Résumé : On arrive enfin à destination. Mordjana est dirigée vers une pièce où se trouvent déjà plusieurs femmes. Maroua se tient à côté d'elle, et veille à protéger sa sœur des regards indiscrets. Pourtant une vieille femme s'approche de la mariée, et veut la voir... C'est la grand-mère maternelle de Samir. Maroua hoche la tête : -Sois compréhensive Malika... Mordjana est déjà très fatiguée et surtout frustrée... Pourquoi lui rajouter d'autres tracas juste avant sa nuit de noces ? -Je comprends, mais grand-mère ne va pas lâcher prise... Elle ne quittera pas les lieux avant de voir Mordjana... Juste un petit coup d'œil. Maroua, impuissante, hausse les épaules et lance : -Mordjana, la vieille veut te voir... C'est la grand-mère... Elle ne voit pas bien... La jeune fille, qui avait déjà écouté pratiquement toute la conversation, baisse la tête et tente de montrer le profil le plus avantageux de son visage à la vieille femme qui avait introduit tout bonnement sa tête sous le voile. Deux secondes passent. Deux secondes qui parurent une éternité à Mordjana. Enfin la vieille grand-mère se retire, non sans avoir auparavant glissé un billet de banque dans le corset de la mariée. Mordjana le retire et le tendit à sa sœur. Maroua sourit : -On dirait que cette vieille te trouve à son goût, elle t'offre mille dinars. C'est pour elle peut-être une fortune... -Elle ne peut pas me trouver à son goût Maroua... Elle n'a pas eu l'opportunité de voir tout mon visage. Elle soupire : -Jusqu'à quand dois-je me cacher des autres... Dès ce soir, on saura à quoi ressemble mon autre joue. Maroua ne répondit pas. Sa sœur avait raison. Si Samir n'est pas content, il pourra la répudier le jour même. Qu'en penseront alors les gens de leur patelin ? Toutes les suppositions et les médisances seront prises en considération. Les gueux raconteront leurs imbécilités, et les sots les écouteront. En un court laps de temps, toute la ville saura que Mordjana a été répudiée le jour de ses noces parce que... Maroua ferme les yeux. Elle ne voulait pas imaginer la suite. On parlera de l'honneur souillé de la famille... On tendra l'index vers cette fille de péché qui n'a pas su préserver sa virginité... Et puis on attendra le châtiment qui ne tardera pas à tomber. Personne ne pensera à la tâche de vin sur la joue de la malheureuse. On ira même jusqu'à prétendre, qu'avant de la demander en mariage, le prétendant avait déjà vu sa future femme, et savait qu'elle portait une tâche de naissance au visage... Alors la suite... Maroua sentit les larmes dans ses yeux. Elle savait que Mordjana ne voulait pas de ce mariage. Malgré la vie de cauchemar qu'elle menait dans sa famille, elle aurait aimé demeurer célibataire et s'éviter le regard coupable des autres. Elle seule pouvait ressentir cette culpabilité. Elle seule... Pourquoi fallait-il que leur père et le père de ce Samir misent sur leurs enfants pour clôturer une partie de jeux de hasard ? Maroua soupire et ferme les yeux. Les femmes discutaient de vive voix. Les sujets ne manquaient pas. On parlait de cette "étrangère" du Sud qui venait d'arriver. La bru de Hasna ne voulait pas se montrer... Qu'avait-elle donc à leur cacher ? Malika vint annoncer que le dîner était servi, et les mégères se levèrent et sortir de la chambre pour manger dans la grande cour illuminée par des guirlandes. Maroua demeura avec sa sœur. Malika mit une table basse devant elles et revint pour déposer un plat de couscous et de la viande. Elle sourit : -Mordjana, tu peux te libérer de ce voile maintenant. Nous sommes seules... La jeune fille s'exécute : -J'étouffais, mais je ne pouvais faire autrement. Je suis certaine que si je l'avais ôté, toutes les femmes m'auraient entourée, telles des abeilles autour d'une ruche. -C'est fini, tu n'auras plus à subir les regards désapprobateurs. Tu devrais manger un peu et te reposer. Maroua te tiendra encore compagnie. Dès que les hommes auront dîné, je dirais à Samir, que la voie est libre... Mordjana rougit. Malika voulait sûrement insinuer que Samir allait la rejoindre. Maroua lui tendit une cuillère : -Mange Mordjana, ce couscous me paraît succulent... La jeune fille prend quelques bouchées puis dépose la cuillère : -Je n'ai pas trop faim... Passe-moi plutôt le broc d'eau. Une heure plus tard, Malika vient annoncer le marié. Maroua se lève alors et recoiffe sa sœur, puis la remaquille, avant de s'éclipser à son tour. Demeurée seule, Mordjana jette un coup d'œil autour d'elle. La chambre était bien plus spacieuse qu'elle ne l'avait remarquée au début. Il y avait un grand lit, deux tables de nuit, une armoire et deux divans sur lesquelles les femmes avaient pris place tout à l'heure. Elle s'approche d'une glace accrochée derrière la porte, et se contemple en portant la main à sa joue. (À suivre) Y. H.