alternance au pouvoir et préconisent la pratique politique pacifique pour imposer le changement. À ce titre, les élections sont un moyen incontournable. Bien que notre objectif suprême ne soit pas atteint pour des raisons connues de tous, d’autres buts de grande importance s’inscrivant dans l’opération de changement, ont été réalisés.
Quel commentaire faites-vous sur le fait que les rassemblements que vous avez animés durant la campagne électorale et où de nombreux citoyens venaient vous écouter ne se soient pas traduits en résultats électoraux ?
Le score qu’ils nous ont donné ne reflète nullement l’ancrage réel de Djaballah et l’image de marque du mouvement sur le terrain. Cette réalité est connue de tous et notamment de ceux qui ont suivi la campagne. C’est pourquoi jusqu’à aujourd’hui, les citoyens restent choqués et heurtés, d’une part, par le score gonflé accordé à Abdelaziz Bouteflika, d’autre part, par le résultat insignifiant octroyé au candidat Djaballah. Des dizaines de citoyens nous ont contactés des quatre recoins du pays pour exprimer leur étonnement et leur effarement. Je ne donne pas trop d’importance à ce score préfabriqué, car je sais bien que la crédibilité du mouvement s’est consolidée. Le mouvement est en train de réaliser des résultats probants sur le terrain et ce, par étape et d’une manière ascendante. Cela sera, Incha Allah, confirmé lors des prochaines échéances électorales.
Outre les déclarations du chef d’état-major à la revue El-Djeich, avez-vous obtenu d’autres garanties pour participer au scrutin du 8 avril ?
Je ne dispose pas d’autres informations que celles qui ont été publiées dans la presse. Nonobstant ces garanties, notre mouvement a fait du principe de participation une règle. On ne se rétracte que dans certains cas. C’est pourquoi nous avons participé aux élections en 1999, en dépit de l’absence de conditions favorables. Nous y avons pris part aujourd’hui, et nous continuerons à le faire à l’avenir.
Les expériences de 1999 et de 2004 vous amèneront-elles à être plus vigilant à l’avenir ?
J’estime que les élections restent un moyen important pour sensibiliser la population, assurer la mobilisation des masses et consolider la présence et l’ancrage d’El-Islah dans la société. L’élection permet également à nos cadres de s’habituer aux méthodes liées à l’organisation et à la gestion des batailles électorales en privilégiant l’esprit de compétition. Ces actions sont nécessaires afin de baliser le terrain dans la perspective d’arriver au pouvoir. Il ne peut y avoir de sursaut à partir du néant ; l’absence totale de consultations et d’ élections ne sert pas nos ambitions. La progression par étape est un principe prescrit par Allah, que nous observons et respectons scrupuleusement.
Que pensez-vous de ceux qui disent qu’il n’existe pas de classe politique ?
Cette thèse est fausse. Elle serait plausible si vraiment il y avait eu des élections honnêtes et crédibles, ou si on avait sérieusement respecté la volonté du peuple. Mais comme il est connu de tous, les résultats ont été dopés et ont profité à des gens qui s’accrochent au pouvoir par tous les moyens. Ils ne se sont pas abreuvés des valeurs démocratiques et ne sont pas prêts à respecter le changement démocratique tant espéré. Ils exploitent leur influence pour assurer leur maintien au pouvoir. Ils recourent évidemment à l’utilisation de tous les moyens de l’État, telle la télévision, pour garantir leur pérennité. Aussi, existe-t-il une autre catégorie de gens introduits dans les partis et dans les organisations qui ont désespéré. Ces derniers ne croient plus aux élections. Leur désertion ou leur caution passive sert le régime... Pour autant, il existe une poignée de partis qui militent pour l’instauration du pluralisme et récusent la politique du marchandage. Cette catégorie est victime à la fois des velléités de musellement du pouvoir et des mass-médias réputés pour leur parti pris. Ces organes défendent malheureusement le régime en place et ses politiques. Donc, il est du devoir de la troisième catégorie, la classe de l’espoir, de patienter et de poursuivre son combat au côté du peuple. Elle entrera dans l’histoire. Et son projet de militantisme triomphera un jour sans aucun doute.
