Les deux parties devront se rencontrer prochainement pour entamer les discussions autour de la “mise en œuvre” de la plate-forme d'El-Kseur. Qui fera partie de la délégation sachant que les archs sont divisés sur la question du dialogue avec le pouvoir ? Le gouvernement dit oui aux “incidences” posées par les archs Le dialogue version Ouyahia Intervenant à la veille de l'expiration de l'ultimatum, cette offre n'est sans doute pas dénuée d'arrière-pensées. Eclairage. Le Chef du gouvernement Ahmed Ouyahia a lancé, hier, une nouvelle invitation au mouvement citoyen de Kabylie, en vue d'ouvrir un dialogue permettant de régler la crise de Kabylie. Contrairement à ses précédents appels, cette fois, Ouyahia a utilisé le canal officiel pour lancer son invite via un communiqué émanant de ses services. “Le Chef du gouvernement, M. Ahmed Ouyahia, a invité, hier, le mouvement des archs à un dialogue avec lui pour la prise en charge des incidences de la crise et la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur”, souligne le communiqué de la chefferie du gouvernement. On peut noter d'emblée le souci de Ouyahia d'insister sur le timing de son énième offre de discussion, puisque celle-ci intervient à la veille de l'expiration de l'ultimatum d'une semaine, fixé par l'Interwilayas de Tizi Ouzou, enjoignant le gouvernement de satisfaire les préalables posés par les archs, faute de quoi, la Kabylie serait fermée à toute élection. Et au moment où tout le monde pensait que la messe était dite, voilà que le pouvoir, si habitué à tourner le dos aux revendications de cette région, accède — comme par enchantement — aux vœux des délégués. Enfin, pas de tous les délégués. Le mouvement citoyen de Kabylie est, en effet, en proie, ces dernières semaines, à des luttes internes qui ont accouché de deux tendances distinctes. D'un côté, ceux que l'on affuble du qualificatif de “dialoguistes” emmenés par Belaïd Abrika et ses amis du quartier les Genêts plutôt enclins à traiter avec Ahmed Ouyahia, et ceux se réclamant de la coordination de Mechtras, qui se démarquent clairement de l'option du dialogue, assimilé à une “trahison”. Et entre ces deux ailes, les échanges d'amabilité n'ont pas cessé depuis l'adoption du fameux document référentiel portant sur la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur. C'est précisément ce texte qui a précipité la cassure au sein du mouvement dans la mesure où ses auteurs — les animateurs de la CADC liés à Abrika notamment — ont été accusés de souscrire hâtivement à un dialogue avec le pouvoir alors que celui-ci n'a pas encore donné suite à certains préalables, notamment la dissolution des APC issues du scrutin d'octobre 2002. Ces derniers sont même soupçonnés d'être de mèche avec Ahmed Ouyahia, dans le souci de tirer les dividendes d'une éventuelle redistribution des cartes en Kabylie. Election présidentielle oblige, le pouvoir, et à sa tête Ahmed Ouyahia, a donc jugé vital de fermer la parenthèse kabyle pour mener à bien son plan de fractionnement du mouvement citoyen en le noyautant. Et dans ce registre, force est de reconnaître qu' Ouyahia a réussi à casser la dynamique des archs et à faire revenir une bonne partie des animateurs autrefois radicaux à de… meilleurs sentiments. Tout porte à croire que son appel trouvera des oreilles attentives parmi ces délégués qui ont subitement réalisé les vertus du dialogue après avoir fait une longue cure dans le radicalisme tout feu tout flamme. Il semble bien que le Chef du gouvernement soit informé régulièrement de l'évolution de la situation à l'intérieur du mouvement, et que sa vision cadre parfaitement avec celle des amis d'Abrika. En l'occurrence, dans son communiqué, le Chef du gouvernement exprime sa “satisfaction” de ce que la dernière Interwilayas ait “finalisé le document en cours de préparation en vue d'un dialogue pour la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur”. Mieux encore, Ouyahia semble avoir bouclé son dialogue avant même de le lancer, puisqu'il invite déjà les archs à lui communiquer les noms des personnes mandatées pour négocier afin de convenir de la date d'ouverture du dialogue . De fait, Ouyahia anticipe déjà sur la réponse de ses interlocuteurs, comme s'il savait d'avance qu'elle sera favorable. Par ailleurs, à aucun moment, le Chef du gouvernement ne fait référence au président de la République dans son appel, comme pour endosser lui-même la responsabilité et, évidemment, tenter d'expurger l'offre de son parfum électoraliste à quatre mois de la présidentielle. Il rassure, en revanche, ses interlocuteurs en affirmant que toutes les “incidences de la crise seront prises en charge dans le cadre du dialogue”. Pourvu que ce dernier ait lieu, semble dire Ouyahia… HASSAN MOALI Deux conclaves séparés serontorganisés demain à Tizi Ouzou CADC contre CADC À l'issue des deux rencontres parallèles, tenues lundi dernier, à Tizi Rached, en conclave extraordinaire d'un côté et, à