Sans doute inédite, la marche du 14 juin 2001, organisée par le mouvement des archs de Kabylie, aura constitué l'un des évènements majeurs de l'Algérie indépendante. Reste à savoir comment donner vie aujourd'hui à ce symbole. Pour une première dans l'histoire, une manifestation publique draine des millions de citoyens, descendus dans la rue pour défier le “pouvoir central”, formule usitée dans le jargon des manifestants, et exiger la satisfaction de la plate-forme d'El-Kseur, rédigée quelques jours plus tôt dans la localité qui porte le même nom. Articulée autour de 15 points, cette plate-forme, qui exigeait, entre autres, le jugement des commanditaires des assassinats des victimes de ce qui est communément appelé le “Printemps noir” et la mise sous les autorités démocratiquement élues de tous les services de sécurité, renvoyait à vrai dire dans sa substance à un changement radical du régime. Fort d'une adhésion populaire sans commune mesure, avec une structuration originale, le mouvement réussit à ébranler le pouvoir. Mais celui-ci, confit dans la culture de l'intrigue et de la manipulation, oppose la politique de “la carotte et du bâton”. Quelques concessions par-ci, la répression par-là, conjuguée à la corruption de certains animateurs finissent, au fil des mois, de porter un coup sérieux autant à la crédibilité qu'à la force de mobilisation du mouvement. Et force est d'admettre, aujourd'hui, qu'il s'est scindé en deux principales tendances, qu'il incarne dans l'imaginaire collectif un géant aux pieds d'argile. Pourquoi cet essoufflement ? Beaucoup de raisons l'expliquent sans doute. Mais les deux essentielles restent de loin, la transgression du code d'honneur, lequel devait mettre la structure à l'abri des manipulations du pouvoir et l'exclusion, sciemment ou par naïveté politique, des acteurs politiques et sociaux les plus représentatifs de la région de Kabylie, lesquels pourtant avaient accompagné le mouvement et partageaient le même idéal démocratique. Aujourd'hui, d'aucuns s'interrogent sur ce qui reste réellement de ce mouvement. S'ils concèdent que le mouvement a laissé des plumes et que la démobilisation a gagné du terrain, les deux tendances affirment tout de même que des animateurs restent engagés à faire aboutir les revendications contenues dans la plate-forme d'El-Kseur. “Le mouvement est toujours solide bien qu'on ait perdu des éléments dont certains par intérêt personnel, d'autres pour des raisons politiques”, estime un animateur de Béjaïa, de la tendance qualifiée par ses pairs de “dialoguiste”. Un animateur de la tendance dite “radicale” reconnaît, lui, que le pouvoir a réussi à semer la zizanie parmi le mouvement. “Depuis sa création, le mouvement a réussi trois échéances, la marche du 14 et l'empêchement des élections législatives et locales de 2002. Mais le pouvoir a réussi à corrompre des éléments dans le mouvement et dont l'objectif visait à le diviser”. Le constat ainsi établi, quelles sont alors les perspectives ? Aujourd'hui, les deux tendances semblent plus que jamais convaincues qu'il devient urgent, voire vital, d'associer toutes les forces qui militent pour le changement. Une idée fait de plus en plus son chemin : la conférence nationale. “La conférence nationale est un aboutissement logique car il y a d'autres segments dans la société qui militent pour la même cause. Il ne faut donc pas les exclure”, reconnaît cet animateur de Béjaïa. “Tous les avis s'accordent à dire qu'il n'y a pas de solution en dehors de regroupement des forces démocratiques”, estime pour sa part cet animateur de l'aile “radicale”. C'est dire qu'il y a un début de consensus autour de la nécessité de faire un front commun d'autant qu'en face, le pouvoir a montré des signes patents, qu'il est réfractaire à toute forme de changement. Mais au-delà, c'est la réhabilitation du politique qui s'avère impérieux dans une région réputée comme la matrice et la locomotive du combat démocratique. D'où aussi pour le mouvement, ou ce qui en reste encore, de faire sa propre introspection. K. K.