Ces deux dossiers provoquent les protestations anticipées de l'opposition nationaliste ou sociale-démocrate. Le gouvernement islamo-conservateur du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan fait cette semaine une rentrée parlementaire à risques, proposant aux députés deux projets ultra-sensibles: la normalisation des relations avec l'Arménie, et une réforme en faveur de la minorité kurde. Des débats houleux sont attendus tant sur le projet arménien, qui doit tirer un trait sur des décennies d'hostilité, que sur l'«ouverture démocratique» destinée à améliorer la situation des 12 millions de Kurdes de Turquie (sur 71 millions d'habitants). Ces deux dossiers provoquent les protestations anticipées de l'opposition nationaliste ou sociale-démocrate. La Turquie et l'Arménie doivent signer le 10 octobre à Zürich un accord en vue d'établir des relations diplomatiques, et rouvrir la frontière commune. Mais les obstacles sont nombreux, à commencer par la question des massacres d'Arméniens par les Ottomans en 1915, qui ont fait plus d'un million et demi de morts selon les Arméniens, 300.000 à 500.000 selon la Turquie. Ankara récuse catégoriquement la notion de «génocide» retenue par Erevan, mais également par la France, le Canada et le Parlement européen. La Turquie a aussi fermé sa frontière avec l'Arménie en 1993 en soutien à l'Azerbaïdjan, pays turcophone et allié d'Ankara, en conflit avec Erevan pour le contrôle de la région du Nagorny Karabakh, enclave peuplée d'Arméniens en territoire azerbaïdjanais. Sans une ratification par les parlements d'Ankara et d'Erevan, l'accord ne pourra prendre effet. Dans le cadre des efforts de rapprochement, le président turc Abdullah Gül a invité son homologue arménien,Serge Sarkissian, au match de football Arménie-Turquie de qualification pour le mondial 2010, le 14 octobre à Boursa (ouest de la Turquie). M.Gül avait fait en septembre 2008, une visite historique en Arménie, à l'occasion du match aller. Concernant les Kurdes, l'objectif du gouvernement est d'éroder le soutien, au sein d'une partie de la population du sud-est du pays, dont bénéficie le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en lutte armée depuis 1984. Selon les médias, Ankara pourrait libéraliser l'usage de la langue kurde, autoriser le retour des 12.000 Kurdes de Turquie exilés dans le camps de Makhmour, foyer du PKK en Irak, et investir plusieurs milliards de dollars dans la région pour faire reculer pauvreté et chômage. Les milieux Kurdes réclament qu'une référence à l'identité kurde soit incorporée dans la loi fondamentale, éventualité exclue dimanche par M.Erdogan. «Cette Constitution (rédigée après le coup d'Etat de 1980) est un obstacle aux droits démocratiques. Vous n'arriverez à rien si vous ne la changez pas», a estimé Ahmet Türk, le président du DTP (Parti pour une société démocratique, pro-kurde). Et les mentalités ne suivent pas, forcément, la ligne du gouvernement. Un procureur a ainsi lancé des poursuites pour «incitation à la haine» contre l'actrice Hülya Avsar parce qu'elle avait soutenu l'initiative gouvernementale, dans une interview. Le chef emprisonné à vie du PKK, Abdullah Öcalan, a de son côté rédigé son propre plan de réformes, mais les autorités turques, qui en ont pris possession, refusent pour l'instant de le divulguer. L'armée, qui combat le PKK, a réagi assez favorablement à la démarche gouvernementale, mais elle rappelle ses «lignes rouges»: maintien de la structure unitaire de l'Etat, respect de la langue turque, refus d'une reconnaissance par la Constitution d'une identité autre que turque. Un holà qui risque de réduire la marge de manoeuvre du gouvernement.