Soleil écrasant. Mer scintillante. Un cercueil drapé de l'emblème national flottant au-dessus de la foule nombreuse. C'est hier au cimetière de Baïnem, qui trône sur la côte ouest d'Alger, qu'a été enterré Yahia Benmabrouk, alias l'Apprenti, décédé avant-hier, à l'âge de 76 ans, au CHU de Bab El-Oued. Le comédien Abou Djamel, appuyé sur une béquille, s'effondre dans les bras d'un ami, pleurant à chaudes larmes un ancien compère avec qui il avait autrefois écumé les scènes. Il venait d'apprendre la nouvelle depuis sa salle de soins à l'hôpital Mustapha-Bacha. “J'ai connu Yahia en 1946. Nous étions dans les scouts ensemble”, dit-il, la voix enrouée. Un “officiel”, Hamraoui Habib Chawki, directeur de l'Unique, arpente la pente du cimetière en solitaire, grosses lunettes noires plaquées sur le visage. Vite, un cercle d'artistes se forme autour de lui, où s'échangent des embrassades de circonstance. L'acteur Sid-Ali Kouiret, Ben Youcef, les frères cinéastes, Ghouti et Djamel Bendeddouche, Mohamed et Saïd Hilmi, sont disséminés dans une foule de fans et d'amis de Yahia Benmabrouk. Des curieux s'amassent, par grappes successives, autour de cette débauche de visages familiers. Abou Djamel, qui a joué aux côtés de l'Apprenti dans l'un de ses derniers films Clandestin, retrouve peu à peu ses esprits. L'Apprenti : difficile de prononcer ce sobriquet sans évoquer feu l'Inspecteur Tahar, Hadj Abderrahmane dans la vie. L'acteur avec qui il formait l'un des plus célèbres tandems, du petit et du grand écran algérien, dans des parodies de polars loufoques. “La mort de son compagnon, Tahar, en 1978 – où en 79 — a complètement brisé Yahia”, Allah yarrahmou”, témoigne Abou Djamel. Il y a eu, en effet, la mort du grand ami Tahar. Mais, il y a eu ensuite la maladie et l'indifférence. Souffrant d'une hémiplégie qui l'a définitivement cloué dans un fauteuil roulant, Yahia Benmabrouk a passé ses dernières années en voyages incessants entre sa demeure de la Vigie (commune des Deux-Moulins), l'hôpital Maillot de Bab El-Oued et l'Ecosse, après une prise en charge difficilement arrachée. Amar Laâydouni, du Syndicat national des artistes à peine naissant, espère que cette triste occasion sera un “signal de départ pour la création d'un dispositif de sécurité sociale au profit de l'artiste”. D. B.