Le professeur en relations internationales et management, Yahia Zoubir, est directeur de recherche en géopolitique au Kedge Business School, en France. Dans l'entretien qui suit, il livre ses appréciations sur le dernier sommet de l'UA à Addis-Abeba, le Forum de Crans-Montana, la dépendance financière de l'Organisation panafricaine et la situation dans la région du Maghreb. Liberté : M. Yahia Zoubir, vous étiez présent au dernier sommet de l'Union africaine qui s'est tenu, du 23 au 31 janvier dernier, à Addis-Abeba (Ethiopie). En quelle qualité...? Yahia Zoubir : En effet, j'étais présent dans les coulisses du sommet, en tant que chercheur, mais aussi parce que je fais partie de l'équipe d'experts qui doit produire un rapport d'évaluation de l'architecture africaine pour la paix et la sécurité. Le dernier rapport avait été fait en 2010. Le sommet est une bonne occasion pour côtoyer des personnalités politiques, des diplomates, des chercheurs, ainsi que des ONG... Cette 24e session ordinaire de la Conférence de l'UA s'est exprimée sur des problèmes touchant l'Afrique et sur la question du Sahara occidental. En quoi se distingue ce sommet ? Ce sommet a beaucoup mis l'accent sur les questions de sécurité (Boko Haram...) et sur l'épidémie d'Ebola. La question de Sahara a été non seulement soulevée, mais aussi discutée au Conseil des représentants permanents, du conseil exécutif et du Conseil pour la paix et la sécurité (CPS), et même à l'assemblée des chefs d'Etat et de gouvernement. Le CPS a réitéré "les appels répétés du Conseil de sécurité des Nations unies aux parties au conflit du Sahara occidental, pour qu'elles poursuivent les négociations sans condition préalable et de bonne foi, en vue de parvenir à un règlement politique juste, durable et acceptable pour les deux parties, prévoyant l'autodétermination du peuple du Sahara occidental dans le cadre des arrangements compatibles aux principes et objectifs de la Charte des Nations unies et à lalégalité internationale". L'Assemblée des chefs d'Etat et de gouvernement a fait la même déclaration dans ce sens. C'est dire l'importance que revêt cette question. Il faut préciser que la question du Sahara occidental refait surface, car beaucoup de pays africains estiment que sa résolution a trop tardé. Il y a donc une certaine dynamique au sein de l'organisation. Bien entendu, quelques pays souhaiteraient que cette question ne soit pas débattue car, arguent-ils, c'est une question aux mains des Nations unies. C'est une façon de ne pas montrer leur soutien au Maroc sur la question. Il faut souligner que l'ambassade de la Rasd à Addis-Abeba a été très active en 2013-2014, ce qui a créé une nouvelle impulsion pour que le processus de décolonisation du territoire et la tenue du référendum d'autodétermination puissent avoir lieu. Très récemment, le ministre sahraoui des Affaires étrangères a dénoncé, à Alger, la tenue du Forum de Crans-Montana à Dakhla, la qualifiant de "violation du droit international" et de nouvelle "manœuvre" du Maroc pour imposer le fait accompli colonial. Votre commentaire là-dessus ? Le ministre sahraoui n'est pas le seul à avoir dénoncé la tenue du Forum de Crans-Montana à Dakhla, ville sous occupation marocaine. Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union africaine ont, eux aussi, condamné l'événement qui doit se tenir à Dakhla. Ils ont déploré "l'organisation de toute conférence internationale dans les circonstances actuelles au Sahara occidental (qui) est en contradiction avec les efforts fournis par la communauté internationale pour résoudre le conflit au Sahara occidental et ne peut engendrer un climat de confrontation sur ce territoire" et ont donc appelé à l'annulation de la conférence de Crans-Montana. La question à se poser est pourquoi cette décision par une organisation suisse de renommée ? Le Maroc a recherché un tel fait — usant de l'ignorance de certains sur la question — pour faire avaliser son occupation du territoire, c'est-à-dire la reconnaissance de sa souveraineté, ce qu'aucun pays au monde ne reconnaît. C'est aussi une réponse à l'Algérie qui a mis sur place une politique africaine très dynamique grâce au nouveau ministre des Affaires étrangères, un fin connaisseur de l'Afrique, respecté par les chefs d'Etat et de gouvernement d'Afrique. Il faut rappeler que l'Algérie n'avait jusqu'à récemment aucune politique africaine, ce qui avait permis à son voisin de l'ouest de tirer profit et d'exercer son influence sur le continent, surtout en Afrique de l'Ouest. Je suis persuadé que nous allons voir une rivalité soutenue entre les deux puissances maghrébines. Près de 72% du budget de l'UA seraient assurés par des donateurs hors Afrique, comme les USA, l'UE, la Chine et la Turquie. Avec une telle dépendance financière, l'Organisation panafricaine pourra-t-elle peser dans les rapport de force et porter sa voix pour la défense des peuples ? Les pays africains sont bien conscients de cette dépendance financière. Certains pays souhaitent voir cette dépendance réduite. Les chefs d'Etat de l'UA ont débattu le principe d'une taxe sur les billets d'avion, hôtels et SMS, pour diminuer cette dépendance. L'ancien président nigérian, Olusegun Obasanjo, a proposé un plan, pour sortir de cette dépendance financière, qui risque d'être préjudiciable au continent africain. Il est tout de même aberrant que certains membres, très riches, restent dépendants de l'étranger... Les Etats africains pourraient imposer des taxes sur les multinationales qui continuent d'exploiter les richesses énergétiques de nos pays. À la lumière des événements produits ces dernières années, particulièrement au Maghreb, et des rapports de force à l'échelle régionale et au niveau international, est-il exact de parler, aujourd'hui, de menace sur l'Algérie ? La situation sécuritaire au Maghreb est vraiment catastrophique. L'Algérie est à présent entourée d'Etats fragiles instables et d'un pays qui rivalise avec elle. Bien évidemment, des menaces pèsent sur l'Algérie, mais elles ne viennent pas nécessairement de l'extérieur, mais de l'intérieur même du pays, car avec une bonne gouvernance et un système démocratique, une fin à la corruption éhontée ne permettrait à aucune puissance étrangère de déstabiliser le pays.