Boudjima, en rencontre d'urgence d'un autre, tout porte à croire que la division est définitivement consommée. Désormais, coexistent deux CADC. La mission de réconciliation entamée par les coordinations des Ouacifs, Aïn El-Hammam et Ath Zmenzer depuis le début de la scission, fin octobre dernier, dans l'espoir de “recoller les morceaux”, a définitivement échoué, lundi dernier, après avoir tenté vainement de convaincre la tendance d'Imzizou d'adhérer à leur démarche estimée salutaire pour le mouvement citoyen basé, depuis sa naissance, sur le principe de l'unité et de la cohésion des rangs. La proposition faite par les médiateurs, à savoir la tenue d'un conclave dit de vérité et de réconciliation, après quoi les divergences nées autour du document de mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur et de l'exclusion des neufs délégués à Imzizou seront aplanies et la CADC sera réunifiée, est désormais classée “ancienne histoire”. À Tizi Rached, la plupart des 32 coordinations qui ont pris part au conclave ont opposé un niet catégorique à la démarche de réconciliation telle que proposée. Celle-ci est jugée impossible avec l'aile de Mechtras qu'ils qualifient de “comploteurs contre la CADC” et avec une commission de médiation qu'ils jugent “partiale”. La rencontre de Boudjima, ayant rassemblé, elle aussi, le même nombre de coordinations de la Kabylie maritime et de l'aile de Mechtras, a débouché sur la préparation d'un conclave ordinaire, jeudi prochain, à Irdjen où une présidence triangulaire qui aura pour mission la préparation du prochain conclave de l'Interwilayas des “non-dialoguistes” sera installée, ce qui signifie la création d'une deuxième CADC de Tizi Ouzou. Le pouvoir, pour lequel un ultimatum a été fixé pour satisfaire les six incidences, sera-t-il inquiété, comme par le passé, par la menace de recourir à des actions de rue, sachant que celle-ci est brandie seulement par une partie du mouvement citoyen ? Samir Leslous Les deux ailes de la CICB tiennent leurs réunions Le forcing des non-dialoguistes La réunification des rangs de la CICB autour d'un seul conclave n'a pu être concrétisée, dès lors que les deux ailes de l'Intercommunale de Béjaïa — les dialoguistes et les non-dialoguistes— se sont montrées plus que jamais intransigeantes quant au maintien de leurs conclaves respectifs, tenus lundi dernier, à Ath Mellikèche et à Akbou. En effet, malgré la tentative de réconciliation des deux ailes antagonistes, menée par la Coordination communale de Seddouk, qui s'est proposée pour la médiation, les deux blocs de la CICB sont restés de marbre. En guise de réponse à l'initiative des délégués de Seddouk, les 26 coordinations communales non-dialoguistes, qui se sont réunies au centre culturel d'Akbou étaient favorables à l'offre de réunification des rangs du mouvement citoyen qui consiste à annuler les deux rencontres d'Akbou et d'Ath Mellikèche et programmer un conclave unifié à Seddouk, à condition que les conclavistes d'Ath Mellikèche se démarquent des résolutions de l'Interwilayas de l'Intht de Tizi Ouzou, organisée par l'aile de la CADC acquise à Bélaïd Abrika. Malheureusement, les partisans du dialogue refusent carrément cette proposition en se déclarant attachés aux résolutions de l'Interwilayas de Tizi Ouzou auxquelles ils ont pris part volontairement. Après l'échec de l'initiative prise par la Coordination communale de Seddouk, les deux ailes de la CICB ont aussitôt procédé au maintien de leurs conclaves respectifs, confirmant ainsi la profondeur du fossé déjà existant. Visiblement imperturbable, Ali Gherbi, le porte-parole du Comité de la société civile (CSC) d'El-Kseur affirmera que “ceux qui se sont réunis à Ath Mellikech représentent une petite minorité qui croit à quelque chose de virtuel, notamment la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur avant avril 2004.” Pour l'orateur, “ces délégués dialoguistes se trouvent manipulés par les dissidents de partis politiques implantés en Kabylie qui veulent renforcer leur clan pour pouvoir négocier en force l'échéance présidentielle sur le dos de nos valeureux martyrs”. Revenant sur les enjeux de l'élection présidentielle, le délégué d'El-Kseur estime que “la résolution de l'interwilayas qui prône le rejet de toute échéance électorale, peut devenir caduque, si jamais la satisfaction de la plate-forme d'El-Kseur, se concrétise. Il est trop tôt de se prononcer sur la tenue d'une élection aussi importante, car je suis persuadé qu'il y aura une évolution très rapide dès le mois de janvier prochain. Donc, nous devons attendre un peu pour juger les intentions de chaque candidat à cette joute électorale.” Avant d'ajouter qu' “on ne doit pas prendre l'Algérie en otage éternellement. La population de Kabylie doit déjouer les manœuvres de ses détracteurs qui veulent la pousser à l'abstentionnisme”. À noter que les délégués réunis à Akbou ont décidé de laisser ouvert le conclave extraordinaire dont les