Il a été condamné hier après 292 jours de contrôle judiciaire Mohamed Benchicou en prison L'assistance était loin de s'attendre à un tel verdict annonciateur de lendemains qui déchantent pour la presse indépendante. Lundi 14 juin. Il est 12 h. Tribunal d'El-Harrach. La juge cite l'affaire n° 75. Elle concerne Mohamed Benchicou, directeur du journal, Le Matin, accusé pour détention de bons de caisse que la police des frontières avait trouvé sur lui en août dernier à l'aéroport Houari-Boumediene alors qu'il rentrait de France. Des personnalités de la société civile, des représentants des droits de l'Homme, à l'image de Ali Yahia Abdenour, des délégués du mouvement citoyen, de simples citoyens et plusieurs journalistes accourent vers la salle d'audience. Elle ne pouvait pas contenir les nombreux présents venus assister au procès de la liberté de la presse et de la démocratie. Mohamed Benchicou se rend à la barre ainsi que la partie civile représentée par le ministère des Finances. Ses avocats interviennent pour faire part à la présidente de la non-recevabilité de la plainte. Me Ben Arab est le premier à prendre la parole. Il explique à la présidente que la loi n'autorise pas le ministère des Finances à se constituer partie civile. Il précise que c'est au ministre des Finances, s'il juge qu'il y a délit, de le faire en déléguant un cadre de son département. “C'est lui qui représente l'Etat devant les juridictions”, soutient-il. Pour sa part Me Méziane, document à l'appui qu'il exhibe à l'assistance, relève que le directeur du Matin a été auditionné à 9 h par la police soit quatre jours après sa fouille à l'aéroport et que la plainte du ministère des Finances n'a été enregistrée qu'aux environs de 15 h, le même jour. “Cela prouve que cette plainte a été montée de toute pièce sinon comment accuser M. Benchicou alors que le principal habilité à le faire n'était pas de la partie”, s'interroge-t-il. Sur ce point précis, Me Brahimi exhibe une lettre adressée par le directeur des douanes, principal concerné dans cette affaire, au Chef du gouvernement et au responsable des services secrets algériens dans laquelle il affirme que M. Benchicou n'a pas commis d'infraction. Il relève également qu'aucun procès-verbal de constatation n'a été établi par la police des frontières lorsqu'elle a trouvé les bons de caisse en monnaie locale sur sa personne. Bien plus, ces documents censés être compromettants, lui ont été restitués le jour même. “La police revient à la charge en demandant au procureur de la République de lui demander d'enquêter sur les dessous de cette affaire qui en réalité n'en est pas une. Le 27 août, mon client se voit mis sous contrôle judiciaire par le juge d'instruction de ce tribunal. C'est tout simplement la volonté du pouvoir d'en découdre avec M. Benchicou en bafouant toutes les règles de procédures pénales”, s'indigne Me Brahimi. Aux environs de 13 h, la présidente donne la parole au directeur du Matin. “Je vais au moins vingt fois par an à l'étranger sans que je sois fouillé. Il se trouve qu'après une semaine que le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, a juré publiquement de faire payer Le Matin et son directeur, des policiers qui me guettaient sont venus fouiller mes bagages. Ils me laissent partir pour se raviser en me rattrapant juste avant la sortie pour me demander de les suivre. C'est là qu'ils me confisquent mon porte-document pour me le restituer après sans que je sois inquiété. Je n'ai signé aucun document contrairement à ce que prétend la police. C'est faux”, déclare M. Benchicou. Pour sa part, à la surprise de tous les présents, le parquet demande cinq ans de prison ferme et le double de la valeur des bons de caisse (20 millions 340 mille dinars) et la mise sous mandant de dépôt en se référant à l'ordonnance 01/03 du 19/04/2003 modifiant la loi 96/22 du 09/07/96. L'annonce provoque un tollé au sein de la salle. C'est sur cette loi aussi que la partie civile avait axé son intervention en soutenant que M. Benchicou a fait dans le déplacement des capitaux. Dans leur plaidoirie, les avocats de la défense ont mis en évidence une deuxième fois, le vice de procédure dans la mise en accusation de leur client et ont rejeté l'application de l'ordonnance 01/03 arguant que les bons de caisse ne représentent pas une fuite de capitaux car ils sont en monnaie locale et ne peuvent être utilisés à l'étranger. À 17 h, la présidente demande la levée de la séance pour 45 mn pour délibérer. Et les spéculations commencent alors sur fond d'inquiétude. Au retour, la juge prononce le verdict : deux ans de prison ferme, une amende de 20,4 millions de dinars. M. Benchicou est immédiatement arrêté, menotté et conduit dans une salle du tribunal… : “Pouvoir assassin”, “Justice de la honte”, “Justice de Zerhouni et de Bouteflika”, “Djazaïr Hourra Democratia” ou encore “C'est un jour de deuil”, s'indignaient les présents qui étaient loin de s'attendre à un tel verdict. M. B. Editeurs, SNJ et CSED réagissent Déclaration - Mohamed Benchicou, directeur de la publication du quotidien national Le Matin, est en prison depuis hier. Il a fait l'objet d'un mandat de dépôt décerné par le juge du tribunal d'El-Harrach, suite à un jugement le condamnant à deux ans de prison ferme. Cette décision traduit une instrumentalisation manifeste de la justice. Ghoul Hafnaoui, un autre journaliste en a fait les frais lorsqu'il a été condamné à deux mois d'emprisonnement ferme, le 9 juin dernier. Il a fait l'objet d'autres mandats de dépôt suite à une vingtaine de plaintes pour le maintenir indéfiniment en détention. Il s'agit là, à l'évidence, d'un processus d'étouffement des libertés fondamentales, deux mois à peine après la réélection de Abdelaziz Bouteflika. L'homme, qui se prévalait durant sa première mandature du fait de n'avoir jamais mis de journalistes en prison, entame son second mandat par une nouvelle série de procès sanctionnés par des emprisonnements. L'imposture se révèle dans toute sa dimension. La presse n'est certainement pas la seule profession en ligne de mire. Devant une telle dérive totalitaire, le Syndicat national des journalistes, le Conseil supérieur de l'éthique et de la déontologie et les éditeurs, réunis ce jour, lundi 14 juin 2004, à Alger : - Alertent l'opinion publique, nationale et internationale sur l'extrême gravité des atteintes aux libertés et droits fondamentaux en Algérie - Dénoncent l'instrumentalisation éhontée de la justice à travers les décisions d'emprisonnement de journalistes - Exigent la libération immédiate de Mohamed Benchicou et de Ghoul Hafnaoui - Appellent à une mobilisation de la corporation et de la société civile afin de soutenir les actions visant la libération des deux journalistes détenus. À cet effet, il est institué un comité national pour la libération immédiate de Mohamed Benchicou et de Ghoul Hafnaoui, ouvert à toutes les composantes de la société civile. Un rassemblement aura lieu, par ailleurs, mercredi 16 juin 2004 à la Maison de la presse, Tahar-Djaout, place du 1er-Mai et ce, à partir de 12h. Les signataires : Le Syndicat national des journalistes, Le Conseil supérieur de l'éthique et de la déontologie, El Watan, El-Fedjr, El-Khabar, Le Soir d'Algérie, Liberté, Le Matin, Akher Saâ, L'Est Républicain