Après avoir dignement lutté contre la maladie qui le rongeait, durant plus d'une année, Mohamed Seddik Mokhnachi, dit Lazhar, est décédé, hier, à l'âge de 55 ans, laissant derrière lui une belle carrière de 37 ans comme råporter-photographe. Il a été enterré au cimetière de Dély Ibrahim en présence d'une foule nombreuse. Ses amis, ses proches ont voulu, ici, lui rendre un dernier hommage. Le grand reporter-photographe, qui a fait les beaux jours d'El Moudjahid et d'Algérie Actualité avant de rejoindre Liberté en 1992, s'est éteint, hier, à l'âge de 55 ans, laissant la corporation orpheline d'un immense talent. Ca y est, c'est fait. Lazhar Mokhnachi a rejoint, hier, le panthéon des immortels, signant sa dernière photo, sa dernière image. Arrêt sur image. Arrêt cardiaque. Abasourdie, la rédac' est K.O. Knock out. Figée comme la mort qui vint hier l'emporter de bon matin comme elle avait fauché avant lui, il y a à peine un mois, notre autre collègue et ami Djemal Rabah. La série noire, ma foi… Lazhar. Six petites lettres tellement pénibles aujourd'hui à prononcer. À prononcer comme s'il n'était plus là. Pénible. Terrible. 55 ans. Tout juste 55 piges nom de Dieu ! La moitié d'une vie normale dans un pays normal. Pourtant, quelle vie, Lazhar. Quel CV ! Et quelle lourde tâche d'en parler (déjà) au passé ! Au passé décomposé de l'insupportable présent algérien et de ses inepties ordinaires. Censure, combat, prison, cachot, bagarres dans les rédactions, et à tout cet attirail de tenailles vient s'ajouter le cancer. Ne manquait plus que ça. Le cancer. Tropique du cancer. Même Henri Miller s'y perdrait. Nos stupides inepties ordinaires… Juin 2003. En déplacement en France, des médecins lui annonçaient l'irréparable. Un cancer du poumon qu'il couvait déjà depuis quelques mois. Eté pourri. Chimio, radiothérapie, séances atroces au CPMC. Un mouroir sans transition. Septembre 2003. Miracle : Lazhar reprend des couleurs. Il reprend même ses cheveux et nous espoir. Tenace comme un Chaoui qu'il est, taillé dans le “taghenant” des Aurès, il ressort son vieux Nikon du placard et en avant la galère ! Les collègues n'ont de cesse de lui réciter le chapelet de remontrances habituel à l'usage des grabataires. Son niet est catégorique : “Je mourrai, le boîtier à la main”, rétorquait-il sur un air de “Ali, mout ouaguef !” Les moustaches en croc, le regard vif, il se vantait avec une fierté mâtinée d'orgueil de n'avoir jamais besoin de plus d'un ou de deux clics pour happer l'image qu'il recherchait. Lazhar Mokhnachi, c'est un instinct féroce, quasi-animal, de la photo. À ce stade avancé de la maladie des clichés, des gens comme Lazhar Mokhnachi ont une telle familiarité avec les ombres et les lumières qu'ils n'ont point besoin de plus de deux ou trois manœuvres pour être fixés. Et quand ils n'ont pas “le truc qui…”, c'est la déprime, lot partagé par tous les passionnés. Un regard, une passion Et il l'était. Passionné jusqu'à la moelle. Jusqu'à la folie. Un vrai faucon à l'œil de lynx. Sa vraie maladie, c'était cela. Le reste, ce n'est que l'aboutissement du processus, lui qui shootait avec ses tripes. Lazhar faisait partie de cette génération de reporters-photographes qui avaient une vraie culture de la photo. Pour lui l'approche du sujet, si elle était “animale” au niveau de l'exécution, était d'abord intellectuelle et culturelle au niveau de la “construction” du regard. Oui. Lazhar Mokhnachi avait un regard structuré. Elaboré. Nourri à des étages de livres, de voyages et une connaissance intime du pays. Dans nos discussions savoureuses sur les routes où voulaient bien nous mener nos pérégrinations professionnelles, il aimait à répéter de qui il tenait son talent et son art. “Tu sais, moi, mes copains c'était Kateb Yacine, c'était Issiakhem, c'étaient les grands artistes dont j'ai collectionné les photos”, disait-il, émoustillé comme un ado. De fait, si on devait un jour dérouler sa photothèque, pour sûr qu'il y aurait de quoi remplir un musée. De quoi reconstituer toutes les archives du patrimoine iconique national. Lazhar Mokhnachi était un racé. Il fit les beaux jours des services photos d'El Moudjahid et d'Algérie Actualité, oui, d'Algérie Actualité de la grande époque. Celui des Tahar Djaout, Fatiha Akkeb, Mohammed Balhi, Ghania Mouffok, Méziane Ourad, Kamel Zemmouri, Abdelkrim Djaâd, Mouny Berrah, Malika Abdelaziz et autre Tewfik Hakem. Dans les camps de Sabra et Chatila Il se targuait volontiers, pour clouer le bec à quelque jeunot irrévérencieux, d'avoir été de tous les Grands Reportages de sa génération : dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila, au cœur du Beyrouth assiégé en 1982 par l'armée de Sharon, avec son ami de longue date Maâchou Blidi, ou encore au Sahara occidental, sur la Transsaharienne, ou dans un patelin perdu au Mali, avec Méziane Ourad. Sans citer la folle équipée du Mundial 82. Autre presse, autre génération : Lazhar fait sa mue avec bonheur aux côtés des trublions d'Octobre 1988, ces jeunes reporters forgés au fer de la “crise”, et qui feront leurs classes aux devants des maquis. Retour d'âge inouï : Lazhar devient un congénère. Avec sa vivacité, sa générosité, son humour, son humilité, ses répliques caustiques, il n'a aucune peine ni aucun inconvénient