C'est la première fois que le patron de la Centrale syndicale porte sur la place publique la lutte féroce pour le leadership qui secoue son organisation depuis des mois. Se départant de sa réserve habituelle, le secrétaire général de l'Ugta, Abdelmadjid Sidi-Saïd, a violemment répliqué, hier à l'occasion de la 8e session de la commission exécutive fédérale de la Fédération nationale des travailleurs retraités (Fntr), à ses adversaires au sein de son organisation. Il les a désignés du doigt en leur reprochant de s'adonner à des manœuvres dans la perspective du prochain congrès de la Centrale syndicale. Sans prendre de gants, Sidi-Saïd a dénoncé leur “démarche hypocrite et néfaste”. “L'ambition est louable quand elle est honnête. Mais que ça ne se fasse pas au détriment du mouvement syndical”, s'est-il écrié. En outre, il a déploré l'absence de débats sur les grandes questions socioéconomiques comme, notamment l'économie de marché, la privatisation ou le partenariat : “Je n'entrevois pas de débats sérieux au sein de la Centrale. Je consacre 40% de mon énergie à de faux problèmes.” Il ne nie pas qu'il a une part de responsabilité dans cet état de fait. “Ma bonté et ma générosité ont pris le dessus sur la rationalité”, concède-t-il sur un ton pathétique. Cette guerre de leadership semble beaucoup affecter le leader de la première organisation syndicale du pays. “Les mois de juin, juillet et août, j'ai failli avoir une dépression nerveuse. J'ai même envisagé de rendre mon tablier volontairement. Et c'est sur le conseil d'amis que je me suis rétracté, car le faire en ce moment ce serait une trahison totale. On ne peut pas quitter un navire en temps de tempête.” C'est la première fois, peut-être, que Sidi-Saïd se résigne à porter sur la place publique les problèmes internes de son organisation, surtout cette lutte de leadership entre ses responsables. Reste à connaître les motivations de cette sortie tonitruante du remuant patron de la Centrale syndicale. A-t-il décidé d'agir à visage découvert parce qu'il se sait en terrain conquis ? Parce que la bataille feutrée à l'intérieur de la direction de son organisation, ou à l'extérieur, a tourné en sa faveur, il a décidé d'enfoncer ses adversaires en les dénonçant ? Ou, se sachant fini, a-t-il voulu tirer un dernier baroud d'honneur ? Aussi le leader de l'Ugta a-t-il dit que le prochain congrès sera “décisif” et “un tournant” pour l'Ugta. “Soit il propulse l'Ugta vers un avenir lointain, soit il va l'anéantir”, prévient-il. Un congrès qui se tiendra probablement en février 2006 pour coïncider ainsi avec le 50e anniversaire de la création de l'Ugta. Par ailleurs, sur un ton grave, Sidi-Saïd confesse “en avoir gros sur le cœur” et avoue qu'il n'a pas hésité à confier ses “états d'âme” à ses aînés. À ces “gardiens de la mémoire syndicale”, il a dit porter le fardeau d'“une lourde responsabilité syndicale”. Il leur a aussi expliqué son “débat intérieur” sur deux options qui le partagent : brutaliser son organisation qui est “un appareil lourd” — la phrase est de Sidi-Saïd —, avec tout ce que cela comporte comme risques, ou trouver un compromis. Prenant la parole, le secrétaire général de la Fédération des retraités a assuré Sidi-Saïd de son soutien. “Nous sommes prêts à apporter toute notre aide à notre Centrale et à Sid-Saïd”, clame-t-il. A. C.