La ministre n'a pu contenir sa colère contre le grand argentier du pays qu'elle accuse d'avoir été “parcimonieux” quant au budget alloué à la culture. C'est désormais officiel : la ministre de la Culture, Mme Khalida Toumi, ne passera pas ses vacances avec son collègue de l'Exécutif, Abdelatif Benachenhou. La guerre feutrée que se livrent les deux membres du gouvernement, circonscrite jusque-là à un “échange d'amabilités” distillées par dose homéopathique dans les colonnes de la presse, vient d'être étalée sur la place publique. À la faveur d'une conférence de presse, organisée hier au CIP par son département sur le vol et l'exportation frauduleuse des biens culturels patrimoniaux du Hoggar et du Tassili, après le récent pillage dont ont été responsables des touristes allemands, Khalida Toumi n'a pu contenir sa colère contre le grand argentier du pays, accusé à tort ou à raison d'être “parcimonieux” dans l'affectation du budget au secteur, en termes, le moins que l'on puisse dire, qui ne souffraient d'aucune équivoque. D'ailleurs, même par certains égards, la conférence n'a été motivée que par le souci de tirer la sonnette d'alarme sur un secteur laissé en rade puisque Khalida Toumi a laissé le soin aux professionnels du secteur de faire le grand déballage et de déverser leur bile. Interrogée par Liberté en marge de la conférence, Khalida Toumi s'est contentée seulement d'insister sur l'absence de son intervention ; la représentante du gouvernement a eu cette réplique pour le moins étonnante : “Vous avez fait parler des gens qui sont complices de la destruction du patrimoine.” À qui fait-elle allusion ? “Vous posez des questions pour vendre votre journal mais moi je ne suis pas ici pour vendre votre journal. Je suis ici chargée de la culture et de la protection du patrimoine”, fulmine-t-elle. À ses yeux, il est plutôt judicieux “d'écouter” les conférenciers — M. Betrouni, directeur du patrimoine au ministère de la Culture, Hachid Malika, ancienne directrice du Parc national du Tassili, et Hocine Ambés, actuel directeur de l'Office du parc national du Tassili (OPNT)— qualifiés de “professionnels de haut niveau et de patriotes”. “Demandez-leur”, lance-t-elle à la cantonade. Mais à vrai dire, les louanges de Khalida à l'endroit de ces responsables ne sont pas fortuites. À l'unanimité, les conférenciers ont mis l'accent sur les moyens dérisoires dont dispose le parc et l'absence de “coordination avec d'autres ministères”. “Les services de sécurité ne sont pas capables à eux seuls de protéger le patrimoine. Il faut une coordination avec d'autres secteurs. La ministre de la Culture s'est battue seule contre parfois d'autres secteurs mais rien n'y fit”, explique Malika Hachid. “Nos moyens sont insuffisants : pas d'hélico, de statut pour les travailleurs… Nous avons besoin de l'aide de tous. Il y a certains départements qui ne nous aident pas”, ajoute-t-elle. Elle rappelle que le département de la Culture avait mis en place un comité intersectoriel, mais qu'il manque cruellement de moyens. Malika Hachid, qui s'étonne de “la médiatisation de l'événement”, une médiatisation rendue possible “paradoxalement grâce au terrorisme”, lance un appel au président de la République pour la seconde fois — la première à l'ex-président Chadli — pour l'aide. Pour sa part, M. Betrouni rappelle que le ministre des Finances a invoqué le caractère “onéreux” des moyens, comme le GPS (Global Protection System), demandés par les responsables du parc. Des propos qui corroborent “l'irritation” de la ministre. Mais au-delà de cette guerre entre les deux ministres, c'est le malaise qui secoue l'Exécutif qui est mis ainsi en exergue. Un indice annonciateur de l'inéluctabilité du changement probable au sein de l'Exécutif. “Les pilleurs font partie d'un réseau” À se fier aux propos des conférenciers, les pilleurs allemands font partie d'un grand réseau organisé. Selon Malika Hachid, si les touristes ont réussi à se rendre dans des zones réputées dangereuses, c'est parce qu'ils ont l'adresse exacte du lieu du pillage. Grâce au GPS avec lequel le pointage des sites a été réalisé en 1994 et 1997 — plus de 3 000 points — par un institut allemand, les pilleurs “ont pu se rendre sur les lieux”. Ce système, considéré avec l'infrarouge comme matériel de guerre, a été interdit par un décret datant de 2001 et signé par le ministère de la Défense, de l'Intérieur et de la Culture. D'ailleurs, un contentieux avec Frobinus, l'institut allemand, a fait l'objet d'une enquête ouverte en 2001, mais gelée à ce jour. “Le pillage est organisé”, explique Malika Hachid qui déplore au passage “certaines complicités locales”. “Ce n'est pas un ramassage aléatoire puisque les pièces subtilisées, près de 130, par les touristes allemands représentent des ères successives. Certaines datent du paléolithique inférieur, d'autres du paléolithique moyen et d'autres enfin du néolithique”. “C'est un ramassage réfléchi”, justifie-t-elle. Par ailleurs, le directeur de l'ONPT a relevé que, contrairement à la loi en vigueur, les touristes n'ont pas été accompagnés par des véhicules comme se font souvent les visites dans le parc. Le guide a embarqué dans le véhicule des touristes, ce qui constitue déjà à ses yeux une infraction. Mme Hachid a rappelé, enfin, qu'elle a lancé un appel aux Allemands pour la restitution des objets volés déjà par le passé. K. K.