L'opération a été menée dans la précipitation : des quantités au compte-gouttes, de graves anomalies dans le circuit de distribution, des bouchers qui ne jouent pas le jeu et des spéculateurs, rois du marché. Dix jours avant la fin du mois de ramadhan, les étals des marchés d'Alger-Centre demeurent dépourvus de viande fraîche importée. Hormis quelques rares points de vente qui disposent de quelques quantités, le produit tant attendu se fait apparemment désirer. Annoncée en grande pompe à la veille du mois sacré, la viande qui devait venir de France, d'Irlande et d'Allemagne boude toujours les boucheries. Quelque centaines de tonnes depuis le lancement de l'opération contre des besoins globaux d'environ 1 000 tonnes/jour. Ce sont peut-être ces mêmes bouchers qui la boudent. Une chose est certaine, la promesse faite par les autorités, faut-il le souligner, n'est jusque-là pas tenue. La preuve jaillit de la réalité criante des marchés. Celui de Clauzel ne déroge pas à cette règle. Sur la dizaine de boucheries que compte cet espace commercial, une seule affiche une pancarte portant la mention “Viande d'importation”. La viande fraîche importée à des prix excessifs Cette boucherie du marché Clauzel propose la viande fraîche importée à 650 DA le kilogramme avec os. Le steak est affiché à 750 DA. Quelques personnes certainement curieuses prennent d'assaut cette boucherie. Elles interrogent le vendeur sur les prix de la marchandise, notamment la viande fraîche importée exposée. Une fois leur curiosité satisfaite, ces clients potentiels demandent les tarifs de la viande locale dans le but de comparer les deux produits. “Elle est à combien cette viande venue d'ailleurs ?” s'interroge un homme d'un certain âge qui ne fait que passer devant le boucher en question. “À 650 DA le kilo avec os et à 750 sans os”, lui répond-on. “Elle reste encore plus chère”, commente-t-il, dépité. “Et les Algériens continuent à l'acheter en dépit du risque de maladie de la vache folle”, ajoutera-t-il. Les clients qui se rapprochent de ce boucher ne préfèrent que la locale. D'ailleurs, toutes les commandes passées ne concernent que cette viande. Par ailleurs, les autres boucheries jettent leur dévolu sur la viande locale car, estiment-ils, son origine est sûre et elle est la plus demandée par la clientèle. L'autre raison invoquée par ces marchands est essentiellement liée à la différence des prix entre les deux viandes qu'ils ne jugent pas grande. L'un d'eux cède, en effet, la locale à 480 DA/kg (poitrine) et à 680 DA/kg le faux filet. En parlant de son confrère qui vend la viande fraîche, il dira qu'il l'a achetée en deuxième main. Ainsi, ni viande fraîche introduite d'Europe ni baisse des prix ne sont au rendez-vous, du moins pour le moment, au niveau de cette surface commerciale d'Alger. Au marché Ferhat-Boussaâd de Meissonier, point de viande fraîche importée. Celle en vogue demeure la congelée qui continue de séduire bon nombre de consommateurs. Son prix joue certainement en sa faveur. Elle est cédée entre 360 DA/kg et 400 DA/kg. Dans ce marché, nous avons constaté que la viande hachée vendue aux clients est non seulement préparée à l'avance mais exposée. Les commerçants la vendent sans tenir compte des règles d'hygiène consacrées en la matière. Une source sûre au ministère de l'Agriculture se réjouit, elle, de l'implication de nouveaux importateurs dans cette opération. Notre source annonce également d'autres arrivages pour cette semaine, notamment ceux d'Allemagne. “Il n'a jamais été question de régler le problème de viande en l'espace de deux à trois semaines. Car, il ne faut pas oublier que notre marché était fermé pendant huit années à ce type de marchandise. Il faut laisser le temps aux importateurs de reprendre contact avec non seulement leurs