Le comédien Yahia Benmabrouk alias « L'Apprenti » a rejoint son inséparable collègue et alter ego Hadj Abderrahmane, son supérieur, L'Inspecteur Tahar, disparu prématurément, avec lequel il avait formé le duo mythique du cinéma algérien. Yahia Benmabrouk a été inhumé, hier, au cimetière de Hammamet (Baïnem), à Alger. Juste avant, la matinée, sa dépouille mortelle a été déposée au palais de la culture Moufdi Zakaria, monument de la reconnaissance officielle, pour un ultime adieu. Une gerbe de fleurs au nom du ministère de la Culture et un emblème national drapaient le cercueil. « C'était un être bon qui ne se laissait jamais prendre par la colère », nous confiera Larbi Zekkal, comédien et compagnon de longue date. Il prononcera une évocation sobre de celui qui a gravé dans l'imaginaire cinématographique algérien le personnage de L'Apprenti. La ministre de la Culture, Khalida Toumi, affectée par cette triste circonstance, a affirmé l'intention de son département « de continuer à rendre hommage aux artistes avant leur disparition... même si le ministère ne pourra jamais leur retourner tout le bienfait qu'ils ont fait ». CRUELLE PERTE De là, le cortège funèbre mené par une Nissan de la police longera le front de mer depuis les Sablettes jusqu'à la mosquée Omar Ibn El Khatab. Ainsi, dans l'embouteillage, coincé entre deux bus et un semi-remorque. Entre des automobilistes en ébullition et de paisibles pêcheurs à la ligne. El Hadj Yahia s'en allait vers l'Au-Delà. A quelques mètres de chez lui, dans le quartier La Vigie, c'est comme ça qu'on l'appelait. On le savait malade. Sa maison, une bâtisse aux volets bleus, plonge dans une mer traversée par un vent Ouest. A travers les fenêtres ouvertes, le ciel ne trouve pas de toit. La foule, massée durant la prière de l'absent, attise la curiosité des automobilistes. Un policier chargé de fluidifier la solide procession d'engins motorisés fulmine : « Ils ne sont pas au courant. C'est normal, rentrés chez eux, ils se branchent directement sur TF1. » Le DG de l'ENTV devrait-il s'inquiéter pour autant ? Un dénommé aâmi Aïssa apostrophe les journalistes : « Regardez, ils lui ont laissé sa maison en ruine. » « Ça fait un an et demi qu'elle est ainsi », ajoute un proche pour qui la fin des travaux sur cette maison est une affaire de vie ou de survie. ÉMOUVANTES OBSÈQUES Au cimetière de Hammamet, dernière demeure de Hadj Yahia, la foule est impressionnante. Plus que le Syndicat national des artistes en gestation, ce genre d'évènement est le plus apte à rassembler une communauté d'artistes finissants, une espèce en voie de disparition, à défaut de nouveaux employeurs. Hadj Yahia repose devant un spectacle qui l'a habité durant sa vie. Celui de la mer. « J'aimerais être conduit au cimetière en calèche et avec la zornadjia », souhaitait-il. Les dernières volontés d'un artiste sont d'une telle exubérance. Un rêve pas exaucé. Un véhicule utilitaire a transporté la dépouille mortelle au milieu des gaz d'échappement, sur une autoroute en compression, suivi d'un cortège... en feux de détresse.