Revenons à vos déclarations faites la veille de l’élection. Les observateurs de la scène politique estiment que Djaballah a fait marche arrière. Aucune réaction musclée après la promulgation des résultats…
D’abord, en ce qui concerne les recours, il faut savoir que la loi fixe un délai de 24 heures après la promulgation des résultats pour en déposer. Sur le plan pratique, c’est un délai extrêmement court pour concrétiser cette opération et recueillir les données. Comme vous le savez, les résultats ont été rendus publics le vendredi à 10h30 et le délai a expiré le samedi à la même heure. Suivant les informations récoltées ici et là , il s’est avéré que le score était “gonflé� en faveur de Bouteflika. En fait, si on n’avait pas recouru à cette pratique, Bouteflika serait crédité d’un score qui oscille entre 50 et 52 ou 55 %. Ce pourcentage était d’ailleurs prévu par beaucoup. Mais, à la faveur de l’amplification, il est passé à 85%. Les élections ne sont pas entièrement truquées mais gonflées.
Y a-t-il eu fraude intelligente ?
L’amplification tient du gonflement du corps électoral. Les listes des électeurs établies avant les élections comptaient près de 17 millions. Lorsque nous avions présenté le projet de la révision de la loi électorale à l’APN, le ministre de l’Intérieur avait avoué devant les membres de la commission juridique une augmentation de 1,5 à 2 millions d’électeurs. Or, l’assainissement des listes devait aboutir à une composante à hauteur de 15 millions. En outre, il a été décidé de confier la mission d’encadrement des élections aux walis alors qu’elle était auparavant confiée aux APC. Ils ont établi des cartes à partir de la liste gonflée et l’ont distribuée aux partisans du président-candidat pour que ces derniers puissent voter plusieurs fois. Des exemples de ce genre sont légion. On peut citer le cas d’El-Mouradia où un militant d’El-Islah a trouvé 18 cartes d’électeurs tamponnées et vierges sur une personne, un autre une quarantaine à Souk-Ahras. C’est de cette manière qu’on a pu amplifier les résultats sans compter le bourrage des urnes des bureaux itinérants ainsi que la non-comptabilisation des voix des militants d’El-Islah dans des communes entièrement acquises à notre parti. Les partisans du président ont utilisé d’autres moyens comme l’achat des voix et l’intimidation des électeurs. Enfin, le clan favorable au président-candidat a agité le spectre de la peur en faisant croire aux gens que dans le cas où Djaballah arriverait au pouvoir, l’armée interviendrait et on revivrait alors les événements de 1991. Des sympathisants du parti ont donc voté pour Bouteflika tout en nous restant fidèles.
Ces nombreuses entorses devaient vous amener à une réaction énergique. L’alliance que vous avez contractée avec Benflis et Sadi la dictait. Qu’est-ce qui explique votre recul ?
Je n’ai jamais dit que j’étais prêt à entreprendre une action de ce genre. La coordination avec les autres candidats était une autre technique pour le contrôle des élections seulement. En réalité, l’Algérie a trop souffert. On s’est contenté de dire que les résultats étaient amplifiés, gonflés.
Considérez-vous, après le plébiscite de Abdelaziz Bouteflika, que les Algériens ne veulent pas de la démocratie ?
Quand la peur prend le dessus, tous les autres impératifs n’ont plus de raison d’être, y compris la démocratie.
Quelle est la position d’El-Islah sur d’éventuelles élections législatives anticipées, au cas où le président décide de dissoudre l’APN ?
En 1999, j’étais crédité d’un score inférieur. Les résultats des élections locales et législatives ont consolidé l’influence du parti. Le score de la présidentielle qu’on m’a donné est mieux, et confirme cette tendance. C’est pourquoi je suis optimiste quant à l’issue des prochaines consultations.
Les décideurs, quand il s’agit de la présidentielle, utilisent tout pour garder en main tous les moyens, mais pour les autres élections ils laissent les choses aller avec plus de facilités.
Comment voyez-vous le deuxième mandat de Bouteflika ?
Bouteflika est le président de l’État algérien pour un second mandat de 5 ans. Il s’est engagé devant le peuple à réaliser ses promesses. Donc il est tenu d’honorer ses engagements et de prendre des mesures pratiques.
Il s’est engagé et a promis au peuple de réaliser la réconciliation, et plusieurs choses qu’il doit honorer.
El-Islah a-t-il été sollicité pour rejoindre le nouveau gouvernement ?
Pour le moment, non. La position de notre mouvement à ce propos est connue depuis longtemps. Nous posons des conditions pour prendre place au sein de l’Exécutif ; une fois qu’elles seront réunies, nous en reparlerons. Nous voulons une participation au prorata de la représentation de chaque parti à l’APN. Il faut que les participants soient dotés de larges prérogatives dans les ministères qu’ils auront à diriger. Le parti aura son mot à dire à ce propos.
R. H.


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