À Relizane, un cortège nuptial a provoqué un accident au bilan de guerre : treize morts et dix blessés ! Ce genre de désastre est plus courant qu'on ne le conçoit. Mais les dégâts étant généralement moins cruels, l'écho de ces tragédies quotidiennes ne parvient pas jusqu'à l'opinion. Inutile donc de se fier aux éventuelles véhémences officielles de circonstance. Ce genre de drame était parfaitement prévisible. Il suffit d'observer n'importe quelle voie, rurale ou urbaine, pour constater l'irrespect de toute règle de sécurité et de civisme auquelle ce genre de défilé donne lieu. Le drame renvoie à cette démarche démissionnaire d'un Etat qui tolère tous les désordres qui ne sentent pas la contestation politique. Toutes les démonstrations sont permises à partir du moment où il n'est détecté quelque slogan revendicateur. L'autorité ne se soucie guère des risques encourus par les citoyens, pour peu que leur incivisme ne signifie pas quelque insoumission politique mais juste un besoin d'extériorisation des multiples insatisfactions populaires. S'il s'agit seulement de s'infliger de réciproques désagréments par le bruit, de se gêner l'un l'autre sur la voie publique ou de se mettre mutuellement en danger, en quoi l'Etat serait-il dérangé ? Dans les régimes autoritaires, l'ordre public n'est défendu que si le possible désordre menace l'ordre politique. La police y fait plus de politique que le citoyen commun et sait discerner entre l'agitation politique et l'excitation psychologique. À cette désinvolture officielle devant les débordements apolitiques qui envahissent la voie publique répond la soif d'indiscipline qui tient des Algériens interdits de point de vue mais libres de cabrioler et de s'égosiller. Les expressions les plus originales s'engouffrent alors dans les occasions de défilé automobile. Les frustrations les plus élémentaires s'extériorisent, par décibels musicaux, à travers les vitres baissées des voitures d'adolescents roulant carrosse ; des bandes improvisent leurs interminables parades mécanisées au moindre exploit sportif de quartier et les mariages sont devenus des opportunités de démonstrations motorisées de clans en mal d'ostentation. La surenchère dans la jubilation et la cascade fait que, souvent, l'attelage se débride et la cavalcade tourne à la catastrophe. Des convois en double file ont été inventés ; des courses-poursuites entre les véhicules qui composent le cortège s'organisent ; les barrages de voies par obstruction sont imposés aux autres automobilistes, etc. Tout cela sous le regard indifférent d'agents de l'ordre probablement convaincus qu'il s'agit là de la marque naturelle et vénérable d'expression coutumière. L'indifférence politique devant la criminelle anarchie des exultations routières, traduite par le laisser-aller des responsables de la circulation est à la base de cette étrange évolution : les cortèges nuptiaux — au demeurant interdits dans tous les pays qui prennent les problèmes de délinquance routière au sérieux —, constituent désormais un fléau national. M. H.