à faire équipe avec les apprentis-journalistes que nous sommes. La plupart de ses collègues ont l'âge de ses trois filles et c'est comme ses enfants qu'il les traitera. Comme ses enfants ? Non, mieux : comme ses pairs. Liberté lui doit ses “unes” les plus inspirées ; ces femmes, ces mômes et ces hommes qui font frémir car les photos de Lazhar parlent. Il aura été de tous les fronts de ce journalisme de la “décennie rouge” dans sa guerre contre le terrorisme. Après l'époque des photos-choc, il se surpassera en excellant dans le reportage, genre-roi à Liberté. Il s'en adonnera à volonté, à cœur joie, courant les quatre coins du pays sans jamais faillir. Sans jamais démériter. Ses portraits alimenteront des expos itinérantes en France qui en émouvront plus d'un. Nous le disions plus haut : Lazhar était “condamné” depuis voilà une année. La sentence des médecins ne le fera pas abdiquer. Très vite, il reprend du service avec ce sens hautement épique qu'il avait du métier. Bientôt, il assistera de nouveau aux conférences de rédaction et drive les jeunes photographes qu'il a sous sa coupe. Un jour, il décide carrément de partir en vadrouille. Ça lui manquait. Il en rageait. Avec sa coéquipière Samia Lokmane qu'il affectionnait comme sa fille et qu'il se plaisait à taquiner (“erroumia par-ci, erroumia par-là”), il signe un dernier grand reportage, à Adrar et Timimoun, consacré aux inondations qui s'étaient abattues sur l'Oasis rouge. Last but not least. En pleine campagne électorale, il prend sur lui de couvrir l'événement au même titre que ses confrères. Il devait se déplacer à Boumerdès le 8 avril 2004, pour assurer la couverture du scrutin dans cette ville. Manque de pot : la veille, il se fait renverser par un chauffard et son omoplate droit en prend un coup. À la surprise générale, le lendemain, il se pointe à la première heure comme un guerrier, son omoplate langé dans des bandages, et il va au charbon le sourire large comme ça. Le soir, comme à son habitude, il exhibe sa moisson du jour en s'exclamant l'air de rien : “J'ai travaillé avec un seul bras”, avant de lancer de sa voix chaude et enjouée : “Yakhi maliche Benfodil ?” Lazhar Mokhnachi luttera jusqu'au bout contre la maladie qui le rongeait. Avec courage et dignité. Au terme d'une année de “sursis”, son étoile s'est éteinte. Mais ses archives sont là. Les hommes passent ; les “images” restent. Les éclats de lumière que tu as happés, Lazhar, ont un goût d'éternité. Mustapha Benfodil Adieu l'ami Il est parti l'ami, le frère, il est depuis hier, dans les Cieux, dans le royaume de Dieu. Que Dieu le Tout-Puissant l'accueille en Son Vaste Paradis. Lazhar Mokhnachi, ce reporter-photographe, qui respirait les images et vivait d'instantanés, a marqué avec d'autres collègues l'histoire de la photographie de presse. Professionnel jusqu'au bout des ongles, Lazhar avait sillonné le pays et couvert tous les grands évènements qu'a connus l'Algérie. Intransigeant, quand il s'agissait de travail, Lazhar en était aussi un personnage plein d'humour et d'histoires glanées au fil de ses reportages. C'est dire que sa compagnie, sa présence étaient recherchées par ses amis qui se régalaient à l'écouter leur raconter les “à côté du métier”. En 35 ans de métier, dont 12 à Liberté, il aura été celui qui a le plus alimenté en quantité et en qualité la photothèque et dont de très nombreuses prises de vue ont fait la Une de Liberté. Il aura été celui qui a formé des générations de photographes. À Liberté, Lazhar Mokhnachi a donné le meilleur de lui-même et jusqu'aux derniers jours de sa vie. Qu'il repose en paix, nous continuerons à l'aimer. Il restera dans nos mémoires. Ali Ouafek Lazhar est parti, y a plus photo Il est parti sans faire de bruit, comme à son habitude, quand il disparaissait pour revenir avec une photo qui faisait le plus souvent la une. Il est parti, au moment même où il ne voulait pas partir en retraite, après 37 ans dans la profession, quand la majorité des photographes, aujourd'hui, n'a pas encore cet âge. Cet âge, celui des quinqua, car Lazhar n'allait boucler ses 55 ans que dans 11 jours. Il était né le 1er juillet 1949. Il était, et voilà cette conjugaison au passé qui revient : Mais non. Lazhar est né et il restera toujours au présent dans nos mémoires. Lazhar qui nous accompagnait dans nos premières couvertures à la salle El-Mouggar ou à l'Atlas dans les années 70-80. Je l'ai retrouvé, après des années, à Liberté qu'il a rejoint depuis sa création. Que de moments passés ensemble nous rappelant une certaine époque où nous étions jeunes et heureux. Il a toujours accepté toutes les missions, même les plus dangereuses dans ces années noires du terrorisme. Toujours le premier à être sur les lieux des drames et des massacres. Mais Lazhar est, aussi et surtout, ce poète de la photo qui savait parler avec son objectif pour fixer l'instant instantané. Il connaît comme pas un toute l'Algérie profonde, village par village, commune par commune. À El Moudjahid, il a été mon guide. À Liberté, je n'étais pas son directeur mais son frère. Repose en paix, Lazhar. Tu as vécu comme un seigneur dans ta profession, et tes filles, que tu n'as pas vu grandir, peuvent être fières de leur père. Après toi, y a plus photo. Abrous Outoudert