travaux devront se poursuivre jeudi prochain au même endroit. Dans leur déclaration politique, les non-dialoguistes relèvent que “la CICB constate avec amertume l'entêtement de certains délégués à officialiser une division virtuelle qu'ils ont eux-mêmes fomentée à partir du dernier conclave tenu au TRB, en transgressant secrètement les principes directeurs de fonctionnement du mouvement”. Par ailleurs, les conclavistes d'Ath-Mellikech ont rendu publique, de leur côté, une déclaration dans laquelle ils lancent du vitriol sur leurs ex-camarades réunis à Akbou en les qualifiant de “chargés de mission et d'éléments partisans, hantés par le syndrome de leader-ship”. En outre, les partisans du dialogue n'ont pas hésité à s'en prendre au RCD, en l'accusant sans le nommer d'“être derrière des manœuvres de déstabilisation du mouvement citoyen”. Le comble des paradoxes, dans le même document ces dialoguistes qui s'attaquent aux partis politiques implantés en Kabylie, tiennent à “réaffirmer le caractère transpartisan du mouvement citoyen”. KAMEL OUHNIA ILS REAGISSENT Arezki Hamoudi (délégué nath irathen) “C'est un pseudo-engagement” “L'engagement du Chef du gouvernement à prendre en charge les incidences confirme la volonté de certains courants de la CADC d'inclure les préalables dans le document de mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur. L'ultimatum n'était qu'une recherche d'une nouvelle crédibilité. À présent, si l'on peut considérer cette réponse comme une semi-victoire, le mérite reviendrait à toutes les Coordinations de la Kabylie impliquées dans la contestation depuis de longs mois. Reste encore à vérifier le bien-fondé de ce pseudo-engagement dans sa concrétisation. Ceci ne remet nullement en cause l'objectif assigné depuis plus de trente mois qui est la satisfaction entière de la plate-forme d'El-Kseur et veiller, plus que jamais, à ce qu'elle ne soit pas vidée de sa substance politique, en voulant la noyer dans les revendications socioéconomiques.” Mustapha Mazouzi (Tizi Ouzou) “La satisfaction des incidences d'abord” “Dans la forme, le pouvoir a répondu à notre ultimatum, mais dans le fond, nous avons dit que nous allions participer à la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur scellée et non négociable après la satisfaction des incidences. Or, le Chef du gouvernement nous invite à la mise en œuvre de la plate-forme et la prise en charge des incidences, ce n'est pas ce que dit notre mouvement. Les six incidences doivent être satisfaites avant l'amorce de la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur. Cela reste une réaction à chaud. C'est à l'Interwilayas de trancher cette question en toute souveraineté.” TAHAR TEMMIM (Coordination de Aïn El-Hammam) “Aller au dialogue est une trahison” “Le communiqué d'Ouyahia ne fait nullement l'objet de satisfaction des préalables mais d'une invitation au dialogue. Un dialogue que nous avons toujours refusé avant la satisfaction des préalables tels que posés à Raffour. Maintenant, si quelqu'un veut aller au dialogue avec cet appel, nous considérons que c'est une trahison. La désignation d'une délégation pour aller dialoguer comme le demande le chef du gouvernement sera une autre trahison.” Atmane Mazouz (délégué de Tinebdar) “L'ultimatum était une manœuvre” “Ouyahia est dans son rôle : éteindre un mouvement citoyen par la manœuvre. Que ceux qui se sentent alléchés par un dialogue sans conditions, partent. Ils assumeront leur responsabilité devant leur histoire et la population. En attendant, M. Ouyahia sait très bien qu'aucun jugement n'a été rendu contre les assassins, que nos camarades sont toujours pourchassés par son gouvernement et que notre région subit toujours les abus de ses services fiscaux et qu'elle est livrée à la mafia locale. Que ceux à qui on finance les conclaves continuent dans leur trahison. On voit, aujourd'hui, que le pseudo-ultimatum de l'école hôtelière (INTHT) de Tizi Ouzou est une manœuvre de plus. La population de Kabylie vient de débusquer le deuxième groupe de délégués taïwan. Quant à nous, nous demeurons fidèles aux sacrifices des martyrs et à la population. Le combat continue.” Boudjemâa Agraw (délégué de Béjaïa) “C'est une victoire...” “Le fait que le mouvement citoyen ait réussi à faire plier ce pouvoir maffieux et assassin constitue une victoire pour la Kabylie et pour toute l'Algérie. Maintenant, si ce pouvoir est prêt à prendre en charge les incidences de la crise, selon le document de la mise en œuvre, et à satisfaire tous les points contenus dans la plate-forme d'El-Kseur scellée et non négociable, je ne vois pas d'inconvénient pour répondre favorablement à cet appel. Mais, rien n'empêche l'arrêt du processus de mise en œuvre, en cas de situation de désaccord. Cela reste mon avis personnel, il appartient à l'Interwilayas des archs de prendre la décision qu'elle jugera utile après concertation.” Propos recueillis par S. Leslous, A. tahraoui et K. Ouhnia