Il aurait eu 37 ans aujourd'hui. Titulaire d'un magistère de l'Ecole nationale polytechnique d'El-Harrach, il était doctorant dans la prestigieuse école où il assurait également des cours. Malheureusement, la suite des événements mettra un terme à sa fulgurante carrière. Tout a commencé lorsque la gendarmerie de Bouzaréah l'avait embarqué de chez lui, à El-Biar, un certain 7 mars 1996 pour insoumission. Il est conduit immédiatement vers Blida où il rejoint quelque 2 000 autres conscrits. Le 14 mars, il s'envole vers Béchar par vol militaire, et de là, il est conduit vers la caserne de Erg Farradj, près de Abadla. Il sera incorporé sous le numéro d'immatriculation 8716106576. “Il était pourtant titulaire d'un sursis en règle. Il venait même de bénéficier d'une bourse pour partir en France”, précise son père. En tout et pour tout, sa famille ne recevra de lui que trois lettres, que Mustapha Saâdoun a précieusement conservées. La première était datée du 25 mars 1996, la seconde du 3 avril et la dernière du 4 mai 1996. Depuis, silence-radio à ce jour. En avril 1997, Mustapha Saâdoun reçoit le talon d'un mandat expédié par le vaguemestre de la caserne de Erg Farradj, d'un montant de 708 DA. “C'était probablement la solde de mon fils et le vaguemestre n'avait pas su quoi en faire”, dit le père, affligé. Devant ce long silence, la famille a entrepris d'interminables et épuisantes démarches pour tenter de trouver réponse à ce mystère. Peine perdue. “Nous avons écrit partout. Nous avons dépêché des émissaires sur place, en vain. À la caserne, on niait tout bonnement son existence. Ma femme est allée voir un haut responsable du commandement des forces terrestres, à Aïn Naâdja. Quelques jours plus tard, il a appelé pour nous dire : “Ce nom n'existe pas chez nous”. Si c'était des terroristes qui l'avaient enlevé, cela s'expliquerait. Mais qu'il disparaisse au beau milieu d'une caserne militaire, voilà qui est inconcevable !” peste le père. Une liasse de documents atteste d'un abondant courrier envoyé à divers organismes et institutions, organisations des droits de l'Homme en tête. Dans une réponse laconique de l'ONDH, datée du 9 mars 1998, soit deux ans après la requête envoyée par la famille Saâdoun, et qui était datée du 21 août 1996, Rezzag Bara se contente de confirmer que Djamel Saâdoun avait bel et bien été conduit à la caserne de transport de Blida. À une correspondance datée du 23 janvier 2002, la Commission consultative nationale pour la protection et la promotion des droits de l'Homme écrit à la famille Saâdoun le 2 juillet 2002 et fournit enfin un début d'explication à tout ce mystère : “Votre fils a été appréhendé par les services de sécurité pour implication dans des activités subversives”. Fin de citation. Le père de Djamel est hors de lui : “Même à supposer qu'il ait été militant du FIS, qu'on nous dise qu'il a été arrêté. Qu'on nous dise qu'il se trouve dans tel ou tel endroit. Mais qu'on nous laisse sans nouvelles de lui, voilà qui est inacceptable ! Tout ce qu'on trouve à nous dire, c'est : l'Etat est responsable mais il n'est pas coupable.” Mustapha Saâdoun est inconsolable. Il n'écarte pas la possibilité qu'il ait pu y avoir un lien entre l'enlèvement de son fils et les exactions qu'il a lui-même subies de la part de ses frères ennemis. “Des avocats parlent aujourd'hui du “statut” du disparu mais personne ne met l'accent sur les auteurs de ces disparitions, comme si ces disparus s'étaient volatilisés de leur plein gré. Comme si ce qui leur est arrivé était leur faute”. Faisant le rapprochement avec le sort connu par le célèbre opposant marocain Mahdi Ben Barka, il part de cette terrible réflexion : “Des hommes de l'ombre ont fait fondre Ben Barka avec de l'acide sulfurique pour faire disparaître son corps. On connaît le terrible sort des prisonniers de Tazmamart au Maroc. Nous ne sommes pas mieux lotis. Qui me dit que mon fils n'a pas subi le même sort ? Tous les régimes arabes se valent. Barbus ou gouvernants, ils sont tous aussi blâmables !” Les lettres de Djamel Saâdoun prouvent, si besoin est, qu'il est bel et bien passé par la caserne de Erg Farradj. Son sort a donc été formellement confié à l'armée algérienne. Dans un état de droit, la famille Saâdoun aurait été en mesure d'engager une action judiciaire contre l'ANP pour faire punir les responsables de cette bavure. “Déposer plainte contre l'armée ? Mais ils vont te broyer !” lâche Mustapha Saâdoun en partant d'un rire sardonique. Djamel Saâdoun devait se marier l'année de sa disparition. Sa chambre à coucher est toujours sous emballage… M. B.