Le premier secrétaire du FFS a réussi son meeting sans la moindre fausse note, mais devant une assistance étriquée. Grosse inquiétude chez les militants FFS de Béjaïa à cause du meeting de jeudi. Test grandeur nature d'autant plus redouté que l'avant-veille d'autres sièges ont encore flambé. L'affichage au niveau des grandes rues de la ville est systématiquement arraché aussi. Place à des “tags” peu amènes dénonçant la “trahison” du sang des martyrs du Printemps noir. Jeudi matin, re-affichage. Le portrait du vieux leader est sur le mur d'enceinte du stade Allouache. Manière de quémander sa baraka en ces moments de doute… Un seul sentiment domine les esprits avant le début du meeting : l'interrogation doublée d'une peur. De quoi sera fait ce jour ? “Je souhaite que ce meeting se déroule bien. La démocratie est que chacun puisse s'exprimer pacifiquement”, espère aâmi Rabah, candidat du FFS à Ouzellaguène. Entre-temps, un groupe de aârchistes arrive. Ils font le va-et-vient entre le grand portail du stade et la porte d'accès aux tribunes. La police, rameutée en grands renforts, observe leur manège tout en les tenant bien à l'œil. “C'est un meeting populaire ou une démonstration policière de la police”, se plaint Rezgui Rabah, un délégué qui se dit “opposé aux jets de pierres”. Le souvenir de ce qui s'est passé à Akbou est toujours dans les esprits. Entre-temps, les militants affluent timidement au stade. Au niveau du portail conduisant à la tribune, le contrôle est tatillon. En attendant le commencement du meeting, Matoub Lounès chante à pleins décibels. À 11h45, l'assistance est évaluée entre 1 500 et 2 000 personnes déployées sur l'aire de jeu. Estimation généreuse. “Nous sommes loin du 30 mai dernier où le stade était plein comme un œuf”, commente un jeune homme, comme pour mettre en relief la désaffection des Béjaouis pour le FFS, après sa décision d'aller aux élections. On arrête net la musique. Djamal Attal, fédéral du parti, agrippe le micro entre ses deux mains et lance un “azzul felawen” bien appuyé. Un youyou perçant fuse de la tribune. Aussitôt il met le turbo pour dire que son parti était le premier à réagir à la mort de Guermah Massinissa. Il enchaîne ensuite sur le registre des généraux, bien cher au FFS. “Le FFS revendique le départ des généraux. Le FFS n'a pas appelé l'armée pour arrêter les élections de 1991”. Applaudissements dans l'assistance. Libéré après cette réaction, l'orateur invite le public à revisiter l'itinéraire de son parti. “Le FFS est créé par des officiers de l'ALN, qui ont combattu la France. Hocine Aït Ahmed se porte bien et il se portera bien jusqu'au départ des généraux.” À l'évocation du nom de Hocine Aït Ahmed, un groupe de jeunes entonne le vieux refrain “ruh a mi ruh…”. L'orateur déclare que son parti est favorable à un débat d'idées et récuse “draâ”, car cela “c'est du fascisme”. Applaudissements timides. Djamal Attal achève ainsi son intervention, tout heureux d'avoir réussi son oral. Il invite Ahmed Djeddaï à prendre la parole. Un peu comédien, ce dernier affiche une mine grave ponctuée d'un moment de silence. Puis il lance : “Dites-le avec des fleurs” en brandissant un bouquet de roses en direction de l'assistance qui lui fait une standing-ovation. Il demande une minute de silence “à la mémoire de la démocratie”. Tout le monde s'exécute dans un même élan de communion. Soulagé par la réaction du public, qui est au diapason, il attaque d'emblée sur la relation entre le pouvoir et le FFS, histoire de remettre les pendules à l'heure. “Le FFS n'a pas de fils partout, il a des racines populaires”. Et de se lancer ensuite dans une longue digression où il évoque les 430 martyrs de 1963 et les 13 ans de clandestinité. “Malgré toutes ces manipulations et ces intimidations, nous sommes toujours debout”, clame-t-il en mettant de la passion dans le propos. Ahmed Djeddaï en arrive aux archs qu'il égratigne mais sans jamais les citer. “Je vous lance une invitation, un défi pour un débat public. Si vous pouvez me convaincre du bien-fondé du boycott, je suis prêt à annoncer aujoud'hui même le retrait de notre parti.” Cette annonce qui s'apparente à une fanfaronnade n'est pas du goût d'un aârchiste qui ne se retient pas d'exprimer bruyamment son avis. “De qui se moque-t-il ? Tout le monde sait que la décision appartient à Hocine Aït Ahmed”, ironise-t-il. Ahmed Djeddaï revient sur le pourquoi du comment de la participation. “Nous savons, dit-il, elle dérange le pouvoir et ses relais dans la région.” L'occasion pour l'orateur de donner son point de vue sur les incendies qui ont ciblé des sièges du parti en Kabylie. “C'est une machination diabolique qui a été mise en branle. Les auteurs de ces actes sont des jeunes manipulés, que leurs commanditaires aient le courage de s'afficher publiquement”, se révolte-t-il en déplorant ce qui est arrivé aux trois jeunes de Chemini brûlés grièvement au moment de mettre le feu au siège du FFS dans cette localité. “Ces provocations ne nous feront pas peur. Nous sommes décidés d'aller aux élections pour ne pas laisser les mairies au FLN et au RND”. Visiblement soulagé par la réaction du public, le premier secrétaire du FFS prend le temps de vider son sac. Il tiendra ainsi le crachoir pendant une heure avant de finir sa harangue sous les cris de “yella l'vot yella” scandés par l'assistance. Enfin, Djeddaï invite les Béjaouis à voter “massivement le 10 octobre pour faire barrage aux prédateurs”. Son appel sera-t-il entendu ? Cette date se profile à l'horizon comme une épaisse interrogation sur le fronton de la Kabylie qui s'apprête encore à vivre une nouvelle épreuve.