"Je ne suis certainement pas un grand homme, néanmoins, quand on me demande de résumer mon métier de journaliste, je dis toujours que j'ai essayé d'observer les gens et les choses." C'est en ces termes, on ne peut plus modestes, qu'Alain Rollat, chargé par l'Union européenne de la formation au Maghreb en matière de déontologie journalistique, a entamé sa conférence, jeudi, à l'Ecole nationale supérieure du journalisme et des sciences de l'information, à Ben Aknoun (Alger). L'ancien directeur adjoint du quotidien français Le Monde a également soutenu que le journaliste devrait avoir "le même regard de recul", y compris envers l'homme politique et les événements, que celui du spécialiste des insectes, afin de "ne rien rater de leurs particularités". Il a, en outre, confié avoir fait toute sa carrière "dans la presse écrite", le rendant ainsi "imprégné de l'écrit", alors que les nouvelles générations de journalistes baignent dans "l'image". Faisant le constat de la rude "concurrence" régnant aujourd'hui dans les médias, l'ex-chroniqueur, également ancien animateur d'émissions culturelles, a lancé à l'adresse des étudiants en journalisme : "Le développement des nouvelles technologies va mettre à l'épreuve tout ce que vous avez appris." Il a ensuite parlé de son expérience qui "synthétise toutes les formes de journalisme" et de sa fonction de "formateur" malgré lui. "La déontologie se pratique et s'acquiert", a encore souligné M. Rollat. Mais, selon lui, la "seule vraie question" est de savoir ce que représente "le journalisme pour vous individuellement". A ce sujet, il a observé que certains veulent être journalistes "pour le plaisir de leur nombril", d'autres "pour être présentateurs de TV" ou "pour faire la révolution" et d'autres encore "pour gagner leur pain". "A la fin de ma carrière, le journalisme, pour moi, est le contraire du grand homme et du nombrilisme", a fini par récapituler l'intervenant, avant d'affirmer sentencieusement que le journaliste est "un acteur social et non pas un acteur politique". Un acteur social dont la mission est de "répondre aux droits des peuples de recevoir une information authentique". Méfiant vis-à-vis des "porteurs de certitudes", l'expert de l'UE a plaidé pour "l'extrême lucidité", "l'honnêteté" et "le recul", notamment sur les sujets chauds, délicats et émotionnels. Il a en outre estimé que les journalistes, disposant d'un "privilège exorbitant" qui leur permet de demander des comptes aux autres, ne sont pas pourtant au-dessus de la critique. Plus loin, il a parlé des rencontres et des échanges qu'il a eus dernièrement avec les journalistes algériens, rapportant des questions qui lui ont été posées, sur la "bonne attitude à prendre" face à certaines situations. Au cours du débat, le conférencier a été interpellé sur pas mal de questions, notamment sur le rapport entre le journalisme et "l'intérêt public" et "l'intérêt privé", le conflit israélo-palestinien et le "printemps arabe", ainsi que sur les vérités à dire et à ne pas dire. Dans ce cadre, il a plaidé pour "l'équilibre" et "l'intégrité intellectuelle", insisté sur "l'objection de conscience" et la présence de "juges compétents et formés pour les affaires de presse", de même que sur la nécessité de "la réflexion collective" lorsque les thèmes abordés sont délicats ou risqueraient de mettre en danger certaines sources. "Le journalisme, tel que je le conçois et tel que je l'ai pratiqué, qui défend des valeurs, est plus facile dans un pays démocratique que dans un pays non démocratique", a affirmé M. Rollat, avant de suggérer "un post-scriptum sur la démocratie : la tolérance est une valeur très importante qui justifie le pluralisme". H. A.