Télés et radios turques diffusent en kurmandji (langue kurde). C'est un événement historique dans un pays où l'identité kurde a été brutalement combattue par le pouvoir central interdisant jusqu'à ses rites et fêtes sociales les plus anodins. Mais ni l'atroce guerre au Kurdistan (sud-est de la Turquie), ni la torture, ni les assassinats, ni les emprisonnements et ni les expropriations massives de Kurdes n'ont entamé la lutte pour la dignité identitaire. La résistance kurde avait fini par se durcir, elle aussi, donnant naissance de 1984 à 1999, à de multiples guérillas, dont la plus importante a été celle menée par le PKK (le Parti du travail du Kurdistan d'Ocalan). L'armée turque, épinglée dans le monde pour sa cruauté et son dénie des droits humains élémentaires, trouve la parade qui a introduit le doute dans le combat kurde. En favorisant l'irruption dans les milieux kurdes de commandos islamistes, le lien entre guérilla kurde et terrorisme a vite été franchi. L'Occident procède à la fermeture de bureaux kurdes, auparavant tolérés dans ses capitales et Ocalan est kidnappé au Kenya dans des conditions rocambolesques. Sa condamnation à mort est commuée en peine capitale. L'Europe, aux portes de laquelle s'impatiente la Turquie, exige le préalable démocratique. Le Parlement européen vient d'ailleurs de voir ses efforts récompensés : les 3 députés kurdes emprisonnés en 1994 et condamnés à 15 ans d'incarcération, après avoir prêté serment en kurde, langue interdite, sont libres. On retiendra que Leyla Zana, féministe et militante de l'identité kurde, a rédigé durant son incarcération un essai, Lettres de prison, exhortant les femmes arabo-musulmanes à relever leur tête. Le livre est dédié au combat des Algériennes pour leur citoyenneté. Contre toute attente, le retour au pouvoir des islamistes en 2002 inaugure l'accélération des réformes exigées par l'UE. Tayyip Erdogan, qui cherche à instaurer une démocratie musulmane, à l'image de la démocratie chrétienne, fait franchir de grands bonds à la démocratie et aux droits de l'Homme en Turquie. La condamnation à mort, la torture et autres sévices policiers sont proscrits, et, cerise sur le gâteau, les députés planchent sérieusement sur la question du retrait de la sphère politique des militaires. De quoi faire se retourner dans sa tombe Atatürk, le géniteur du système militaro-laïc qui a montré ses limites, au fur et à mesure, que s'est approfondie la lutte pour les droits de l'Homme. Hors la loi, le PKK s'est sabré. Mais, le fait kurde est officiellement reconnu. La compagnie nationale turque de radio et de télévision (TRT) a commencé depuis quelques jours à diffuser des émissions en kurmandji. Plus tard, ça sera au tour du zaza, I'autre dialecte kurde. La communauté kurde en Turquie est estimée entre 10 et 15 millions de personnes. Sur la soixantaine de millions que compte le pays, Ankara vient de briser un tabou : des esprits étroits disent que c'est grâce aux pressions de l'UE. Erdogan espérant un feu vert de Bruxelles en décembre pour l'amorce des négociations d'adhésion. En partie, c'est vrai, mais, c'est oublier et nier les sacrifices kurdes. Des pressions pour les droits de l'Homme, les populations ne crachent pas dessus. Pour elles, c'est le seul aspect positif de la mondialisation. D. B.