fournisseurs, mais aussi avec leur clientèle que sont les bouchers”, expliquera la même source. Pour que cette viande fraîche importée puisse atteindre les petites villes à l'instar de la viande congelée, soulignera un responsable au ministère, il faut qu'il y ait une forte demande et une offre suffisante. “Nous avons attendu sept mois pour que la viande congelée soit disponible dans les petites localités. Nous sommes restés une année pour réussir à convaincre le citoyen à consommer cette viande importée d'Argentine, du Brésil et d'Uruguay pour le bovin, et de la Nouvelle-Zélande et d'Australie pour l'ovin. Que les consommateurs soient rassurés, l'abattage des bêtes se fait suivant la méthode hallal”, affirmera-t-il. Interrogé concrètement sur ce manque flagrant de la viande fraîche importée, il dira : “Ce n'est pas l'Etat qui importe, mais ce sont des opérateurs économiques autorisés qui assurent cette mission.” Ses meilleurs arguments résident, avouera-t-il, dans le tassement des prix qui avoisinent les 500 DA chez les bouchers. Cependant, reconnaît-il, les prix intérieurs sont toujours élevés car il y a trop d'intermédiaires, et les bouchers prélèvent une marge bénéficiaire importante. Les bouchers malveillants achètent à 430 DA le kilo et le revendent à 650 DA. Un circuit de distribution à l'origine de la spéculation Notre source estime qu'il n'y a pas de défaillance dans le réseau de distribution, mais l'anomalie se trouve dans le nombre d'intermédiaires qui interviennent entre le maquignon et les consommateurs, en passant par l'abattoir, le chevillard et le boucher. Il en existe déjà pour chaque transaction, plusieurs entre le maquignon et l'abattoir. Ce qui engendre une première hausse des prix. Le boucher prend une marge bénéficiaire de 75 DA/ kg. Les importateurs de viandes congelée et fraîche, quant à eux, prennent entre 35 et 40 DA/ kg. À cet argument justifiant l'absence de ce produit, la même source ajoutera la réticence, voire le refus catégorique de certains bouchers à commercialiser la viande fraîche importée. La viande importée n'intéresse pas les bouchers le prix que doit fixer le boucher pour la viande fraîche ne l'arrange guère. Sortie du port, en moyenne, cette viande est à 3 euros, soit 270 DA. Si l'on ajoute les droits de douane, elle atteindra 350 DA auxquels il faut ajouter 5 DA de taxe d'abattage et 40 DA de marge. Ce qui donne un prix final de 400 DA que rachète le chevillard qui additionne une marge de 40 DA. Le kilogramme de viande arrive, par conséquent, chez le boucher à 500 DA. Un tel prix n'arrange donc pas le boucher. Ainsi, soit il triche pour la faire passer pour une viande locale, soit il refuse de l'acheter carrément. Mais il sera obligé après le mois sacré quand la consommation sera moins importante de revoir ses prix. S'il faut saluer la bonne volonté du ministère qui s'est efforcé de mettre la viande à la portée du citoyen pendant le carême, il convient de reconnaître que cette opération a été menée dans la précipitation on aurait dû s'y prendre à l'avance. Elle a suscité de faux espoirs au sein de la population. Ce n'est en aucun cas de cette manière que l'Etat devient crédible aux yeux des citoyens. Repères -Les besoins de l'Algérie en viande rouge sont estimés entre 300 000 et 340 000 tonnes /an. -Un habitant algérien consomme entre 10 et 11 kg de viande rouge annuellement. Il consomme également entre 7 et 8 kg de viande blanche annuellement. Aux USA, la consommation des deux viandes est évaluée à 100 kg/habitant/an. -Actuellement, la viande congelée couvre, selon une source sûre, 30 % des besoins nationaux. -Tous les ans, près de un million d'ovins passent par nos frontières vers le Maroc et la Tunisie. Peu de têtes de bovin, les taurillons notamment, vont vers le Maroc également. B. K.