Les Américains, embourbés jusqu'au cou dans le chaos qui s'est emparé du pays du Tigre et de l'Euphrate, semblent avoir hâte de se débarrasser d'un feu qu'ils ont eux-mêmes allumé. Moins de seize mois après l'invasion de l'Irak par la coalition américano-britannique, et quatorze mois après sa prise de fonction en tant qu'administrateur civil de l'Irak, l'Américain Paul Bremer rentre précipitamment chez lui. Dans une annonce surprise hier, deux jours avant la date prévue, la coalition a formellement transféré le pouvoir au gouvernement irakien intérimaire. Les Irakiens n'ont appris l'événement historique qu'après la fin de la cérémonie au cours de laquelle le désormais ex-administrateur américain a remis la souveraineté au gouvernement d'Iyad Allaoui. Aussi, l'Autorité provisoire de la coalition (CPA) a été dissoute avec le transfert des pouvoirs. Elle avait été créée le 16 mai 2003 par le premier décret pris par M. Bremer à son arrivée en Irak, où il avait remplacé le général de réserve, Jay Garner, qui n'était resté en poste que quelques semaines. M. Allaoui a annoncé que son gouvernement allait prendre une série de mesures d'urgence pour tenter de rétablir la sécurité. “La responsabilité de la sécurité est désormais entre nos mains”, a-t-il affirmé. Cette insistance du Premier ministre irakien sur le problème de la sécurité dans le pays et le fait qu'il en fait une priorité illustre aisément la situation de chaos qui règne en Irak après l'éclatement de l'Etat central. Les Américains, embourbés jusqu'au cou dans le chaos qui s'est emparé du pays du Tigre et de l'Euphrate, semblent avoir hâte de se débarrasser d'un feu qu'ils ont eux-mêmes allumé et avec lequel ils ont joué, au point de se brûler, n'accordant point d'importance et de considération aux mises en garde de l'opinion internationale. Cette accélération des évènements démontre si besoin est l'échec total de la politique unilatérale de George W. Bush qui s'est permis le luxe de passer outre les Nations unies pour envahir l'Irak. Aujourd'hui, le prix payé par les Américains et leurs alliés dans cette campagne, est énorme. Mais, l'échec est surtout diplomatique. Baptisée “Liberté de l'Irak”, l'invasion de ce pays devait permettre, du moins officiellement, d'annihiler la menace des armes chimiques et bactériologiques prétendument fabriquées par Saddam, de renverser la dictature conduite d'une main de fer par ce dernier et de contribuer à ouvrir la voie à l'instauration d'un système démocratique dans le pays. C'est d'ailleurs pour ces raisons que beaucoup d'Irakiens étaient descendus dans la rue accueillir les troupes américano-britanniques et crier leur joie de la délivrance. Mais, la majeure partie d'entre eux a vite déchanté, déçue peut-être par le prolongement dans le temps de la présence américaine sur le sol irakien. Une présence d'ailleurs interprétée comme une colonisation. Néanmoins, c'était sans compter sur les capacités de résistance d'importantes franges du peuple irakien qui ont très vite compris que l'objectif de l'invasion était autre que celui défendu officiellement par les Américains et leurs alliés. Les énormes potentialités pétrolifères irakiennes étaient devenues objet de vives convoitises. Et cela, les Irakiens n'ont pas tardé à le comprendre. C'est ainsi que la résistance à la présence des troupes de la coalition s'est développée et même violemment sur une bonne partie du territoire irakien, au grand dam des Américains et de leurs alliés qui pensaient avoir définitivement convaincu le peuple irakien de leurs louables intentions. Attaques des convois et troupes alliés, véhicules piégés, assassinats de personnalités impliquées dans le gouvernement provisoire, bombes dans les mosquées…, la multiplication des attentats en tout genre à travers différentes régions de l'Irak, est venue à point nommé rappeler aux Américains la douloureuse campagne du Vietnam. Le redéploiement dans ce pays des activistes du groupe Tawhid wal Jihad (Unification et guerre sainte) lié à Al-Qaïda et dirigés par le Jordanien Abou Moussab Zarqaoui, est un élément qui a contribué à accentuer le chaos dans lequel a sombré ce pays. Ce groupe a revendiqué la vague d'attaques dans les bastions sunnites de la guérilla au Nord et à l'Ouest de Bagdad, qui ont fait des centaines de morts en quelques jours seulement. Zarqaoui est d'ailleurs devenu le suspect numéro un des Américains dans les attentats qui secouent actuellement l'Irak. Le fiasco est donc entier pour George W. Bush qui, en mars 2003, présentait l'invasion de l'Irak comme une nécessité. Mais, force est de constater que cette prétendue guerre déclenchée contre le terrorisme international n'a fait que renforcer, comme l'avait prévu, un certain nombre de spécialistes avant l'envahissement de l'Irak, ce phénomène. H. S.