Il est à craindre que le fameux projet de la nouvelle Constitution ne scelle définitivement l'espoir démocratique de l'Algérie. Du haut de la tribune des Tagarins, Abdelaziz Bouteflika louera à l'envi les mérites et les sacrifices des hommes en vert. Ceux-là mêmes que les observateurs désignaient, il n'y a pas si longtemps, comme étant ceux qui allaient lui barrer la route pour un second mandat. Il est vrai que la mine du président n'était pas particulièrement joviale devant le général Lamari qui l'accueillait dans la cour du MDN. Ceux qui connaissent le caractère de l'homme ne sont, du reste, pas surpris de le voir aussi renfrogné, lui qui aime arborer un look de chef incontesté devant les subalternes fussent-ils des généraux-majors décideurs. Le plus important étant qu'il se sente dans la peau d'un vrai président de la République pas celui “d'un trois quarts” qu'il rejette par-dessus tout. C'est que Bouteflika n'aime visiblement pas partager. N'a-t-il pas demandé en 1999 un score de plus de 70% faute de quoi il allait “rentrer chez lui” ? À présent, il semble être suffisamment armé pour diriger le pays comme il l'entend sans en référer à personne. Avec ses 85% de suffrage qu'il peut exhiber comme un trophée de guerre, Abdelaziz Bouteflika est désormais en roue libre pour concrétiser les projets qui lui tiennent à cœur sans qu'il ne risque une voix discordante à l'heure de la concorde tous azimuts. Dans sa mise au point aux Tagarins, il a mis sciemment en relief son statut de premier responsable du pays. C'est-à-dire que même les militaires doivent exécuter ses ordres comme dans les démocraties avancées. Le président tenait tout particulièrement à faire entendre ce message sans s'encombrer de formules sibyllines : “… l'armée doit se consacrer entièrement à l'exercice de ses missions, sous l'autorité et la responsabilité du président de la République, chef suprême des armées, responsable de la défense nationale”. Clair, net et précis pour ceux qui veulent décoder la pensée et la portée d'un discours — balise conçue comme une ligne de conduite que Bouteflika va désormais suivre. Parfaitement libéré des pesanteurs liées à sa mauvaise élection en 1999 et ayant subi avec un succès retentissant la terrible épreuve du 8 avril, le président de la République a maintenant les coudées franches et le pouvoir — en entier — lui permettant de régner comme il veut. À commencer par le vieux rêve d'une nouvelle Constitution à l'allure d'un vrai sésame qui ouvre bien des portes. Toutes les portes du pouvoir. Le projet, qui tirerait son essence du principe de la réconciliation nationale, serait fin prêt au niveau de la présidence. Ce projet suscite une crainte inversement proportionnelle à la volonté du chef de l'Etat de le concrétiser. Le courant progressiste de la société redoute à juste titre que la Constitution version Bouteflika ne ferme tous les espaces de liberté chèrement acquis comme celles de la presse et de l'expression. Il en est de même pour les acteurs politiques qui craignent de se retrouver en position de hors-jeu, à la faveur d'une révision de la carte politique nationale. En l'occurrence, Bouteflika n'a jamais caché son admiration pour les systèmes américain et britannique dominés par deux principaux partis forts. Et dans ce cas de figure, la future configuration politique de l'Algérie risque de ressembler fort à celle de la Tunisie où l'opposition n'est qu'une façade à l'intérieur du régime. Il y a également risque de “formatage” du paysage médiatique de telle sorte à ne faire entendre que ce que voudrait le maître. Et en l'absence de ses voies de recours, le pays risque de sombrer dans un unanimisme béat qui ferait produire une régression stérile qui ne servira ni la démocratie ni l'Etat de droit. En tout état de cause, le harcèlement que connaissent les médias, ces derniers jours, n'augure rien de bon sinon une tentation autoritaire de régenter une société qui n'en finit pas de comptabiliser ses frustrations. Un Etat fort, c'est bien, un Etat de droit, c'est mieux… H. M.